Rencontré au Festival International du Film de La Roche-sur-Yon, manifestation qui a programmé deux films distribués par sa société Wayna Pitch, Jonathan Musset, jeune distributeur passionné, évoque une année 2017 qui inscrit sa structure dans une dynamique positive. De janvier à novembre, il aura ainsi accompagné des premiers longs métrages aussi différents qu’Inertia, Mate-me por favor, Tapis rouge et Problemski Hôtel, tous s’inscrivant dans une politique éditoriale exigeante et cohérente.
À la base de tout, la démarche de Jonathan Musset naît d’une envie de cinéma, celle de réaliser ses propres films, qui se transforme peu à peu en désir de distribuer ceux des autres. Quand il se lance dans le projet de son premier long métrage, Midnight Globe, la quête d’un producteur susceptible de l’accompagner le conduit à accepter l’évidence : « le seul qui voulait produire mon film c’était moi. Donc j’ai tout fait pour créer ma structure de production. Quand il a fallu sortir le film, je pensais assez naïvement trouver un distributeur en allant au marché du film à Cannes, et là encore je me suis rendu compte que le seul qui était vraiment motivé pour passer six mois de sa vie sur le film sans gagner un seul centime, c’était moi ».
Chemin faisant, de rencontres en rencontres, Jonathan Musset se dit que ce qu’il a fait pour lui, il peut aussi le faire pour les autres. Au début des années 2010, grâce à l’arrivée des moyens numériques, beaucoup de réalisateurs dans le monde suivent la même démarche, celle de réaliser des films « mini budget » avec une volonté forte de raconter autre chose. De nombreux longs métrages arrivent dans des festivals comme Venise, Locarno ou Toronto, mais n’iront sans doute pas plus loin. « Il y a un décalage entre le fait de dire que les jeunes désertent les écrans de cinéma “Art et Essai“ et le fait qu’il y ait des films d’auteurs faits pour les jeunes qui n’arrivent pas forcément dans nos salles ». D’où l’envie de « prendre ce créneau-là » et de s’orienter vers la distribution sans abandonner ses projets de réalisation.
Inertia – Idan Haguel
Avec quatre longs métrages distribués, l’année 2017 aura été la plus riche de l’activité de Wayna Pitch. Au-delà de l’aspect artistique des films qui correspondent tous à sa ligne éditoriale (du cinéma d’auteur avec « une vraie patte visuelle » à destination, notamment, d’un public jeune), la décision d’accompagner ces projets correspond à un réel choix stratégique. L’idée consiste à créer une véritable dynamique : un distributeur ne vit pas en sortant un film par an, avec quatre sorties, il peut l’envisager. Il y a aussi le projet que chaque production soit présente dans davantage de salles que la précédente. Cet objectif atteint, il faut désormais maintenir le cap en continuant à choisir les bons films afin de valider une année très positive.
Capable de convaincre, travaillant avec un attaché de presse efficace, Jonathan Musset sait qu’il doit désormais tisser un lien de confiance avec des exploitants qui choisissent pour le moment de prendre le risque de le suivre quand c’est plus confortable de travailler avec un distributeur plus installé. Pour cela, le choix est aussi de s’adresser directement aux spectateurs. C’est ainsi qu’il a développé une application mobile qui sera lancée pour la sortie de Problemski Hôtel. Directement destinée à un public jeune, « Ciné 777 » pourra par exemple permettre de gagner des places de cinéma. Derrière ce projet et d’autres à venir, Wayna Pitch poursuit l’idée de pouvoir afficher une identité solide, originale et pérenne. « D’autres applications sont en cours d’élaboration, car le mobile est pour nous un moyen de faire connaître les films d’auteurs à la génération YouTube. »
Mate-me por favor – Anita Rocha da Silveira
Se classant sans fausse pudeur dans la catégorie des « petits », Jonathan Musset rappelle que ce qui le différencie d’un distributeur « plus gros » relève avant tout d’une logique économique : « c’est dur de débuter dans le domaine de la distribution de films car les règles économiques favorisent les structures plus implantées. Autrement dit, il y a des règles qui rendent le ticket d’entrée très élevé, par exemple les VPF¹ ou les conditions d’éligibilité aux aides, etc ». Cependant, ayant moins de charges fixes que d’autres, il peut agir à coups réduits : ainsi, offre-t-il un jeu d’affiche et la circulation des DCP² à chaque programmation, ce qui minimise les frais de l’exploitant. Cette manière de se différencier, au-delà de la ligne éditoriale, renforce les liens de confiance nécessaires.
Tapis rouge – Fred Baillif et Kantarama Gahigiri
Les quatre films distribués cette année, premiers longs métrages venant respectivement d’Israël, du Brésil, de Suisse et de Belgique, impriment chacun la signature d’un auteur. Le travail d’Idan Haguel, d’Anita Rocha da Silveira, du tandem Fred Baillif / Kantarama Gahigiri et de Manu Riche reflète la volonté de Jonathan Musset d’accompagner un cinéma d’auteur inventif et singulier. Ainsi, Problemski Hôtel (en salles le 29 novembre) traite d’un sujet d’actualité « par un biais artistique étonnant. C’est comme si on avait demandé à Cédric Klapish de faire L’Auberge espagnole avec des migrants, tout ça avec des cadres géométriques à la Wes Anderson, dans une seule unité de lieu, et aucune unité de temps. On ne sait pas quand le film se passe. D’ailleurs le livre dont est tiré le film a été écrit il y a 15 ans, cela veut bien dire que la problématique des migrants est intemporelle. Le film se focalise sur les relations humaines et aborde le sujet par le biais d’un personnage principal avec lequel on s’identifie pleinement car ces réactions sont parfois complexes, à l’image de nos propres réactions, finalement, face à cette problématique des réfugiés. ».
Problemski Hôtel – Manu Riche
Fruit de la stratégie de Wayna Pitch, le film arrive dans un contexte plutôt favorable. Certaines salles font désormais confiance au distributeur. Et si d’autres restent à convaincre, les grandes qualités de Problemski Hôtel constituent un atout supplémentaire : de nombreux exploitants fonctionnant au coup de cœur avec un public qui les suit, l’alchimie a toutes les chances de se produire. Cela dit, les programmateurs disposant de peu de temps pour regarder les films, encore faut-il réussir à les convaincre de le faire… Mais si le film séduit, le fait que les salles françaises soient organisées en réseaux peut créer une émulation. À ce titre, le soutien apporté par le GNCR³ entre dans cette dynamique espérée et inscrit Wayna Pitch dans la mémoire des exploitants.
En salles le 29 novembre, Problemski Hôtel a reçu le Grand Prix du Jury des festivals de La Roche-sur-Yon et de Mâcon. Si ces manifestations restent moins prestigieuses que celles de Cannes ou de Venise, leur label n’en constitue pas moins une valeur ajoutée pour un film qui a toutes les qualités pour toucher un large public. Viendra ensuite l’heure du bilan annuel pour le distributeur basé à Nantes (mais présent partout en France), avant une année 2018 que chacun espère au moins aussi riche que celle qu’il vient de vivre.
À lire la critique de Problemski Hôtel par Danielle Lambert.
¹ Mécanisme financier qui a pour but de permettre aux salles de cinéma de financer leurs équipements de projection numérique, grâce au reversement direct ou indirect par les distributeurs d’une partie des économies provenant de la différence entre les coûts de fabrication. Le montant se situe généralement entre 400€ et 600€.
² Digital Cinema Package : copie numérique du film destinée à la projection.
³ Groupement National des Cinémas de Recherche. Le soutien apporté se matérialise notamment par l’édition d’un document de 4 pages dont la démarche éditoriale est connue du public.
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