Culturopoing est partenaire du salon de l’édition DVD indépendante, dont la troisième édition se tiendra une nouvelle fois dans les locaux du Cinéma la Clef (Paris, 5e arr.), le premier week-end de décembre, samedi 6 et dimanche 7, de 14h à 20h. L’entrée est libre et gratuite.
A quelques jours de l’évènement, nous profitons de cette occasion pour rencontrer les éditeurs présents – dont nous chérissons particulièrement les sorties, les débroussaillages et les soutiens en tous genres – et les questionner sur leurs politiques, leurs goûts, et leurs conceptions respectives de l’édition vidéo…
Premier épisode aujourd’hui avec « Artus Films« , grand défenseur du cinéma d’exploitation tout azimut. Et comme Artus aime le BIS, ce sont deux voix qui se prêtent (de concert) à l’exercice : Kévin Boissezon et Thierry Lopez.
Qu’est-que cela signifie pour vous d’être un éditeur « indépendant » ?
Kévin Boissezon : Pas grand chose en fait, si ce n’est d’être libre et d’avoir des problèmes financiers car on ne dépend pas de grands groupes audiovisuels.
Thierry Lopez : Ah ah, être indépendant, cela signifie être libre !
Est-ce que la notion d’éditeur indépendant recouvre des réalités très différentes, en termes d’échelles de structures, d’implantation sur le marché ?
KB : Oui, nous ne sommes que 2 avec Thierry, et faisons quasiment tout tous seuls. Maintenant que nous avons plusieurs titres c’est un peu plus facile d’être en magasin même si les gros blockbusters squattent les rayons. Il est impossible pour nous d’être dans les grands magasins, même si notre distributeur y travaille, car les rayons se sont réduits et ils préfèrent mettre en avant les films récents.
TL : Bien sûr, nous n’avons pas accès aux mêmes mises en place que pour les majors. A nous de proposer des produits qui plairont aux fans, et de le faire savoir.
Est-ce difficile d’exister, d’avoir une visibilité commerciale ?
KB : Ca va faire 10 ans qu’on existe et on s’est créé un bon réseau qui facilite la diffusion de l’information.
TL : Exister, non. Avoir une visibilité commerciale, oui.
Quelle est votre distribution ?
KB : Nous sommes chez Arcades qui s’occupe de la distribution classique en magasins et nous vendons aussi via notre site internet
Comment définiriez-vous votre ligne éditoriale ?
KB : On édite ce que l’on aime et qui est souvent dénigré par les gros éditeurs.
TL : Le cinéma Bis européen, des années 60 et 70. Avec quelques films hors sujet bien sûr. Mais, en gros, nous nous consacrons aux films de genre qui faisaient le bonheur du public des salles de quartier : épouvante, science-fiction, western, érotique…
Comment se décident les choix (un comité, des envies mises en commun…) ?
KB : C’est Thierry qui s’occupe essentiellement de la ligne éditoriale. C’est l’historien du cinéma de notre duo !
TL : Tellement de bons films populaires sont encore inédits, nous n’avons que l’embarras du choix. Sérieusement, cela vient d’abord de mes envies, de celles de nos fans, puis d’opérations commerciales. Il faut maintenant tenir une certaine cohérence avec l’ensemble de nos collections.
Avez-vous un « public » d’acheteurs en particulier ?
KB : On a beaucoup de férus de cinéma des années 60 et 70. Des personnes qui ont la nostalgie des films qu’ils ont vus en salle à l’époque, et qui sont heureux de revoir.
TL : Je me rends compte que, depuis quelques années, Artus est devenu un peu culte, dans le sens où de nombreux fans attendent nos sorties très impatiemment. Notre public est composé de quelques jeunes cinéphiles curieux, et de seniors qui veulent revoir les films de leurs enfances.
Est-ce qu’il vous arrive d’aller à la rencontre du public pour promouvoir et expliquer les œuvres ?
KB : Oui ça nous arrive de faire des festivals et autres salons, mais c’est assez rare. Il faut dire que nous sommes domiciliés dans le sud. C’est donc plus difficile de se déplacer.
TL : En visite officielle ou non à Gérardmer, Paris, Audincourt, Lausanne… Toujours intéressés de rencontrer notre public et d’écouter leurs envies.
Est-ce que l’édition d’un titre n’est qu’une mise sur support, l’adaptation d’une édition étrangère, ou cela implique-t-il des opérations plus complexes ?
KB : Je laisse la parole à Thierry
TL : C’est bien plus complet que ça. Outre la recherche de la version française d’origine qui, bien souvent, ne nous est pas livrée, il faut prendre en charge le sous-titrage du film, et trouver le matériel visuel existant. Ce qui n’est pas toujours facile pour ce genre de petits films ayant connu une maigre exploitation en salles. Nous amenons systématiquement un supplément exclusif en rapport avec le film, bien souvent, il s’agit d’une analyse du film par un historien du cinéma. Le but, dès le départ, avec ces suppléments, était de développer une encyclopédie audiovisuelle sur le fantastique et le Bis. Depuis cette année, nous sortons des films en coffret avec livre. La mise par écrit est l’occasion d’attiser la curiosité des néophytes quant à ce genre de cinéma. 2014 a vu 3 livres accompagnant les DVD : « Les super héros dans le cinéma italien », « Le cinéma Gothique », et « Le cinéma fantastique espagnol ». Nous espérons ainsi que cela permettra à des jeunes générations de cinéphiles de s’intéresser au genre, et d’entretenir la flamme du Bis. Et puis, bien sûr, il faut bien veiller à ce qu’il y ait une totale cohérence avec nos visuels et l’ensemble de nos collections.
Croyez-vous que l’édition vidéo va de pair avec un complément informatif ?
KB : C’est-à-dire ?
TL : Si vous évoquez les suppléments, bien sûr. Je me suis déjà expliqué au-dessus. L’histoire du cinéma est longue et complexe. Ces films des années 60 doivent être analysés, du moins présentés, pour s’y retrouver.
Quelle part accordez-vous à l’objet, à son identité visuelle, et aux compléments : livret, bonus ?
KB : C’est obligatoire. Ça ne sert à rien d’éditer juste le film sinon les gens vont le télécharger.
TL : Une part très importante. Nous n’éditons pas des films en DVD, mais des DVDs de films avec des suppléments (audiovisuels ou écrits). De plus, il faut peaufiner le produit pour inciter le public à préférer l’objet de collection, plutôt qu’une vision en streaming…
Comment voyez-vous le support vidéo par rapport à la sortie salles : un rattrapage, un prolongement, une autre manière de découvrir ?
KB : Nous faisons essentiellement des films de patrimoine. Ça ne nous concerne pas trop.
TL: Bien sûr, une nouvelle vie. Sans aucune prétention, nous exhumons des films souvent bien oubliés, et leur offrons une nouvelle visibilité pour plusieurs générations. A l’époque des cinémas de quartier, les exploitants projetaient les films sur une période relativement courte et passaient à autre chose. Ces films allaient direct au tombeau. Difficile d’imaginer à cette époque-là, que ces films seraient à nouveau disponibles dans des conditions optimales, plus de 50 ans plus tard.
Comment voyez-vous le développement de la VOD ? Est-ce une concurrence, un « service » différent, ou forcément, quelque chose qui va vous amener à repenser votre pratique ?
KB : La VOD ne marche pas pour nous et en général pour les films anciens. Par contre, la SVOD est un apport financier intéressant. Du coup il faut réussir à avoir les droits SVOD lorsqu’on négocie.
TL: Je ne sais encore pas trop quoi penser avec VOD et SVOD… Difficile de quantifier la perte de ventes de DVD si nos films sont disponibles sur ces plateformes. Je me dis que ce n’est pas forcément le même public. De même que les vrais fans préfèrent posséder l’objet. Mais ça revient peut-être à enterrer le marché de l’édition physique.
Avez-vous des succès commerciaux ? Votre « meilleur » titre ?
KB : La motocyclette avec Alain Delon et Marianne Faithfull a très bien marché. Le coffret « Destination Mars » est aussi épuisé.
TL : Fort invincible, bien sûr. En Gothique, L’effroyable secret du Dr Hichcock ; et pour les Jess Franco : La comtesse perverse.
Celui dont vous êtes le plus fier ?
KB : Je dirai le premier, Le boulanger de l’empereur, entre la création de la société, le déplacement à Prague, la recherche d’un distributeur, le montage financier… Tout ça était un projet fou et maintenant on a dix ans d’existence.
TL : Sans conteste, Le renne blanc. Le film est vraiment magnifique, et personne ne l’avait vu en France pendant 60 ans. Suivi de près par Blanche-Neige, le prince noir et les sept nains, puis par La vengeance de Lady Morgan. Que des films rares et souvent inédits dans le monde entier.
Vous arrive-t-il de persister dans la diffusion de certaines œuvres, ou certains auteurs, malgré des faibles ventes ?
KB : Oui pour toutes les éditions.
TL : Il faut pousser les films autant que possible. Quand ça ne marche pas, bien sûr, il faut relativiser. Par exemple, pour nous, la série B d’horreur américaine ne fonctionne pas. Peut-être Artus est reconnu pour le Bis européen ? Quand on s’écarte de notre ligne, ça ne marche pas toujours.
Y-a-t-il un équilibre à trouver ?
KB : Forcément, il faut compenser les titres à faible rendement avec des titres un peu plus porteurs. Mais des fois on a des surprises, comme les nazisploitations qui ont mieux marché que ce que l’on avait prévu.
TL : Vous parlez de vases communicants entre les films ? Bien sûr, un western américain qui se vend bien nous permet d’acheter deux Gothiques italiens.
Des projets à venir, des sorties, des choses qui vous tiendraient à cœur ?
KB : La sortie du livre sur Jess Franco. On se diversifie.
TL : Oui, le livre qui est annoncé comme la bible Jess Franco. Pour les films, nous allons continuer à explorer le Bis européen, en ouvrant nos collections à d’autres genres.
Merci à Kévin Boissezon et Thierry Lopez.
… le site d’Artus Films, c’est ici : www.artusfilms.com
… et le site du Salon, c’est par là : www.salondvd.fr
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DrOrlof
Oh une bible sur Jess Franco, je suis tout joie !!! Le travail d’Artus est simplement extraordinaire, un régal pour redécouvrir ce cinéma pas toujours accessible.