Sorti le 12 avril dernier, Luna est encore à l’affiche un peu partout en France. Une belle réussite pour ce premier film du jeune cinéma français réalisé par la montpelliéraine Elsa Diringer. C’est justement dans ce que le cinéma français sait faire de mieux, se tenir près des gens, près des corps mais en les écoutant, en les regardant vivre et pas en les jugeant, qu’Elsa Diringer s’affirme d’emblée comme une excellente cinéaste. Mais elle partage d’autres préoccupations avec les réalisateurs de sa génération, notamment une plus grande importance accordée aux lieux. Qui aurait dit que quelqu’un saurait mettre en valeur ces noman’s land de la périphérie montpelliéraine, mi-friches, mi zones péri-urbaines, des endroits secrets et anodins qui restent impénétrables à qui ne sait pas les voir. Mais écrasés de soleil, d’un peu d’ennui avant que d’être habités par des jeunes sauvages et beaux, ils nous sont révélés ici avec acuité. C’est dans cet écrin de rien qu’explose l’ambivalente Luna et avec elle, une jeune comédienne sur laquelle il faudra compter désormais, Lætitia Clément, qui marche déjà dans les traces de ses grandes sœurs de la famille des blondes incendiaires, Ludivine Sagnier ou Krista Théret. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite… Cette chronique douce-amère ne serait pas aussi poignante sans ses autres jeunes acteurs. Rod Paradot compose ainsi un personnage à rebours des clichés en vogue et bien loin de celui qui a fait sa renommée. Sa reconstruction, son rapprochement avec Luna nuancent le drame avant de flirter avec la passion amoureuse. On n’énumérera pas toute la distribution puisque l’ensemble des acteurs sont au diapason, jusqu’aux adultes qui savent se faire oublier, dans un film au service des comédiens et dont la mise en scène coulée, porte plutôt qu’elle n’exploite. La sensation de liberté n’en élude pas les dangers, les petits bleus, les grandes blessures. Mais le récit n’oublie jamais qu’en solo ou même agglutiné au groupe, tous ont autant besoin d’amour que de cette lumière crue pour mûrir. C’est ce terreau buissonnier qui sied le mieux au magnétisme d’une Luna dont l’aura repousse le thriller spectral qui menace. L’auteur préfère scruter les changements quasi imperceptibles de ses jeunes pousses plutôt que de basculer dans l’hyper dramatisation ou le spectaculaire. L’entretien qu’elle nous a accordé lors de sa présentation très appréciée au festival Itinérances d’Alès est justement tissé de cette tranquille obstination qui a valu à Elsa Diringer de diriger six courts-métrages avant d’arriver à ce long, prenant pour cela tout le temps nécessaire… On ne peut que saluer autant d’intégrité que d’inspiration et l’émergence d’un vrai talent. Nous vous incitons à y courir tant qu’on peut encore le voir sur grand écran.

 

 

Vous avez grandi près de Montpellier. Vous fréquentiez des bandes de jeunes comme on celle qu’on voit dans le film ? Quel regard portiez-vous sur eux ?

Quand j’étais jeune, je ne faisais pas partie d’un groupe. J’étais plutôt une solitaire. Mais je voyais beaucoup de mobylettes dans mon village, de jeunes qui traînaient et je voyais un peu comment ça se passait.

Quand je suis arrivé sur la région au début des années 90, plusieurs de ces villages de l’arrière pays montpelliérain étaient tristement connus pour les fréquents viols commis dans les fêtes votives… Avez-vous croisé des personnes qui ont eu des histoires de ce type en en ont nourri l’intrigue du film ? Pensez-vous qu’il y ait eu une évolution ?

Mais le film n’est pas inspiré de faits réels ou particulièrement de cette région ! Je pense que ce qui s’y passe est assez universel. Ça pourrait arriver dans un bizutage en médecine, ça pourrait se passer à St Cyr, chez des policiers… Certes, ça parle des jeunes du sud mais je ne voulais pas non plus stigmatiser un groupe. Ces phénomènes peuvent se dérouler dès que des gens réunis ensemble boivent de l’alcool. Ça fait beaucoup de situations possibles !

Lætitia Clément dans Luna d’Elsa Diringer © Pyramide films 2017

À l’instar d’autres cinéastes français, je pense à Thomas Cailley présent à Itinérances l’année dernière, vous dites partir des lieux. Est-ce que pour écrire les personnages, vous arriviez à les situer ou à les imaginer dans des lieux précis ?

Oui, c’est très important pour moi d’avoir les lieux en tête. Je ne peux pas écrire sans l’espace, l’ambiance. Je me suis donc toujours projetée dans Montpellier parce que je connais et que j’y vais souvent. Aussi, j’ai cherché les lieux de tournage au cours de l’écriture. Tout ça a nourri le film en parallèle. Par exemple, les fanfares n’étaient pas prévues au départ et c’est après être allée au festival à Montpellier que j’ai décidé de les mettre dans le film.

Au cours des trois ans d’écriture, combien y a -t-il eu de versions du scénario et quels changements importants ont eu lieu entre la v1 et la version définitive ?

Il y a eu six versions changées de fond en comble. Au départ, il y avait deux points de vue dans l’histoire mais il y avait toujours un déséquilibre : je racontais toujours mieux le personnage féminin ! Et c’est aussi parce que la « méchante » m’intéressait d’avantage puisqu’elle était plus complexe. J’ai donc pensé que c’était plus fort si je restais avec elle tout au long du récit. Ça, ça a été un gros bouleversement et ensuite, le second gros changement, ça a été l’activité du maraîchage. C’est à la fois un décor et un élément fondamental du scénario. Sans ça, c’était fragile… Cette clé de voûte du film est arrivée au bout de deux ans d’écriture.

Est-ce que vous gardez une marge d’improvisation au tournage ou de réécriture des dialogues avec les comédiens ?

On l’a fait pour les scènes de groupe parce qu’il fallait qu’il y ait de la vie, notamment pour la scène de l’agression… Elle est vraiment très improvisée. Mais pour le reste, tout était très écrit parce qu’il fallait respecter la dramaturgie et ne pas trop donner d’informations. Il y a un côté polar ! Il ne fallait pas dire des choses qui la trahissent. Les dialogues étaient quand même coupés au cordeau pour dire juste ce qu’il fallait et on les a donc respectés.

Blonde, puis rousse, l’héroïne prend un petit air hitchcockien à partir du moment où on ne sait pas si le garçon revient par le fruit du hasard, si ce n’est pas son double ou autres ces pistes…

( rire ) Le changement de coupe de cheveux amène deux choses : la première, c’est qu’il ne la reconnaît pas tout de suite et ensuite, ça montre un changement symbolique chez cette fille. Elle change moins en apparences qu’à l’intérieur.

Luna d’Elsa Diringer © Pyramide films 2017

La mise en scène s’inscrit dans la tradition naturaliste française, de Téchiné à Gaël Morel en passant par Katell Quillévéré qui avait tourné Suzanne à Alès. Mais vous arrivez en outre à capter la lumière, élément vital pour porter le Sud à l’écran, et le mouvement. Est-ce qu’il y a eu une phase d’acclimatation de l’équipe technique et des comédiens aux lieux avant de commencer à tourner ?

On a fait des repérages avec ma chef opératrice, Elin Kirschfink, qui n’est pourtant pas du sud mais belge, mais elle a bien saisi la chose. Je n’avais pas envie d’une lumière trop chaude, trop douce. Il y a quand même des couchers de soleil mais aussi beaucoup de moments plus blancs, où c’est plus aveuglant. C’est ça que je ressens ici : la lumière est parfois très dure !

Saturée…

Oui, elle éblouit un peu. On a travaillé là-dessus. Mais c’est vrai aussi que j’aime beaucoup ce cinéma naturaliste. J’ai beaucoup été marquée par le cinéma anglais, les Dardenne : des personnages ancrés dans un lieu, avec un accent, c’est ce que j’avais envie de refaire ici avec des acteurs locaux.

Le casting mélange des jeunes acteurs déjà reconnus comme Rod Paradot ou la jeune fille qui interprète Chloé…

Lyna Khoudri avait déjà joué dans Les bienheureux ( 2017 ) de Sofia Djama mais au moment du tournage, elle n’avait tourné que quelques courts-métrages, donc elle n’avait pas encore fait ses premières armes dans le long. Ils étaient presque tous à égalité, même si Rod Paradot avait fait La tête haute ( 2015 ) d’Emmanuelle Bercot. C’était très intéressant de travailler avec tous ces jeunes et d’y mélanger ceux qui avaient plus ou moins d’expérience. Ils ont pu ainsi s’entraider et ça c’était chouette…

Combien de temps a duré le casting et y a-t-il eu un travail préparatoire en amont ?

La casting a été assez court parce qu’on a eu la chance de trouver Lætitia Clément assez vite, au bout d’un mois. Il a été vite clair que c’était elle ! Les autres jeunes de la bande ont aussi été trouvés en casting sauvage. Enfin, Rod est arrivé. Ce n’était pas ma première idée mais c’est Elsa Pharaon qui était aussi directrice de casting pour La tête haute qui ma rappelé de penser à lui. C’est vrai que dans ce film là, il avait un rôle très dur, rugueux. Je ne l’imaginais pas du tout dans un registre plus doux…

Rod Paradot et Lætita Clément dans Luna d’Elsa Diringer © Pyramide films 2017

Il y était plus souvent sur la même note, alors qu’ici il y a beaucoup plus de variations dans son personnage…

( pas convaincue ) Oui… donc j’avais du mal à le projeter dedans. Mais au casting j’ai bien vu qu’il était plus proche de mon personnage… En fait, c’est son intervention aux Césars qui m’a fait penser que c’était possible. En réalité, il est très touchant. On voit que c’est quelqu’un qui est à fleur de peau, très sensible et pas forcément en permanence dans la colère. Pour le film d’Emmanuelle Bercot, on l’a poussé vers ça. Finalement, c’était très facile de l’amener vers des choses très douces. Il y avait aussi le rôle de Ruben, incarné par Julien Bodet qui lui venait de l’école de la Comédie de St Etienne et avait donc une petite expérience de théâtre. On n’a pas eu un long temps de préparation mais on a pu faire deux semaines de répétition où tout le monde s’est rencontré. On a fait des jeux, j’ai expliqué le film, notamment les scènes compliquées pour lesquelles il fallait que chacun comprenne pourquoi il était là et comment on allait faire. Je me suis fait aider par une coach qui avait une expérience théâtrale. On a un peu dégrossi mais c’est vrai qu’on a manqué de temps au niveau des répétitions pour pousser plus loin.

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à interpréter ?

Chacun avait des scènes plus dures, d’ailleurs parfois ce ne sont pas forcément celles auxquelles on pense. Des scènes de dialogues peuvent s’avérer très difficiles et d’autres au contraire où tout le monde se prépare à mort alors que ça se passe bien, c’est souvent comme ça !

L’action se passe aujourd’hui, mais contrairement aux affaires de harcèlement sur les réseaux sociaux auxquelles on songe et à la vitesse de circulation des images, les protagonistes de l’agression prennent assez tôt conscience de la gravité de leurs actes et des répercussions possibles – excepté l’un d’entre eux que la vidéo semble amuser ou exciter. Sur quelles expériences vous appuyiez-vous pour décrire ces profils psychologiques ?

Déjà pour la vidéo, je me suis dit que les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus innocents, ni vierges. Ils savent très bien que ça va vite être partagé, remonter chez les flics… On n’est pas à cette époque première où tout le monde croyait à l’anonymat d’internet. Ils ne sont pas stupides, donc ils l’effacent et ce n’est pas quelque chose qui sera exploité dans le film. Mais je me suis aussi basée sur mes propres expériences suite aux nombreux ateliers que j’ai animés en milieu scolaire. J’ai donc été régulièrement en contact avec des jeunes. Ensuite, je demande souvent conseil quand j’ai des doutes, parce qu’on vieillit vite ! ( rire ) « Est-ce que toi tu ferais ça ? » J’essaie de garder contact avec la jeunesse parce que sinon, on peut vite être à côté de la plaque…

Elsa Diringer et Lætitia Clément au festival Itinérances en 2018 © Patrice Terraz/Signatures

Comment avez-vous appréhendé le travail avec Lætitia Clément ? Quelles ont été pour elle les émotions les plus difficiles à trouver ?

Avec Lætitia, ça s’est passé en plusieurs temps. La première semaine était peut-être plus compliquée. On se cherchait tous et elle, elle avait du mal à être dans la sincérité. Elle était tout simplement un peu stressée ! Mais au bout de quelques jours, elle a pris confiance en elle et à partir de là, elle n’a fait que progresser. Plus je lui expliquais le travail, plus elle comprenait vite. Elle a une grande intelligence et une grande intuition de jeu. Ensuite, il y a eu le contact avec un grand acteur, Frédéric Pierrot, qui a fait des tonnes de films et qui lui a donné des petits trucs pour apprendre ses textes. On l’avait aussi travaillé en répétition. Mais c’est une travailleuse et elle n’a cessé de s’enrichir, je n’avais pas besoin d’être derrière elle, c’était toujours nickel. Elle se couchait tôt, se levait tôt, ne buvait pas. C’était vraiment une jeune très sage ! Au début, elle a eu des difficultés, pour aller chercher les larmes par exemple, mais au bout d’un moment elle a trouvé en elle le chemin pour aller vers ces émotions. Je ne sais pas comment elle a fait, c’est sa sauce ! Mais elle nous a bluffé. C’est assez magique de voir ça, parce que plus on avançait dans le tournage, plus on avait l’impression d’avoir à faire à une comédienne chevronnée, ça c’était fabuleux !

Sur la scène du Cratère ( Scène Nationale d’Alès et cœur du festival ), elle donnait en effet l’impression d’une jeune fille sérieuse, qui avance dans son métier et ses études avec prudence et intelligence… Elle est donc très différente de Luna !

Ah oui, très ! C’est vraiment un rôle de composition et ça m’a aidé de travailler avec quelqu’un de structuré et de solide. C’est un grand atout pour un film ! Si on est avec quelqu’un de trop proche du personnage, il y a alors tout ce qui va avec, c’est à dire l’instabilité émotionnelle, l’irrégularité… Mais non, avec Lætitia, ce n’était que du bonheur !

Au niveau de la création sonore et de toute la direction artistique, les décors, costumes, on sentait la volonté de ne jamais forcer le trait. Ces éléments sont tous très réussis et apportent beaucoup au film…

Moi, j’aime… la justesse ! J’essaie de fuir tout ce qui est caricatural, les schémas… Je suis toujours attentive à ça, dans le jeu, dans les décors… Il faut que ça reste simple, que la mise en scène s’efface au profit de l’émotion.

Est-ce que vous avez des atomes crochus avec la génération actuelle, qui justement va beaucoup tourner sur la jeunesse avec cette sensualité là, je pense à des cinéastes comme Katell Quillévéré, Eva Husson…

C’est vrai que ces sont des films que je vois et que j’apprécie. Mais bon, on ne se connaît pas personnellement parce que nos parcours sont différents. Mais pour moi, on s’influence forcément par films interposés. Après, la jeunesse est un thème inépuisable ! C’est une mine de conflits, de problèmes, donc de films…

Elsa Diringer au festival Itinérances en 2018 © Patrice Terraz/Signatures

Maintenant, y a-t-il une histoire que vous avez envie de raconter et avez-vous déjà commencé à creuser ?

Justement, j’essaie de m’éloigner de la jeunesse pour aller vers d’autres problématiques, parce que j’ai aussi fait beaucoup de courts avec des jeunes. Je réfléchis à un film qui se passerait sur tout un quartier, sur le rapport à la pauvreté… C’est encore un peu vague !

à nouveau vers Montpellier ?

Oui, pour l’instant c’est là que j’imagine mes histoires…

 

Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier et Eric Antolin. Photo de tête : Elsa Diringer et Laetitia Clément photographiées par Patrice Terraz au Festival Itinérances – Photo Maïlis Donnet  © 2018. Autres portraits : Patrice Terraz. Son interview à relire ici. Moyens techniques : Radio Bartas, Les yeux sans visage.

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