Entretien avec Aïssa Deghilage et Pierre Audebert.

Le festival Itinérances ( d’Alès en Cévennes ) a toujours eu une prédilection pour les acteurs populaires et charismatiques. Après avoir reçu il y a plus d’une dizaine d’années son complice Sergi Lopez, l’édition 2017 rendait un important hommage au comédien belge le plus apprécié des alésiens, Olivier Gourmet. Hors une rétrospective très suivie par les spectateurs et son actualité chargée, c’était aussi l’occasion de rencontres entre un acteur passionnant et le public séduit par son verbe fécond. Aussi impressionnant en chair et en os ( et beaucoup plus grand qu’il n’en donne l’impression dans Terre battue par exemple ) qu’à l’écran, Olivier Gourmet est précis et réfléchi, ce qui ne l’empêche pas de dégager une grande jubilation intérieure. Malgré nos tentatives d’humour belge pour le déstabiliser ou pour comprendre l’impact de ses incarnations sur l’inconscient collectif, il reste simplement ce bosseur infatigable, animé par l’amour de son métier et attentif à son entourage. Indéboulonnable !

On a l’impression que comme un roc, une montagne – ou pour parler belge, un terril – que vous avez toujours fait partie du paysage. Vous avez été révélé en 1996 par La promesse. Vous aviez 33 ans, chiffre christique ! ( rire ) Pourrait-on dire comme Serge Avédikian ( du titre de son dernier film présenté au festival ) que vous étiez « Celui qu’on attendait » ?
Bah… ça serait prétentieux de dire que je suis celui qu’on attendait. Disons que moi j’attendais depuis un certain temps l’opportunité de faire du cinéma, même si je ne cherchais pas… Ça a été une rencontre fortuite avec les frères Dardenne fin 94, début 95… Non, on ne m’attendait pas, je ne pense pas. Il y a des tas de comédiens aussi biens que moi. Il n’y avait pas besoin de moi pour faire partie du paysage audiovisuel français. Mais moi, ça me fait plaisir que vous m’ayez fait confiance, à la fois en Belgique et en France ! Je suis heureux que ça continue et qu’on me propose toujours des rôles.

Cette force, cette maturité que vous dégagez dans l’esprit du public, elle vous est venue par l’apprentissage au Conservatoire, par vos nombreuses années sur les scènes de théâtre ou vous aviez déjà dès votre jeunesse des dons pour le jeu et pour la Comédie ?
Cette force vient de beaucoup de choses je pense. Elle vient à la fois de la formation que j’ai eue, des professeurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer durant cette période. J’ai été bien formé, le Conservatoire à Liège est une bonne école et le reste encore aujourd’hui, qui voit et élabore les choses assez différemment de certaines écoles. On nous laisse beaucoup de choses en mains, que ce soit à la fois au niveau des décors ou de la gestion de notre temps de travail. Les locaux sont accessibles, on peut travailler la nuit, on peut y rester autant qu’on veut. Il n’y a pas vraiment d’horaires fixes si ce n’est pour les cours parallèles, en tout cas à l’époque, qui sont Formation corporelle, Histoire du Théâtre où là c’était le cursus scolaire classique, cinquante cinq minutes par cours. Et puis tout ce qui était formation théâtrale, les projets qu’on initiait de trimestre en trimestre, les heures n’étaient pas comptées. Les professeurs et les assistants travaillaient et ne comptaient pas leurs heures, jusqu’à ce qu’on soit tous contents et que chacun puisse tirer son épingle du jeu et soit représenté correctement. Après, cette force elle vient aussi de l’éducation que j’ai reçue de par mes parents, de ce qu’ils m’ont transmis.

OLIVIER GOURMET, ACTEUR, PHOTOGRAPHIÉ AU FESTIVAL CINÉMA D'ALÈS ITINÉRANCES, MARS 2017 - ©Patrice Terraz/Signatures

OLIVIER GOURMET, ACTEUR, PHOTOGRAPHIÉ AU FESTIVAL CINÉMA D’ALÈS ITINÉRANCES, MARS 2017 – ©Patrice Terraz/Signatures

Le fil conducteur de vos premières années de carrière au cinéma, ce sont d’abord les films de Luc et Jean-Pierre Dardenne, à tel point qu’on ne sait plus qui a fait décoller qui… Cette collaboration a créé une complicité hors du commun…
Hors du commun, je ne sais pas parce qu’ils sont très mystérieux, ils continuent à l’être. Ce sont des amis, ça a créé une vraie amitié. À un moment donné, on se voyait, sur les trois premiers tournages en tout cas, et on disait « C’est le troisième frère ! ». C’était une fraternité. Après, quand ils écrivent, personne ne sait rien jusqu’au dernier moment. La Régie intervient assez tôt sur les repérages. Sur la préparation du film, on sait un tout petit peu de choses, mais très peu ! Ils font lire le scénario au dernier moment, donc au niveau du travail sur l’écriture et la préparation d’un film, non, on ne peut pas dire qu’il y ait une vraie complicité. Après, il y a complicité sur le plateau, parce qu’on se connaît, qu’il n’y a pas besoin de beaucoup se parler et qu’on peut se permettre des moments de détente parce qu’on sait que chacun à certains moments va reprendre le dessus ( rire ). Voilà, ça crée une une détente, une facilité. Moins de paroles… oui, plus d’aisance et de rapidité ! Parce quand on connaît leur façon de faire, leur univers et qu’on a plus ou moins la même sensibilité, on va plus vite aux choses, ça c’est sûr !

Vous disiez au public du Cratère ( Scène Nationale d’Alès où se déroule le festival ) que vous aviez fait beaucoup de boulots différents jusqu’à l’âge de dix huit ans. Est-ce que la réussite de votre travail avec la fratrie belge la plus célèbre de la planète ne viendrait pas aussi de votre connaissance très pragmatique du monde du travail ?
Oui. Il y a de ça parce que dans le cinéma des frères Dardenne – en tout cas moi dans les rôles que j’ai eus -, le personnage est souvent ancré dans une profession définie et qui a une importance dans le personnage, dans leur univers et dans le film parce qu’ils sont assez près d’une certaine vérité pour tout ce qui est gestuel et surtout physique. C’est un cinéma physique et de corps, donc le fait d’être habitué à la matière, aux choses, à l’espace et au travail manuel facilite les choses.

Vous avez souvent chez eux et chez d’autres cinéastes incarné la figure du père : père protecteur, père rédempteur, éducateur et même corrupteur dans La promesse. Est-ce que ce ne serait pas finalement cette figure symbolique qui créerait un attachement si fort , un véritable lien affectif avec votre public ?
Ça c’est possible, il faudrait poser la question au public, si c’est cette image de père, qui a traversée quelques films qui fait qu’il y a ce rapport et ce lien avec le public… C’est vrai qu’on m’a proposé beaucoup de rôles de père et encore tout à l’heure, dans la projection de Terre battue où c’est de nouveau l’histoire d’un père et de son fils. Voilà, mais ça ça fait partie du hasard des scénarios et de la volonté des réalisateurs plus que de la mienne. Moi j’insiste toujours sur la transmission plus que sur le rôle de la paternité. Un père, c’est aussi la transmission, ne fussent que des limites, des repères pour aider à grandir et à s’épanouir. L’enfant doit faire sa propre vie. Dans ce sens là, ça nous touche tous. Tous les jours on est confrontés à ça, qu’on soit parent ou enfant de parents, quelque soit l’âge. Même moi aujourd’hui à cinquante trois ans, mon père est décédé mais avec ma maman, il y a toujours quelque chose qui continue, que ce soit l’amour… L’amour, ça se transmet aussi. Quelque chose de primordial et de vital dans une famille, c’est de transmettre l’amour.

Terre Battue de Stéphane Demoustier - © Lesfilms Velvet 2013Terre Battue de Stéphane Demoustier – © Lesfilms Velvet 2013

Comment s’est passée la collaboration avec Vincent Cassel pour Sur mes lèvres ?
C’était amusant. A l’époque il commençait à être connu, il n’était pas encore la star qu’il est aujourd’hui. Les choses étaient simples, très simples. Il y avait Emmanuelle Devos… Il est généreux, disponible, donc ça s’est passé sans aucun problème, sans aucun soucis. C’était que du plaisir. Il y a juste une scène là, où c’était un peu… Il a eu très peur parce que ( rire )-c’est une anecdote… A un moment donné, je le noie dans une baignoire et je me suis amusé à le laisser un peu trop longtemps ( riant tout du long ) Mais, pas que j’avais une dent contre lui ou que je voulais lui faire mal, mais qu’il ait juste un peu peur… C’était un peu taquin de ma part ! C’était plus par rigolade, parce que je savais que je pouvais me le permettre, qu’il n’allait pas s’offusquer, donc ça veut dire que la complicité était là et qu’on s’entendait bien quoi !

En 2001, vous avez incarné l’inoubliable René dans le très beau film de Jean-Pierre Sinapi, Nationale 7, présenté aussi à Alès. D’autre part, les frères Dardenne disent que vous fonctionnez par imprégnation. Comment avez-vous approché dans ce cas précis la réalité du handicap ?
Concrètement, en me mettant dans la peau d’une personne à mobilité réduite et atteinte de myopathie, en travaillant avec un monsieur qui s’appelle Daniel Bacon, qui est décédé depuis de cette maladie, la myopathie. J’ai passé trois jours avec lui dans un foyer à Paris où il vivait et on partait tous les deux en chaises roulantes et il me faisait faire les gestes au quotidien donc je le regardais. Je regardais comment il bougeait. C’était par mimétisme, par reproduction… Et moi j’attache toujours de l’importance à trouver à l’intérieur la blessure, de manière à ce que ces gestes soient habités par quelque chose.

De part votre énergie débordante, on vous a surnommé, comme  il était rappelé dans le documentaire qui vous a été consacré ( Olivier Gourmet, exercices de style, d’Yves Montmayeur, 2010 ), le « sanglier des Dardenne ». Par ailleurs, plusieurs de vos personnages marquants sont animés par une sorte de modjo sombre ( rire ), un peu inquiétant, quel est à l’opposé le rôle le plus romantique que vous ayez eu à interpréter dans votre carrière ?
Il y en deux. Non je dirais, le plus romantique, c’est celui qui sort aujourd’hui, Sage Femme, de Martin Provost. Parce que là c’est tout à coup un personnage léger, solaire. Pas du tout sombre, tout l’inverse. C’est justement lui le rayon de soleil dans ce film par rapport à ces deux femmes qui ont chacune une blessure intérieure assez vive et lui est là en tant que symbole de la liberté, de la tendresse, de l’amour, du respect et de la simplicité. De l’humain.

Olivier Gourmet au festival Itinérances 2017 - © Alix Fort - https://twitter.com/AFortographie Olivier Gourmet au festival Itinérances 2017 – © Alix Fort – https://twitter.com/AFortographie

De par votre carrure, vous m’évoquez des acteurs américains comme Robert de Niro, Marlon Brando ou plus récemment James Gandolfini. On peut dire que vous êtes l’acteur le plus américain du cinéma belge…
Certains réalisateurs le disent… J’ai fait le film d’Ursula Meier, Home, avec Isabelle Huppert et elle m’a dit : « Voilà, je t’ai choisi toi, parce que t’as quelque chose de l’acteur américain », quelque chose que moi je ne m’explique pas, si ce n’est peut-être par la formation… C’est vrai que quand j’ai commencé à regarder beaucoup de cinéma, j’ai tout de suite été attiré par Robert de Niro dans Raging bull ou Taxi driver. Il y avait quelque chose de différent dans la façon d’aborder le personnage et de vivre un rôle dans un film, donc ça m’a inspiré. J’ai lu beaucoup sur les techniques de l’Actor’s Studio. J’ai essayé de les appliquer avec ce que je travaillais moi-même au Conservatoire, dans certaines scènes, dans une certaine façon de jouer, même au Théâtre. Qui soit plus intime et plus intérieure, même s’il faut monter les curseurs pour parler à toute une salle. Quelque chose de précurseur au niveau du Théâtre : pas avoir peur de jouer de dos, de jouer beaucoup avec les silences, le corps… Comme j’étais influencé par la danse et même si je suis très mauvais danseur, je trouve qu’on exprime tellement de choses avec peu de choses, juste par un geste, bien approprié, au bon moment. Et intérieur aussi. Mais quand on a beaucoup de technique, même si le geste n’est pas habité mais qu’il est fait au bon moment, il y a des jours où vous n’êtes pas empreints des choses… Ça raconte beaucoup. Comme la photo m’inspire aussi beaucoup. On peut raconter uniquement avec une photo et tout l’imaginaire qu’on peut susciter chez quelqu’un qui la regarde ! Il n’y a pas besoin de beaucoup de mots pour susciter l’émotion, il y a vraiment d’autres voies et ça c’est plus de fait, un jeu anglais ou américain. Le cinéma français ou le jeu français est souvent plus bavard.

En plus de votre carrure et de votre physique, on sent une intensité intérieure aussi. Le mélange des deux crée cette complexité…
Il y a des jours avec et des jours sans mais… Je pense que l’émotion, elle traverse d’abord le corps. Si elle ne le traverse pas d’abord, elle n’est pas juste. Tout votre corps commence à vivre avec cette émotion, complètement, sans que ça ne passe par votre cerveau. Et bien souvent l’acteur, lui son premier filtre c’est le cerveau, alors que ça ne devrait pas. Ça devrait d’abord être ses tripes, ce qu’il ressent et après le corps se met en mouvement par rapport à ce qu’il ressent. Même la façon de parler va se mettre en mouvement, au diapason de l’émotion que vous avez.

En amont du fleuve de Marion Hansel - 2017 © Man's Films ProductionsEn amont du fleuve de Marion Hansel – 2017 © Man’s Films Productions

En 2011, vous avez incarné un impressionnant ministre des transports, un de vos rôles les plus célèbres, dans L’exercice de l’État de Pierre Schoeller. Vous avez aussi interprété le rôle d’un communicant dans le rôle de Michel Muller, Hainaut président. Comment avez-vous approché cette nébuleuse et est-ce que vous portez aujourd’hui un regard différent sur le monde politique ?
Le film de Pierre Schoeller était extrêmement bien construit. C’est un grand metteur en scène, un grand bosseur. Il travaille ses sujets, il les prépare à fond donc il s’est plongé dans une documentation, un tas d’information, sur le milieu qui a quand même duré plusieurs années. C’est un film qu’il avait mis dans un tiroir à une époque parce qu’il ne se sentait pas prêt. Il n’était pas satisfait par la somme de travail et par le résultat. Alors il a fait Versailles entre temps et puis il est revenu sur ce film, en prenant du recul et de la distance. C’est rare. Je rencontre trop de metteurs en scène qui sont pressés de faire leur film. Et des producteurs qui sont vite contents de certains scénarios, alors que ça manque encore d’aboutissement et de finition. Ce n’est pas le cas avec Pierre Schoeller ! Pour la préparation du film, Pierre avait une idée du rythme. C’est un des rares réalisateurs qui ait en tête la partition musicale. Il y tenait beaucoup et il insistait pour que je prenne, que je ressente le rythme qu’il puisse y avoir à l’intérieur d’un ministère. Donc j’ai passé deux jours – j’aurais voulu avec le ministre de l’Intérieur mais c’était top secret, enfin il y a des choses que je n’aurais pas pu entendre, donc c’était impossible – donc j’ai fini au ministère de la Culture avec Frédéric Mitterrand ( rire), ce qui est différent. Mais même à l’intérieur du ministère de la Culture, j’ai pu me rendre compte malgré tout de la somme de travail, de l’urgence, de la pression et de toutes les contraintes que le métier supportait. Je me suis aguerri comme ça et aussi avec des lectures. Pierre m’avait fourni beaucoup de lecture avant le tournage. Là je fais le prochain film sur la révolution française, il m’a déjà envoyé six bouquins qu’il trouve intéressant qu’on lise, nous acteurs, avant de démarrer. Après, sur ma vision de la politique, je m’y intéresse depuis longtemps. J’avais une vision des hommes politiques et L’exercice de l’État ne m’a pas spécialement fait changer d’avis, il a plutôt confirmé ce que je pensais déjà : il y a toute sortes d’hommes politiques ! Il y en a encore, et heureusement, certains qui ont le devoir de la nation et du citoyen et d’autres moins…

En tant que citoyen éveillé à ces questions, est-ce que vous suivez la campagne française et que pensez-vous de l’évolution du climat politique de ces dernières années ?
Oui je la suis beaucoup, à la fois belge et française. Aujourd’hui, la politique échappe à la population. Pour faire simple, le problème c’est que le pouvoir déroute les missions essentielles. Assez bizarrement, c’est comme ça ! On passe beaucoup de temps à vouloir être réélu et moins à travailler.

De nombreux comédiens belges se sont imposés sur la scène internationale : Benoît Poelvoorde, François Damiens, Déborah François, Jean-Claude Van Damme… Que pensez-vous de la place du cinéma belge sur la scène internationale et comment voyez-vous son avenir ?
L’avenir nous le dira ! ( rire ) Là, on est dans les belles années du cinéma belge. Je pense que ça peut être cyclique aussi, comme il y a eu les belles années du cinéma italien et aujourd’hui, il n’est plus vraiment au premier plan. Donc on verra, j’espère que ça dure, c’est tout ! Au moment où le cinéma francophone, les Dardenne, Poelvoorde et autres, a eu cette reconnaissance dans les festivals et cette répercussion au niveau mondial, le cinéma flamand lui par contre était assez inexistant. Aujourd’hui, c’est plus le cinéma flamand qui tout à coup prend le dessus… Il y a quelque chose de plus frais. Le cinéma belge francophone, je ne dirais pas qu’il est en train de mourir de sa belle mort, mais peut-être déjà en train de tourner en rond. Heureusement, il y a des maisons de production qui s’ouvrent, des jeunes qui sortent des écoles et j’espère qu’ils auront l’opportunité de faire des films et d’être vus. C’est important le renouvellement, des jeunes qui viennent avec d’autres idées, d’autres façons de faire. C’est une émulation ! Si on a un regard juste, si on n’est pas envieux – parce que des fois, c’est un panier de crabes où l’un dit que ce que l’autre fait est pire que tout et vice versa. Être inspiré par les jeunes qui apportent quelque chose de neuf, ça peut botter le cul des plus anciens ! Mais il faut leur donner de la place…

Sage femme, de Martin Provost © Curiosa Films

Sage femme, de Martin Provost © Curiosa Films

En 2017, vous êtes un peu sur tous les fronts. Vous avez parlé de Sage Femme, il y aussi le film de Kiyoshi Kurosawa qui sort ce mois-ci, et présentés au festival  Grand froid et En amont du fleuve de Marion Hansel. Le terrain minéral, sauvage du site de tournage du film de Marion Hansel et les difficultés physiques qui découlaient du scénario ont-elles joué sur les conditions de travail ou sur votre relation avec Sergi Lopez ?
Avec Sergi Lopez, non. ( il rit intérieurement ) On était suffisamment complices. Le décor naturel aide toujours, surtout sur un film de Marion Hansel où il y a à la fois beaucoup de contemplation et de silence, et où la nature est un personnage à part entière. Nous acteurs, ça nous aide, d’avoir à faire de vrais efforts physiques, à certains moments où la scène les nécessite parce qu’il en résulte qu’on est essoufflés, qu’on a mal, ou ceci ou cela. Le faire pour de vrai aide, parce que ça passe par le filtre du corps qui subit vraiment les choses. Sans se faire violence ! On n’est pas masochistes, on fait d’abord ce métier pour le plaisir ( en soufflant ). On est de grands amateurs de plaisir Sergi et moi. Mais on aime travailler dans la rigueur et la difficulté aussi, mais sans souffrir. On ne va pas mourir pour le cinéma pour autant…

( rire ) Vous disiez qu’il était plus difficile, par la différence culturelle, de tourner avec Kiyoshi Kurosawa. Qu’est-ce que vous a apporté cette expérience justement ?
Je ne sais pas encore… Sans doute quelque chose, comme tout nouveau film ou toute personne qu’on rencontre, elle a une empreinte sur vous, qu’elle soit consciente ou inconsciente. Il y a des réalisateurs qui vous marquent d’avantage de par certaines choses, par certaines phrases ou certaines façons de faire, parfois en bien ou parfois en mal d’ailleurs. Kiyoshi c’était assez difficile parce que c’est un univers très éloigné du mien. Mais ça, c’est mon problème. Je connaissais un peu son cinéma, je n’étais pas fan de tout. J’aimais Tokyo sonata mais tout ce qui est films avec des fantômes, c’est pas vraiment ma tasse de thé. Mais je suis curieux, c’est comme d’essayer un restaurant avec une cuisine qu’on n’a jamais faite. C’est la cuisine moléculaire, on va y aller, on va se dire « Ouais c’est pas mal, j’aime bien ! » Au moins, on découvre une première fois ce que c’est. Moi je suis curieux, j’aime bien traverser d’autres univers s’ils sont assez éloignés du mien. Ça permet d’aller vers l’autre, d’appréhender la différence. Et de l’accepter. Et de la vivre permet de mieux la comprendre. Donc ça m’a peut-être apporté plus de compréhension de son cinéma et sur ce qu’il est, sur ce qui l’anime.

Dans quel personnage a-t-il été le plus difficile d’entrer et quel est celui qui a vous a demandé le plus de temps de préparation ?
Le plus de mal, c’est celui de Kiyoshi Kurosawa parce que c’était compliqué pour moi. Je suis plutôt un acteur terre à terre, concret. J’ai besoin de connaître ce que traverse le personnage, de me construire une vie qui fait que ce personnage est tel qu’il est à ce moment là. Le personnage de Kurosawa était abstrait, un peu comme les mathématiques ! Avoir peur d’un fantôme, moi je ne sais pas ce que c’est. Vous me diriez : avoir peur de la mort, je ne l’ai pas encore affrontée, souffrir de la disparition d’un enfant, je n’ai pas perdu d’enfant. Mais on peut toujours trouver dans sa propre vie certains événements qui se rapprochent de ça. Là, j’avais du mal à trouver. Dans la formation, on reçoit ce qu’on appelle la « mémoire affective ». On doit rechercher dans sa propre vie des souvenirs qui peuvent vous mettre dans la même situation que ce que le personnage est en train de vivre. La peur du fantôme… J’avais bien des souvenirs de petit, enfant, d’avoir eu peur la nuit ou le soir, d’avoir peur du noir ou d’un bruit, des choses comme ça. Mais là j’avais l’impression de jouer tout le temps devant… du vide, puisqu’un fantôme, c’est du vide. Le fantôme dont il a peur, c’est sa femme et l’actrice qui faisait ma femme n’était là que de temps en temps, à chaque fois que je devais avoir peur d’elle. C’était assez complexe pour moi d’avoir peur du vide et de ne pas avoir un partenaire en face de moi. Maintenant, le personnage qui m’a demandé le plus de temps de préparation, c’est peut-être Nationale 7. Parce que c’était beaucoup de temps de travail pour avoir les gestes justes et que ce ne soit pas une caricature, que ce ne soit pas burlesque et… que ce soit sensible.

Si demain, vous n’interprétiez plus que des aristocrates en costume d’époque ou des membres d’une certaine élite culturelle, est-ce que vous pensez que votre empreinte perdurerait autant dans l’inconscient collectif ?
Ça dépend de la qualité des films. Je pense que si les films, les personnages et les sujets sont bons, quelque soit le rôle, oui, je pense que ça peut perdurer. Que ce soit un salaud aristocrate, ouvrier ou paysan, ça marquera autant les esprits… On dira « Mon dieu quel bel aristocrate pourri vous faites ! » ( rires )

Entretien réalisé pour Culturopoing et Radio Escapades. Prise de son : Aïssa Deghilage. Moyens techniques : Radio Escapades. Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier, Julie Uski-Billieux et Eric Antolin, ainsi que Patrice Terraz et Alix Fort pour les portraits d’Olivier Gourmet.

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