La Nuée Frank Victor et Jerome Genevray interview

Mariage réussi entre le film d’horreur, la chronique sociale, la fable écologiste et la SF, La Nuée, premier long métrage ambitieux de Just Phillipot vient de sortir en salles. Au 39e Festival Itinérances à Alès où il était présenté, nous avons eu le privilège de rencontrer les deux scénaristes Franck Victor et Jérôme Genevray. Entretien avec deux passionnés de genre.

 

Peut être une image de 2 personnes et personnes souriantes

 

La Nuée est pour tous les deux, votre premier scénario de long métrage. Comment vous est venue cette idée ?

Jérôme Genevray

L’idée m’est venue de deux réflexions que j’avais envie d’assembler : d’une part, un conte écologique qui éveillerait les consciences sans culpabiliser, et puis, l’autre sujet était une réflexion plus personnelle que Franck et moi partagions : comment peut-on essayer d’équilibrer ambition professionnelle et réussite familiale .

Franck Victor

Oui, on se faisait des retours sur nos écritures personnelles et Jérôme m’a envoyé un premier traitement de La Nuée qui à l’époque ne s’appelait pas comme ça, mais Happy meal (rire)… C’était très différent.. enfin… très différent non… dans l’esprit il y avait déjà tout ce qu’il y a dans le film, mais on a commencé à rebondir l’un sur l’autre, naturellement.

 Expliquez-nous plus en détail les fondements de cette collaboration sur l’écriture du film ?

J.G. Et bien ça fait 20 ans qu’on se connaît. On est avant tout amis. On partage les mêmes envies de cinéma. Il y a beaucoup de films qu’on aime en commun. On avait déjà collaboré ensemble sur une première histoire. Franck avait écrit un premier court métrage qui s’appelle La pomme d’Adam, sur l’inversion des rôles masculin et féminin dans nos sociétés modernes. Je l’avais réalisé et on en était resté à ce court métrage avec l’envie de retravailler ensemble sur quelque chose de plus ambitieux : un long métrage. On se passait souvent les histoires qu’on écrivait en se faisant des retours, à chaque fois bienveillant. La Nuée s’est présentée là comme une évidence pour nous deux, de travailler ensemble, avec l’appréhension de ne pas perdre une chose… à savoir notre amitié. Heureusement elle est sorti grandie de cette expérience.

F.V. Tout à fait, cher Jérôme ! Et puis c’est vrai que ca fait très longtemps qu’on adore le film de genre et qu’on collabore beaucoup… notamment sur la pomme d’Adam, autour des traitements de la comédie. On est revenu à nos premières amours de genre et c’est ça qui a marché. Nous avions écrit sur des choses qui nous correspondaient moins, car cela répondait plus à un marché…on c’est un peu lassé mais dés que nous sommes revenu à ce que nous préférons, c’est alors devenu beaucoup plus évident. Du coup l’écriture et la collaboration furent vraiment géniales sur ce projet là.

J’ai beaucoup pensé à énormément de grands cinéastes pour La Nuée : Shyamalan, Hitchcock, Cronenberg, Carpenter… Quelle a été votre source d’inspiration principale quand vous avez l’avez écrit ?

J.G. Alors, il y en a eu plusieurs : notamment Phase 4 de Saul Bass, une histoire de fourmis se rebellant contre l’homme, tournée de manière très simple, très naturelle, presque documentaire, et ça crée beaucoup d’émotion. Ça, c’était un de mes points de départ. Et puis très rapidement, durant l’écriture, on s’est tourné vers le genre fantastique, dit naturaliste, dans le sens ou ça pourrait arriver… Typiquement il y a eu les Oiseaux de Hitchcock. les Dents de la mer de Spielberg… un troisième.. euh.. je laisse la parole à Franck

 

F.V. Alors, oui, La mouche de Cronenberg est arrivé très vite dans l’écriture et nous a énormément aidés à structurer le récit, même si les deux films sont très, très différents, mais en ce qui concerne la transformation physique et l’obsession d’aller au bout d’une idée, La mouche nous a beaucoup inspirés. Je repense aussi à une source d’inspiration qui nous a beaucoup guidés quant à la structure profonde, au tout début : Planète interdite qui a été une référence majeure, pourtant d’un genre tout différent : il y a vraiment les forces de l’inconscient et l’obsession d’aller au bout d’une idée même si celle-ci peut nous détruire..

En parlant des influences, il y en a une auquel j’ai pensé immédiatement : Rod Sterling et la célèbre série La quatrième dimension. Était elle une source d’inspiration pour La Nuée ?

J.G. Une source d’inspiration inconsciente puisque cela fait partie de notre culture, des fondements des histoires de genre qu’on aime et je crois que Franck autant que moi, les regardions beaucoup étant plus jeune.

F.V. Oui.. ça fait parti de notre bagage culturel, c’est une référence et c’est marrant puisque je tournais une web série il y a peu de temps et que mon chef opérateur ne connaissait pas La quatrième dimension! Je lui ai fait découvrir quelques épisodes et il a adoré parce que ce sont des récits essentiels. Je pense que ca nous a beaucoup marqués en tant qu’auteur. En le disant et en en discutant… c’est vrai qu’on s’en rendra encore plus compte… mais il y a, sur les 9 saisons, je ne sais combien de récits… beaucoup. Notre génération a grandi avec, dans les années 80, on voyait souvent des rediffusions de la quatrième dimension, on en a été nourri.

 

 

 

EXCLU | Découvrez la Bande Annonce de "La Nuée", le premier film de Just Philippot

Depuis des années, le cinéma fantastique français semble renaître de ses cendres. Je pense au triomphe de Grave de Julia Ducournau en 2017. Avez vous l’impression que l’on va ou qu’on est en train d’assister à un Âge d’or du genre en France ?

J.G. Et bien en tant que spectateur, je le souhaite beaucoup car je serai content d’aller voir des récits qui soient ancrés dans des territoires qui ne soient pas américains. Ainsi retrouver les contes et les légendes qui sont propres à nos civilisations et que nous avions au cinéma dans les années 50, 60, 70, avec des gens comme Franju, Clouzot, René Clair et tant d’autres… tant mieux si c’est le cas !!

F.V. Et puis je pense que c’est une question de période : moi j’ai l’impression, et effectivement l’espoir… qu’on assiste à un âge du cinéma de genre français. Il n’y en a jamais eu un. Il y a eu des périodes avec des films fantastiques et d’anticipation mais peut on vraiment parler d’ âge d’or ? Il y a surtout une chose qui me semble vraiment intéressante : c’est que dans les années 80, 90, nous avons grandi avec ce cinéma américain de genre qui nous a beaucoup inspirés. Le cinéma français est un peu complexé par rapport à ce cinéma là… et donc les films qui en sont sortis durant les années 2000 n’étaient pas forcément dingues. Je pense qu’aujourd’hui, cette génération les a digérés et s’en est inspiré à la française. Grave, par exemple, dont tu parlais, qui est un film que j’adore, est un film qui en a parfaitement assimilé les codes . Spielberg, Brian de Palma et le Nouvel Hollywood se sont aussi inspirés de la nouvelle vague et nous on s’est inspiré d’eux… voilà la création : c’est un cycle éternel !

J.G.

Il n y a pas que l’inspiration du cinéma. Les contes, les mythes et les légendes où l’on parle avant tout de récits empreints de fantastique et de métaphores m’inspirent beaucoup par exemple. Avec La nuée nous avons essayé d’ écrire d’abord une histoire qui fonctionne, de comprendre la trajectoire des personnages, de comprendre leurs erreurs et d’avoir une intrigue qui marche sans élément fantastique. Ensuite, c’est un choix de pousser les curseurs pour avoir du fantastique…

Que vous a apporté à tous les deux, cette collaboration, d’un point de vue personnel et artistique ?

J.G. On s’est beaucoup marré en écrivant ce scénario. Quand je dis « on s’est beaucoup marré », ce n’ était pas une comédie mais on a vraiment pris du plaisir. On a vécu notre passion au quotidien avec des moments où on était perdu mais ça a été vraiment une super aventure doublée d’un encadrement vraiment stimulant intellectuellement !

F.V. Oui, c’ était vraiment du plaisir et c’est ce que je disais hier lors de la projection, c’était très créatif. On a rarement été bloqués. C’ était facile, malgré le fait que cela demandait beaucoup de travail. Il y avait très peu de moments douloureux . C’est toujours surprenant de voir les émotions des spectateurs après la séance mises en opposition avec le plaisir qu’on a eu à écrire ce film.

 L’entomoculture… c’est un domaine qui vous est familier ?

J.G. Et bien cela ne nous était pas familier mis à part des articles et des vidéos qu’on a pu voir sur internet. Mais on s’est renseigné bien entendu, on a mangé des sauterelles (rires) pour écrire le scénario et Franck a pu visiter une ferme a Toulouse …

F.V. Effectivement il y avait une ferme que j’ai pu visiter à Toulouse. C’était très intéressant pour voir le process, pour qu’on puisse en discuter. On en parlait déjà à propos de vidéos, d’articles…. Moi je n’ ai pas mangé de sauterelles mais j’ai mangé des grillons, des vers et puis on a été en contact avec une agricultrice dans le Sud-est, vers Draguignan, qui a inquiété un peu les gens du coin, intrigués qu’elle élève des insectes, parce que il y en avait dans la région qui avaient tué les vignes. Donc notre personnage n’existe pas, mais il y avait une personne qui lui ressemblait et avec qui on avait pu discuter. C’était super intéressant !

 La première chose qu’on remarque dans un film d’horreur généralement, c’est son ambiance, sa mise en scène. Avez vous l’impression, en tant que scénaristes, que votre métier n’est pas estimé à sa juste valeur dans le paysage horrifique moderne.

F.V. Pas seulement dans l’horreur !

J.G. Oui, c’est ce que j’allais dire ! Je n’ai pas l’impression que c’est une question spécifique à ce genre. Le problème c’est que le scénario intervient très tôt dans la production d’un film. Et puis ça ne se voit pas surtout si c’est un bon scénario.C’est un peu comme quand on regarde un bâtiment en architecture : on voit le résultat fini, on imagine tout ce qu’ il a fallu faire pour les travaux, mais personne n’imagine le plan de l’architecte. Bon peut-être un petit peu plus en architecture qu’au cinéma… mais autrement les scénaristes devraient être plus valorisés. Ce qui n’est pas le cas quelque soit le type de film aujourd’hui !

F.V. Mais c’est vrai que la comparaison est hyper pertinente ! Sans architecte, il n’y a pas de bâtiment . Sans scénario il n’y a pas de films et on peut retourner la question dans tous les sens. C’est vrai que les scénaristes et le scénario vont aider le cinéma à devenir meilleur. Les résidences nous ont beaucoup aidés parce qu’il y avait un financement qui nous a soutenus et nous avons travaillé dans un cadre. Parce que souvent, on n’est pas payé quand on est scénariste, ou très mal, ou payé au dernier moment, ou avec un lance pierre… Du coup on a pas le temps de travailler !

J.G. Et puis, même au nom de la vie du film, je ne parle même pas de la promotion, mais de tout un chacun qui va au cinéma.. Je n’ai jamais vu quelqu’un dire par exemple : voilà j’ai vu Jurassic Park, qui a été écrit par David Koepp… pourtant c’est un grand scénariste.

Combien de temps vous avez mis à écrire La Nuée

J.G. Deux ans et demi peut-être… même deux ans, ça a été très court pour nous et je pense court dans le développement d’un long métrage. Les résidences nous ont énormément aidés, à la fois en nous posant des échéances et en nous donnant des outils qui nous ont permis de gagner du temps. On a écrit deux ou trois versions du traitement. On aime passer le plus tard possible au script et on a écrit trois versions du script dont la troisième était la version de production.

F.V. Oui, c’est ça ! C’est que pour nous l’important est d’avoir une structure hyper solide et on est très fiers quand on voit le film parce qu’on voit, d’autant plus qu’on ne l’a pas réalisé, que cette structure fonctionne. Elle fait avancer le récit dans une direction implacable et c’est ce qu’on voulait en tant que scénaristes. C’est à dire qu’il faut que ce soit extrêmement logique et en même temps inattendu. On voulait que les personnages aient une logique que les liens dramatiques soient forts et qu’il y ait du sens.

Prévoyez vous à l’avenir de collaborer de nouveau ensemble sur un projet cinématographique ou autre ?

J.G. Frank et moi avons déjà plusieurs projets ensemble. Une série, un long métrage où on revisite la mythologie des sorcières avec l’envie cette fois ci de l’écrire et de le co-réaliser. On a déjà co-réalisé un court métrage. C’était aussi un test pour éprouver notre façon de faire et notre amitié et nous nous étions vraiment éclatés !

F.V. Voilà on a un projet de film de sorcières sur lequel on travaille en ce moment, ainsi qu’une série. Tous nos projets s’inscrivent dans le genre pour l’instant

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Aïssa Deghilage

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.