Habitué du festival Itinérances à Alès, où il avait présenté ses précédents films Marian, Zaneta  ( qui traitaient du racisme anti rom et de leur situation sociale ), puis Nous ne sommes jamais seuls, Petr Václav nous revient avec un film plus optimiste, Skokan. Un road movie à la fois drôle, cruel et émouvant sur un junkie et ancien taulard qui rêve de devenir une star. L’une des grandes forces du film est cette tendresse avec laquelle Petr Václav filme son personnage principal, brillamment interprété par Julius Oracko. En effet, le désir de célébrité du protagoniste comme les méthodes pour arriver à ses fins, paraissent complètement rocambolesques. Il traverse ainsi l’Europe en stop pour venir à Cannes ( le passage au festival est d’ailleurs le plus beau moment du film ), s’y fait passer pour un comédien professionnel et ce, dans le but d’épater une jeune actrice ( Karidja Touré ), avant de prendre finalement la poudre d’escampette une fois réalisé le grotesque de la situation. Toutes ces péripéties pourraient prêter à rire et pourtant, le regard du réalisateur est toujours bienveillant et sans une once de misérabilisme. Retrouvailles avec un cinéaste qui, à l’instar de son héros, reste avant tout un grand voyageur.

 

L’an passé, vous aviez résumé votre précédent film Nous ne sommes jamais seuls, en ces termes : « C’est la rencontre entre un gardien de prison parano et un chômeur hypocondriaque ». Comment résumeriez-vous votre nouveau long-métrage ?

Comme un road-movie. Il raconte le voyage d’un jeune Rom qui sort de prison. Il retourne dans son ghetto. Il n’a pas de travail, pas de logement. Il veut échapper au cercle vicieux de la vie du multirécidiviste. Il part alors à travers l’Europe à la recherche du bonheur…

Qui est l’acteur qui interprète le personnage principal ?

Julius Oracko. Il a 37 ans, c’est un Rom tchèque. Il se droguait déjà à l’âge de 14 ans et a fait de nombreuses années de prison. Je l’ai rencontré dans la ville de Dux, à côté du château où est mort Casanova et où il a écrit son Histoire de ma vie en tant que bibliothécaire du conte Wallenstein. Je lui ai donné un petit rôle ( à Julius, pas à Wallenstein ) dans Zaneta ( Cesta ven ). Mais il a été condamné pour le recel de fer juste après ce premier tournage. J’ai même fait les post-synchros avec lui dans la cour de la prison, puis on l’a emmené pieds et mains liés. Mon monteur Florent Mangeot m’a tanné dans la salle de montage :  « Fais-le jouer à nouveau ! » Alors on s’est dit qu’on lui consacrerait un film. Et on a aussi aimé le défi de devoir le faire sortir de prison. On avait promis au juge qu’on assurerait sa réinsertion grâce à ce nouveau film. Ce qui depuis deux ans, a réussi pour le moment. On a débuté le tournage trois semaines après sa libération. Le film commence d’ailleurs par sa sortie de prison. Il retourne alors dans son ghetto rom. Là-bas, il comprend qu’il n’a aucune chance d’y vivre bien et de ne pas être mêlé à ce qui pourrait à nouveau le conduire derrière les barreaux. Que peut donc faire aujourd’hui un type qui n’a pas de diplôme, qui est Rom et avec un casier judiciaire long comme ça ? Rien ! Julek veut alors devenir populaire. Parce que c’est le seul truc qui paye et où on ne vous demande pas votre diplôme. Et comme on parle à la télévision du festival de Cannes qui va commencer bientôt, il se persuade que c’est sa chance. Que là-bas, il deviendra une star. Il traverse donc la France en stop pour se rendre à Cannes. Hélas, il échoue. Il ne devient pas célèbre mais continue au contraire un chemin au bout duquel il trouvera l’amour.  Cette histoire est à la fois inventée et étroitement liée au personnage de Julius. C’est un film où la fiction et le documentaire sont inextricables.

Julius Oracko dans Skokan (2017) de Petr Vaclav

On sent que vous aviez envie de revenir à quelque chose de plus simple. Est-ce qu’on peut qualifier ce film de parenthèse entre votre précédent Nous ne sommes jamais seuls et le film que vous préparez et qui se passe au XVIIIe siècle en Italie ?

Non. Ce film est une conséquence des films précédents. Je souhaitais continuer avec mes non-acteurs roms. Mais autrement. J’ai voulu prendre la liberté de travailler à la manière de la Nouvelle Vague, avec un scénario lacunaire. Filmer au jour le jour. Souvent, j’écrivais le scénario mentalement dans la nuit. On tournait dans les lieux que nous trouvions en cheminant, avec les gens que nous rencontrions plus au moins par hasard. On s’est donné le temps d’un printemps et d’un été pour faire le film de la manière la plus libre possible. Normalement, vous travaillez selon le scénario, vous devez réussir à remplir le plan de travail. Rien n’est laissé au hasard. Tout ce que vous avez préparé parfois pendant des années, doit entrer dans la boite en quelques heures, jour après jour. Avec des contraintes de production, de budget, de temps. Vous n’avez pas le droit à l’erreur. Skokan, c’était tout le contraire. Nous n’avions aucun plan de travail. On n’avait pas l’argent pour manipuler le réel… Aussi, j’étais comme l’eau, je contournais les obstacles. Je faisais avec ce que j’avais à ma disposition dans des lieux qu’on a souvent trouvés par hasard. Ce qui veut dire aucune chance de louer un endroit, d’interdire la circulation etc. Il fallait se fondre dans le décor naturel. Mais j’aimais ça ! On a essayé de saisir le moment, les lumières telles qu’elles se présentaient.

L’Italie, la France, pourquoi avoir choisi ces pays en particulier ?

Parce que j’ai voulu emmener Julius sur un terrain qui lui est inconnu et rester moi-même dans les pays que je connais bien. J’ai voulu séparer le Rom tchèque de son décor, observer tout ce qu’il transporte avec lui, où qu’il aille.
Et puis, on voulait se donner le plaisir d’aller vers le Sud. J’ai aussi voulu exprimer mon amour pour le printemps, l’été, pour l’eau, l’herbe… Pour la nature, les paysages… Comme j’avais tourné Zaneta dans le bassin minier en République Tchèque, dans la neige et dans la boue, alors là j’ai vraiment voulu aller vers le soleil. Un peu comme Van Gogh quand il a quitté la Hollande pour Arles…

Quel genre de péripéties avez-vous vécu sur ce tournage ?

Nous étions soutenus par un certain nombre d’institutions. Mais comme nous étions dans une urgence qui ne correspondait pas à leur rythme, on a eu un sacré problème de cash-flow. Par moment, on n’avait plus une tune pour payer l’essence ou les hôtels, les restaurants… Je faisais des chèques en bois. Je demandais aux restaurateurs et aux hôteliers d’encaisser le chèque plus tard. Il y a aussi des amis qui nous ont prêté de l’argent quand on était à sec. Tout le monde était chic avec nous. On a passé un bel été.

Klaudia Dudova dans Skokan ( 2017) de Petr Vaclav

Revenons en à vos acteurs…

Skokan achève cette période de ma vie ( entre 2013 et 2016 ) où j’ai constitué une troupe de non-acteurs roms. Après un premier film ensemble, on n’avait pas envie de se quitter. Et puis Klaudia Dudova a été nommée meilleure actrice tchèque de l’année, ce qui a été une grande surprise pour une jeune femme découverte en casting sauvage. Et je crois que ça a été important pour les Roms de voir à la télé en direct une Rom qui réussit au milieu du gratin du show biz tchèque. L’ancien enfant des rues, Zdenek Godla, a fait trois films avec moi et il continue maintenant à jouer dans les séries télé. J’ai aussi retrouvé Milan Cifra qui avait interprété le rôle principal de mon premier film Marian ( 1996 ). Je crois que je saurais tirer encore un film de cette collaboration et de ces amitiés, et même peut-être meilleur que tous les précédents. Mais cela pourrait aussi être un piège. J’ai d’autres envies, d’autres projets…

Est-ce que la séquence à Cannes s’inspire d’une expérience personnelle ?

Non, mais je crois que parmi les festivaliers accrédités, dans ceux qu’on n’invite pas avec tous les honneurs, beaucoup le vivent comme Skokan. Ils pensent que quelque chose va se passer, va s’ouvrir pour eux. Mais il ne se passe rien. Rien ne s’ouvre.

D’ailleurs le personnage devient de plus en plus désabusé au fur et à mesure de cette séquence…

C’est quelqu’un qui a fait un choix exceptionnel. Il décide de changer sa vie. C’est sans doute naïf, voire même bête, de se dire que c’est à Cannes qu’il deviendra un acteur célèbre à plein temps, mais c’est tout de même une grande entreprise de sa part. Une fois sur place, il est ébloui par les lumières, les smokings, les femmes. Mais il comprend assez vite qu’il n’y arrivera pas. Il retombe alors dans la résignation. Logiquement. Il se dit que le Rom est né pour la tragédie, pour une mauvaise vie. Il traverse une sale période avant de trouver le sens de sa vie, le bonheur, cet amour retrouvé…

Comédie, polar, road-movie, d’où vous vient cette prédilection pour le mariage des genres ?
En fait, je n’arrive pas à prendre les genres au sérieux.

Dans une Europe tiraillée entre l’extrême droite et l’ultralibéralisme, arrivez vous encore à rester optimiste quant à l’avenir des Roms ?

Non. En tout cas, c’est mort pour les vingt années à venir. Après, je ne sais pas, le monde est devant des changements énormes et imprévisibles. La vision pessimiste du monde me semble plus lucide que celle des optimistes, mais je refuse d’être désespéré. Je me comporte alors comme un optimiste.

 

Entretien avec Aïssa Deghilage pour Culturopoing et Radio Escapades. Moyens techniques : Radio Escapades. Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier et Eric Antolin. Photo de tête : Nicolas Evesque – 2018.

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