George Romero – "…Of The Dead" (Blu rays)

Depuis six mois bruissent sur la toile des rumeurs comme quoi George Romero ne serait  plus capable de réaliser un bon film de zombies, lui qui avait propulsé le genre sur le devant de la scène en 1968 avec sa fameuse Nuit des Morts Vivants, puis explosé les frontières de l’exercice à coups de pellicules au sous-texte politique affleurant derrière le fun inhérent au démastiquage systématique de ces créatures fort agressives. Survival Of The Dead serait donc raté, avec, pour comble de malheur, un Romero qui ne serait plus intéressé par ses zombies adorés. Bon, les gars, il va falloir arrêter de regarder du torture porn à longueur de journée… On ne reviendra pas ici en détail sur Survival, préférant vous renvoyer à la critique du film déjà parue sur Culturo. Mais puisque sort l’édition blu-ray de la Nuit et de Survival, l’occasion est belle de revenir sur l’évolution du mort-vivant dans l’œuvre du réalisateur, histoire de démontrer que non, George Romero se préoccupe toujours autant du sort de ses monstres chéris.

La sortie en 1968 de La Nuit des Morts-vivants, fait l’effet du choc. D’un noir et blanc charbonneux (alors que n’importe quelle production Z tournée sur les collines d’Hollywood avec de l’argent mexicain célébrait l’hémoglobine en couleurs pétaradantes), la Nuit dépoussière une figure du folklore carribéen peu usité au cinéma, celle du zombie, simple vivant envouté, gorgé de magie noire. Une figure qui devient chez Romero symbole-prétexte à une démonstration politique sans équivoque. En ne gardant du personnage morbide que son agressivité à l’égard des vivants (Romero poussera le flou artistique jusqu’à varier les raisons de l’apocalypse suivant les épisodes) et en installant une mécanique scénaristique en deux temps (là, la distance du regard lors des scènes de battues et des flashs infos; ici, l’hyperproximité du drame humain se jouant dans la maison), le réalisateur pose le personnage en maillon essentiel du récit, prétexte de l’action se suffisant à lui-même puisque contenant son aboutissement. En gros, le zombie ne provoque aucune empathie et pourtant, en filigrane (esthétique d’abord – ils nous ressemblent -, puis en fond via l’explosion de la cellule familiale dans la maison et le fameux twist final, illustration cinglante d’un retournement de valeurs morales, d’une politisation du regard), le sentiment d’altérité s’estompe et on en vient à voir des vivants plus que morts et des morts plus que vivants.

Toujours aussi troublant et violent quarante ans après sa sortie initiale, La Nuit tire une partie de sa force du fait qu’elle pose ainsi les bases d’un développement unique. Romero n’aura ensuite de cesse de mettre les morts vivants au centre de son dispositif réflexif plus que simplement scénaristique. Dès Zombie, Romero, plutôt que de durcir le ton façon « Know Your Enemies », s’emploie à battre les cartes, à redistribuer légèrement les rôles. On y voit ainsi des morts vivants au quotidien, déambulant éternellement dans les allées d’un centre commerciale. Manière d’humaniser les monstres? Pas seulement, Romero préférant encore une fois ne pas trancher, évoquant la possibilité de simples réflexes reptiliens (reptile que l’on croisera d’ailleurs en ouverture du Jour des Morts Vivants, alligator déambulant en toute placidité au milieu des zombies). Un refus d’humanisation simpliste installant comme pour la Nuit un même dispositif scénaristique en miroir, aux scènes de déambulations commerciales monstrueuses répondant celles de jouissance matérielle du quatuor retranché. Encore une fois, qui est vivant, qui est mort.

On le voit, l’approche de Romero n’est pas tant d’humaniser les morts vivants pour verser dans l’émotion que de nous interroger sur le ratio mort/vivant chez le spectateur, de nous renvoyer en pleine face nos réflexes morbides. Une approche creusée encore dans le Jour des Morts Vivants et qui trouvera une première conclusion sur Land Of The Dead. Avec son duo de personnages évoquant Frankenstein et sa créature, le Jour est l’épisode scientiste de la saga. En introduisant la thème de la possible domestication des zombies (thème qui court dans Survival Of The Dead), Romero floute une fois de plus la frontière séparant les morts des vivants. Dans Le Jour, un zombie se voit même affubler d’un gentil surnom, Bub. Mais qui peut certifier que c’est bien une lueur d’intelligence que l’on voit dans son regard lorsque, au lieu d’aller boulotter sauvagement l’ignoble militaire en chef, il le dessoude d’un coup de revolver, salut militaire en prime? Drôle de semblant de dignité humaine retrouvée dans une exécution sommaire… La noirceur du regard de Romero a peu d’équivalence. En choisissant l’humanisation de ses morts vivants, il met en lumière les aspects les plus désincarnés de nos sociétés, les plus inhumains. Et Land Of The Dead marque une autre étape dans la démonstration.

 

Rageusement politisé, Land décrit une microsociété en instantané réduit de l’organisation du capitalisme. Bientôt une véritable révolte des morts vivants viendra balayer non pas ce reliquat d’humanité, mais rayer ce système de la carte, laissant les survivants partir de leurs côtés. Sublime scène finale où, après l’assaut sanglant et pendant que les camps se séparent, Simon Baker (pas encore mentalisé) échange de loin un regard avec Big Daddy, leader de la révolte zombiesque. L’humanité se retrouve à ce moment précis aux origines de l’animal politique, à ce moment historique où le fameux cerveau reptilien fait un choix. Et toujours cette volonté de Romero de ne pas dogmatiser sa réflexion, de faire preuve d’un étonnant optimisme au milieu des décombres, laissant partir sa poignée de héros dans une nouvelle conquête de l’Ouest, avec un espoir en bouche plein d’amertume. Puisque nous ne sommes plus différents.

Land Of The Dead signe la fin d’un premier grand arc réflexif, l’aboutissement d’une réflexion intellectuelle courant sur presque quarante ans, les conclusions d’étape d’un auteur portant sur son temps un regard sévère mais juste. Sorti seulement deux ans après, Diary Of The Dead se présente comme une re-création du mythe. Ouvertement distancié (mais c’est tout le propos du film, le splastick chez Romero opérant souvent – et pas que dans Diary – à la manière de l’ironie d’un De Palma), Diary n’en néglige pas pour autant ses zombies puisque, à la faveur de ce redux de la légende (on rappelle que dans Diary, l’humanité commence à peine à voir ses morts se relever), Romero réinvente le personnage en poupée-gigogne réel et symbolique (les acteurs qui jouent des acteurs qui jouent des zombies puis en deviennent. Le film dans le film dans le film, en somme). Manière d’ancrer son propos dans la modernité, dans le nouveau régime des images. Et belle preuve de la verdeur intellectuelle de Big Georges, toujours aussi affûté à 70 ans.

Avec Survival Of The Dead (qui découle directement de Diary, reprenant non pas son aspect documenteur mais une poignée de personnages), Romero condense son usage thématique du mort vivant. Ainsi, il revient  à la menace informelle qui planait au quotidien dans Zombie, ces morts vivants perclus d’automatismes, mécaniques, qui rôdent hébétés sur des restes de leur vie. Il introduit aussi l’humanisation/domestication à l’œuvre dans Le Jour, y apportant une conclusion finale en twist ironique renvoyant, lui, à une autre film de Romero, The Crazies. Et, comble du désamour (sic), le réalisateur invente une figure inédite, celle des jumelles moitié vivante, moitié zombie, personnage double à la schizophrénie très actuelle (et aux résonnances gothiques évidentes). Ajoutez de belles séquences de head shooting comme on n’en avait plus vu depuis Zombie, une poignée de scènes délirantes (Romero sait se montrer toujours aussi inventif dans l’art de faire trépasser définitivement le zombie)…

Mais on en trouvera toujours pour dire que Romero n’aime plus ses morts vivants…

Détails des Blu-rays

Tout d’abord abordons les deux nouveautés du lot….

Ne tergiversons pas, le Blu Ray de Survival Of The Dead est le meilleur moyen de découvrir le Romero en évitant les rires gras de Gerardmer pour mieux s’y attarder et constater à quel point Romero est loin d’être mort. Il faut se rendre à l’évidence, son dernier opus est une œuvre à l’esthétique particulière, dont la poésie insulaire émerge d’une photo aux dominantes nocturnes envoûtantes. Superbe étalonnage, beaux contrastes et respect de la nuance des couleurs. Pour ce qui est des bonus, un sympathique making of et les commentaires audio de George Romero qui tournent à la discussion avec son monteur, son producteur, son assistant réalisateur, ainsi que l’un des ses acteurs (Kenneth Welsh).

Mais l’événement de cette « fête Romero » demeure incontestablement la sortie en HD pour son quarantième anniversaire de La Nuit des Morts vivants. Quelle copie! Quel choc! Jamais nous n’aurions osé rêver découvrir La Nuit dans de telles conditions. Souvenons-nous de tous ces dvd médiocres qui se sont enchainés… jusqu’à aujourd’hui. A ce niveau d’excellence le transfert Blu Ray relève du voyage dans le temps : magnifiquement contrasté, retranscrivant parfaitement toute la poésie de la photo, avec en prime une piste sonore anglaise d’un très bon relief. Nous ne sommes pas en reste niveau bonus, avec deux longs documentaire, Réflexions sur la nuit des morts vivants (2005) jouant essentiellement sur la nostalgie – l’équipe autour d’une table ronde se souvenant, réévoquant les souvenirs – avec une geek’s touch à travers notamment les interventions de cinéastes de genre – Landis, Craven, Raimi… – évoquant l’impact que le Romero a eu sur leur vie et leur œuvre.

En revanche, réalisé à l’occasion des quarante ans du film, One for the Fire est nettement plus analytique et constitue une véritable plongée dans la genèse de l’œuvre et les conséquences qu’elle a eues dans l’histoire du cinéma, dépassant largement le cadre du genre. Riche et synthétique, on y réapprend notamment que le film est l’œuvre de quelques amis décidant de se lancer dans le cinéma et s’étant dit que s’ils devaient réussir à convaincre 10 personnes d’investir 600 dollars. Personne ne savait encore qui réaliserait, qui produirait, monterait…  Ainsi prit forme le projet, avec une équipe totalement polyvalente dans laquelle maquilleurs, techniciens, producteurs étaient également les protagonistes – zombies ou non – du film, fabuleuse image d’un cinéma artisanal et communautaire qui allait donner naissance à un chef d’œuvre.

De nombreuses anecdotes – plus ou moins connues – émaillent le documentaire, tel le désir de la Columbia de leur faire changer la fin trop sombre pour un happy end, ou encore la manière dont l’oubli du copyright sur le titre définitif (le premier étant « La nuit des mangeurs de chair ») conduisit le Romero à tomber dans le domaine public : il n’a toujours pas obtenu gain de cause. Enfin chaque membre de l’équipe évoque souvent la larme à l’oeil Duane Jones, disparu prématurément en 1988. C’était la première fois qu’un noir américain était le protagoniste principal d’un film d’horreur. Tourmenté et concerné par les iniquités raciales, craignant d’abord d’être exploité par une équipe de blancs qui voudrait lui faire jouer le « noir de service », avant de s’apercevoir de l’importance de son rôle et de s’y donner pleinement. Il est émouvant d’entendre Romero avouer que c’est avec lui seul qu’il aimerait discuter de l’état du monde et de l’étrange écho que trouve La nuit des morts vivants avec notre époque. Nous retrouverons Duane Jones lors d’une interview audio où s’exprime un homme extrêmement cultivé, docteur en université et à la tête du département théâtral d’une faculté new yorkaise. Parmi les souvenirs évoqués par Romero, l’un des plus frappants demeure l’annonce à la radio, alors que l’équipe transportait les bobines du film dans la voiture, de l’assassinat de Martin Luther King le 4 avril 1968. Personne ne s’était à l’époque rendu compte combien la résonnance avec la fin de La nuit des Mort Vivants était troublante, pour une œuvre magistrale dont l’aspect intrinsèquement politique est devenu croissant au fil des années.


 

Zombie et Le Jour des Morts Vivants sont déjà sortis depuis quelques mois mais l’occasion est trop belle pour ne pas revenir dessus. Pour ce qui est des transferts, certains ont fait la fine bouche sur celui du Jour des Morts Vivants, pour ma part, malgré quelques défauts, je le trouve meilleure que celle de l’Anchor Bay 1 me restituant dans l’ensemble la sensation ressentie lors de la sortie salles en 1985. En revanche, en guise de suppléments on femera les yeux sur le lamentable Jour des morts Vivants 2 – Contagium, dont l’unique intérêt est de mettre en valeur de manière un peu plus précise le génie de Romero.

Zombie quant à lui bénéfice lui aussi d’un transfert HD remarquable, le meilleur actuellement disponible, conservant à la fois le grain d’origine et un sens de la nuance très convaincant, restituant justement cet aspect réaliste, parfois presque terne, de la photo si caractéristique du film. Deux déceptions en revanche : l’absence de la réelle director’s cut de Romero, puisque la version américaine ajoutée à l’européenne est encore tronquée, et le fait que cette dernière n’ait pas subi le même traitement HD que le montage européen, même si le transfert reste de bonne facture. On prie donc pour avoir un jour la version d’origine de Romero en Blu-Ray zone 2 et tous nos souhaits seront exhaucés.

Réalisé par l’ex-zombie Roy Frumkes (le premier à se prendre une tarte à la crème dans Zombie), Document of the dead (1985) a parfois les petits défauts des dérives analytiques des jeunes universitaires mais n’en demeure pas moins un document inestimable qui rappelle parfois – toutes proportions gardées – l’approche que Soavi faisait de l’œuvre d’Argento dans World of horror. Il étudie avec attention le cinéma de Romero, son découpage des scènes, son économie de dialogues caractéristique, en s’attardant sur certaines séquences de Martin, Zombie ou La Nuit. Les scripts de Romero sont extrêmement longs, scrupuleusement détaillés, au point qu’une page soit parfois l’équivalent d’une minute de métrage. Le plus intéressant reste les archives de tournage de Zombie, comme des fragments de journal intime qui nous permettent de voyager dans le temps, nous retrouvant à l’époque de son élaboration, à l’heure d’un film « in progress », et nous permettant par exemple de voir Romero déambuler parmi ses zombies ou Savini s’exprimer de manière jubilatoire sur son travail, tandis que nous assistons aux séances de maquillage. C’est tout l’intérêt de ce documentaire, qui inclut également quelques moments de tournage de Two Evil Eyes, que de mêler à l’analyse filmique les témoignages de Romero et le spectacle de l’envers du décor. Il est intéressant d’entendre Romero s’exprimer sur le choix des « héros noirs » qui n’était pas du tout mentionné dans l’écriture du scénario et qui s’est décidé au moment de choisir les acteurs, comme si la dimension politique de l’œuvre s’était élaborée au fur et à mesure. Cependant pendant le tournage de Zombie, Romero a clairement conscience de la dimension satirique et pamphlétaire de son œuvre en particulier le procès fait à la société de consommation. Parmi les autres bonus, le regretté Benoît Lestang étudie les effets spéciaux de Savini en dévoilant tous les mécanismes, beau moment de demythification de toutes les horreurs auxquelles on a pu assister. Erik Dinkian quant à lui s’attarde, images à l’appui, sur les différences de montage entre le montage européen d’Argento – avec une action plus resserrée – et l’américain de Romero. Plus qu’un simple travail de remontage, il s’agit quasiement de deux œuvres différentes, mettant en relief deux points de vue de cinéaste, le spectateur ayant toujours une longueur d’avance sur le personnage chez Romero, alors que chez Argento le point de vue du spectateur se confond à celui du personnage. D’une version à l’autre, l’œuvre y prend parfois même un sens totalement différent, notamment au niveau des motivations supposées des protagonistes. Le rythme est assurément plus nerveux chez Argento accentué par une musique des Goblin quasi absente sur la version Romero. Vient enfin une présentation de Zombie par JP Putters, fondateur et ancien rédacteur de Mad Movies, qui ne présentera d’intérêt que pour ceux qui ne connaissent vraiment pas l’œuvre.

Quitte à être parfois un peu redondants d’un élément à l’autre, les bonus contenus dans ces quatre blu ray rassemblent l’essentiel des documents disponibles concernant les morts vivants de Romero. Certes, de nouvelles analyses pourront être consacrées au cinéaste, mais dans l’état actuel des choses, cette sensation d’un archivage exhaustif procure un pur bonheur au cinéphage attentif.

La nuit des Morts Vivants (USA, 1968) de Georges A.Romero avec Judith O’Dea, Duane Jones, Russel Streiner, Karl Hardman

Zombie (USA, 1978) de Georges A.Romero avec David Emge, Ken Foree, Scott H. Reiniger, Gaylen Ross

Le Jour des Morts Vivants (USA, 1986) de Georges A.Romero avec Lori Cardille, Terry Alexander, Joseph Pilato, Jarlath Conroy

Survival of the dead (USA, 2009) de Georges A.Romero avec Kathleen Munroe, Alan Van Sprang, Athena Karkanis

Blu ray édités par Opening

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