A l’occasion de la sortie d’Adieu, Mandalay (pour lire la critique, c’est ici), le cinéaste Midi Z nous a accordé un entretien. Il évoque notamment les origines du projet, sa conception du cinéma et la manière dont il a pensé l’atmosphère du film.
Qu’avez-vous voulu montrer du doigt en choisissant le thème des clandestins pour sujet de votre film ?
Adieu, Mandalay est basé sur une histoire vraie. Les faits se sont déroulés dans ma ville d’origine, Lashio Myanmar. Un garçon et une fille décident d’émigrer en Thaïlande ensemble. Durant trois ans, ils travaillent illégalement à Bangkok. Ils mettent de côté de l’argent afin de retourner à Myanmar et de s’y marier. Mais trois jours après la cérémonie, le jeune homme tue son épouse et se suicide. Pourquoi me direz-vous ? Des visions divergentes. Des rêves différents. La jeune femme désirait retourner en Thaïlande. Pas lui. En revanche, son addiction à la drogue est passée sous silence dans le film. Mais l’histoire d’Adieu, Mandalay est née de ce fait divers.
A Myanmar, de nombreuses personnes franchissent la frontière et tentent de trouver une vie meilleure en Chine ou en Thaïlande, pays voisins. Ce genre d’histoire est malheureusement très commune. Mes amis, mes relations, mes frères et sœurs ont tous connu ce type d’expérience. Comme les personnages de mon film. Si je n’avais pas eu la chance de devenir cinéaste, je serais moi aussi devenu un de ces personnages.
Pensez-vous avoir fait ce film à des fins politiques, pour dénoncer la politique de la Birmanie ?
Non, je n’ai pas besoin de faire un film pour des raisons d’ordre politique. Si les gens qui voient le film y voient une intention politique, une dénonciation soit mais il ne s’agissait pas de mon intention, de mon désir. La situation en Birmanie a beaucoup évolué. Et dans un sens positif. Nous avons un nouveau gouvernement et des élections libres. Désormais, le NLD (La Ligue nationale démocratique, parti dont le leader est Aung San Suu Kyi) est au pouvoir. Bien sûr de nombreuses rumeurs dénoncent le fait que le NLD n’a pas de réel pouvoir parce que , selon les régions, les militaires sont encore très puissants. Et ils œuvrent contre les décisions politiques du NLD. Alors oui, le pays change mais le changement s’opère très progressivement. Très lentement.
Ce qui est particulièrement intéressant dans votre film c’est la manière dont vous avez su vous emparer des espaces géographiques, la manière dont vous avez su filmer les paysages, la forêt tropicale et tous les décors, tels les bureaux ou les arrière-cour. Que pouvez-vous nous dire de cette attention aux décors ? De cette manière de vous emparer des personnages en les capturant dans votre toile ?
J’ai essayé de faire un film qui s’attache à une forme d’objectivité, un film très calme (même si je reconnais une part de subjectivité inévitable). J’ai placé mes personnages dans des lieux précis, très réalistes. Utiliser ces décors avec des cadrages très réalistes confère à l’ensemble une dimension théâtrale.
Ces immigrés abandonnent leur maison, leur famille pour entrer dans la nature, franchir la rivière, tout le décor autour d’eux devient très vert, plein de vie, mais lorsqu’ils parviennent à la ville, les couleurs changent. Le vert se décolore. Tout devient froid, gris et poussiéreux.
J’ai voulu m’attacher à trois espaces métaphoriques : la nature avec la rivière à franchir, la région frontalière où ils tentent d’obtenir des papiers ; la ville avec ses bureaux et appartements étroits, je me suis efforcé d’en faire des lieux parfois irréels (les bureaux en particulier) ; l’usine dont la jeune femme veut s’échapper à tout prix. Des décors symboliques.
Les immigrés arrivent plein d’espoirs, ils tentent de s’échapper à la misère de leur pays d’origine, comme s’ils s’évadaient d’une cage et ils gagnent la ville, remplis de rêves d’ailleurs, mais celle-ci se révèle être une nouvelle cage. Ce film je l’ai construit comme une fable réaliste, tragique et cruelle à la fois.
Pourquoi avoir changé l’atmosphère de votre film en ce que l’on pourrait qualifier de « very bad trip » à la toute fin ?
Adieu, Mandalay son origine du fait divers dont je vous ai parlé, aussi la fin est simplement le reflet de ce fait divers. C’est la fin de l’histoire et je voulais m’y tenir.
Quelle est votre formation ? Et par quels cinéastes êtes-vous influencé ?
Je n’ai pas reçu de formation cinématographique dans une école, j’ai appris à faire des films seul et surtout en me nourrissant de films. J’ai énormément de films avant de passer derrière la caméra, voilà mon école.
Mais je dois reconnaître que j’ai passé un court moment à la Golden Horse Academy fondée par Hou Hsiao-Hsien, en fait, j’y ai travaillé un mois pour terminé un court-métrage produit par Hou Hsiao-Hsien. Il m’a appris beaucoup. Notamment comment travailler au réalisme d’un film et faire jouer des acteurs non professionnels. Cette expérience m’a beaucoup aidé quand j’ai fait mon premier long métrage de fiction.
Vous avez la double appartenance taïwanese et birmane, pouvez-vous nous parler de la manière dont vous faites jouer cette double « identité » dans votre film ?
Pour quelqu’un qui comme vous et moi possède un passeport qui lui permet d’aller n’importe où, le terme « identité » n’a pas de sens. Mais pour les personnages d’Adieu Mandalay, l’identité signifie beaucoup, pas seulement des papiers mais aussi une forme de sécurité. On ne peut pas réduire la question de l’identité à la simple nationalité. Nous sommes constitués de tant d’apports divers, cela devient difficile de dire d’où l’on vient. Nous sommes influencés par la globalisation et notre identité s’en ressent. Elle est forcément multiple.
L’identité fait partie de notre existence elle-même, de ce que nous sommes et de notre besoin de prouver que nous existons. De nous éprouver en tant qu’être humain en somme.
Le succès de Ice Poison vous a –t-il aidé pour tourner Adieu Mandalay ? Et dans quelle mesure ?
Ice Poison était un film à tout petit budget, sept jours de tournage et sept personnes pour toute équipe. Jamais je n’aurais cru pouvoir représenter Taïwan aux Oscars. Évidemment, après ce film et sa sélection aux Oscars, des investisseurs l’ont vu et ont proposé de m’aider pour le prochain. Le scénario d’Adieu to Mandalay enfin prêt nous avons bénéficié du soutien du CNC, de Taiwan film fondation et d’investisseurs privés.
Votre film est assez proche du documentaire, pourquoi avez-vous cherché ce lien entre fiction et documentaire ?
Adieu, Mandalay est une tragédie issue d’un fait divers c’est-à-dire qu’en soi l’histoire était déjà assez chargée en terme de drame, il me semblait inutile de verser dans le pathos et les éléments mélodramatiques. J’ai préféré observé avec sérénité le cheminement de mes personnages. J’ai tenté de m’inscrire dans une forme d’objectivité. Seuls les acteurs principaux sont professionnels, pour les autres personnages, j’ai souhaité filmer des non-professionnels, des travailleurs d’usine venus de Birmanie, des immigrés. Ce parti pris m’a aidé à créer un film à la frontière du documentaire.
Pouvez-vous nous dire quelle est la situation du cinéma Taiwanais ? Quels liens entretenez-vous avec les films d’Hou Hsiao-Hsien, dont vous nous avez parlé et d’Edward Yang?
Le cinéma taïwanais est un bon cinéma mais sa place sur le marché du film est faible. Nous n’avons pas de politique culturelle forte pour protéger, encourager notre cinéma.
Les parts de marché des films proposés aux taïwanais sont principalement occupées, confisquées, par le cinéma commercial tout droit venu d’Hollywood, comme dans le monde entier. Et la nouvelle génération de cinéastes s’interroge : doit-on suivre les maîtres ou proposer nos propres films commerciaux?
Nous possédons des fonds pour promouvoir les films taïwanais mais n’avons pas beaucoup de projets intéressants à défendre et l’attractivité de la Chine séduit plus d’un jeune cinéaste.
Donc , nous luttons en permanence non seulement pour survivre en tant que créateurs, mais aussi pour créer la nécessité de notre existence ou ne pas suivre la tendance générale.
Quant aux maîtres, si Hou Hsiao-Hsien et Edward Yang sont deux très grands cinéastes, ils sont résolument différents. Les films de Yang sont plus axés sur la réflexion, plus intellectuels et universels. Quand Hou Hsiao-Hsien travaille davantage de manière instinctive, sur des sujets plus proches des gens, du réel.
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