Entretien réalisé par Pierre Audebert pour Mon cinéma québécois en France.

 

Au festival 48 images seconde de Florac, un nom inconnu attirait l’attention parmi la liste des invités de cette édition 2019 : Sylvain Corbeil. Renseignements pris, il s’agissait d’un producteur venu pour accompagner son poulain Maxime Giroux, réalisateur en vue du Renouveau du cinéma québécois. Le nom métafilms n’était pas que la promesse d’un vertige narratif et esthétique mais bien une signature déjà vue quelque part. En effet des millions de français l’ont aperçu et stocké quelque part dans leurs neurones après la déferlante Dolan des cinq dernières années. Les cinéphiles et la critique sont même des familiers de la maison, particulièrement les fans de Denis Côté, réalisateur québécois justement le plus côté par la critique hexagonale sérieuse et qui ne cesse de suivre ses pas ( de les écrire, de les répéter même : « pas de côté », « pas de côté… Ils finiront bien par mettre les petits pas dans les grands et quand ils se seront enfin foulés quelque chose, on publiera alors un Répertoire des critiques disparus). Enfin, ceux qui suivent le cinéma québécois, ses timides percées chez nous ou l’actualité du côté de Montréal ne peuvent que constater la pertinence et le goût affirmé du catalogue de métafilms, figure de proue de cette nouvelle génération de cinéastes qui commence enfin à arriver jusqu’à nous alors qu’elle truste les prix dans les festivals du monde entier depuis un bon bout de temps. Certes, vous ne connaissez pas encore métafilms mais venez d’apercevoir la bande-annonce du Déserteur chroniqué dans ces pages ou vous avez ri avant l’été à La femme de mon frère, œuvre délicieusement vivante et largement couverte depuis Cannes. Derrière toutes ces fortes têtes et ces films de caractère se cache une structure de production d’aujourd’hui. Or moi qui m’étais préparé à rencontrer le dernier nabab montréalais, je ne m’attendais absolument pas à tant d’engagement, d’esprit critique, de vision même, au service du meilleur cinéma et ce, pas pour la gloire ou le pognon. Rassurez vous, cet arbre cache bien une forêt. D’autres structures moins connues existent et ne demandent-elles aussi qu’à rencontrer le succès en nos terres afin qu’enfin cette cinématographie québécoise luxuriante y soit diffusée autant que possible. Puissent l’enthousiasme du distributeur Ligne 7 mais tout d’abord la voix forte de Sylvain Corbeil nous donner envie de nous y intéresser.

Vous êtes l’un des fondateur de métafilms, société de production à qui l’on doit les plus beaux films du cinéma québécois et plus particulièrement du Renouveau. Avant de parler de vos productions et des films, je voulais savoir quel regard vous portiez sur le cinéma québécois des décennies qui vous ont précédé et ce, depuis les films des pères fondateurs du cinéma québécois moderne ?

Je dirai qu’il y a eu différentes vagues, avec des temps forts mais aussi des temps un peu moins marquants. Mais c’est sûr que les années 60, et à un degré moindre, les années 70, ont été très fortes pour le cinéma québécois, avec l’émergence d’un cinéma vérité très proche du documentaire. Ensuite les années 70 ont été une période faste, avec beaucoup de cinéastes invités à Cannes : Jean-Pierre Lefèbvre, etc. Forcément, les générations subséquentes se sont toujours positionnées par rapport aux moments les plus forts de la cinématographie québécoise. Ça a été aussi le cas dans les années 80, 90 puis 2000 et 2010. Mais le temps passant, on se réfère de plus en plus à d’autres périodes. Si on prend le cinéma contemporain, on commence à être loin des années 60 ou 70. Les référents des jeunes cinéastes sont plus récents et parfois même, jusqu’aux années 2000. En tout cas, la décennie la moins glorieuse du cinéma québécois aura été les années 90 où il ne s’est pas passé grand-chose, si ce n’est Lauzon…

 … et Denis Villeneuve ?

Oui, c’est vrai qu’il est arrivé à la toute fin de la décennie mais je pense qu’il n’a existé qu’avec Maellstrom qui a été tourné en 2000 me semble-t-il. Donc à part Léolo… Et d’ailleurs les années 80 n’étaient pas non plus si bonnes. Il y avait quand même des cinéastes intéressants mais ça reste surtout la mise au monde de Denys Arcand qui a été très importante pour le cinéma québécois. Maintenant, le cinéma est très diversifié. Bien sûr, il y a encore des cinéastes qui font du réalisme social, genre fondateur du cinéma québécois, mais pas tant que ça. Mais de nos jours, c’est vraiment très éclaté ! Donc dans cette décennie 2010, plusieurs auteurs s’inspirent déjà des années 2000. On parle souvent de cette nouvelle vague du cinéma québécois, mais je ne pense pas vraiment qu’elle existe car ça signifierait qu’il y aurait comme un ensemble cohérent, un ton qui serait sensiblement le même, une approche à peu près pareille. Or ce n’est pas du tout le cas. Si on regarde ceux qui rayonnent à l’étranger, le cinéma de Xavier Dolan n’a rien à voir avec celui de Denis Côté par exemple, ni des cinémas québécois maintenant établis à Hollywood. Pour moi, c’est beaucoup plus sain comme ça !

Que pensez-vous de la forme coopérative en matière de production et du travail effectué par les nombreuses coopératives de production québécoises, comme la Coop vidéo de Montréal, Spira, Vidéographe, l’ACPAV  qui est à l’origine de films très importants des années 70 et 80 ? Y a t- il aussi des figures qui vous ont inspiré en matière de production, je pense à Lorraine Dufour ou quelqu’un qui pèse lourd dans l’industrie comme Roger Frappier ?

Moi je me situe entre la génération X et les millenials, c’est à dire au tout début de Y. Et évidemment, comme toute génération, tu veux t’opposer à ce que tes ancêtres ( rire)… à ce que tes prédécesseurs ont fait. En matière de production, la génération des baby boomers était vraiment dans une mentalité compétitive. Ils se voyaient comme des grosses entreprises, pas à l’américaine mais quand même assez orientées commercialement. Nous ce genre de modèle ne nous intéresse pas du tout ! Bon ce ne sera peut-être pas le cas de tout le monde mais je perçois tout de même une vraie collégialité dans les sociétés de production ayant à peu près le même âge que la mienne. Ça peut aussi être le cas dans certaines plus anciennes…

… dans le cas de la Coop vidéo par exemple ?

Effectivement… Mais je connais mieux les boîtes plus jeunes avec lesquelles je suis déjà connecté. Il y a vraiment un esprit de partage : tout le monde s’entraide, se donne des trucs… Et il n’est pas rare que je réponde à des questions de producteurs qui veulent savoir quoi faire dans telle situation parce que j’en suis passé par là. L’inverse fonctionne aussi. J’aime bien l’idée que tout soit ne soit pas très structuré, c’est à dire que nous ne sommes pas dans une perspective légale coopérative mais il y a pourtant de facto une collaboration, une coopération naturelle entre entreprises et chacun a à cœur le succès des autres. Peu importe qui y arrive ! Nous on veut que le cinéma québécois dans sa globalité rayonne à l’étranger et y soit vu. On sait très bien que si ça fonctionne pour telle boîte, ça aura forcément aussi un impact positif sur la nôtre !

En compagnie de Maxime Giroux au festival de Florac 2019

On est là très loin du cliché du producteur surpuissant et un peu démiurgique ! ( rire ) Quel a été votre parcours avant de fonder métafilms ?

D’abord j’ai terminé mes études de communication avec une spécialisation cinéma à l’université du Québec de Montréal (UQAM) en 2003. Au cours de cette période estudiantine, j’avais repris l’organisation d’un festival de courts-métrages étudiants itinérants. C’était rétrospectif, donc à la fin de chaque année scolaire, on visionnait l’ensemble des productions courtes tournées dans les différentes universités du Québec. C’était bénévole et il y avait des représentants de chaque fac. On se faisait des soirées où on regardait tous les films pour arriver à choisir le corpus le plus représentatif de ce qui se faisait alors, en y incluant toutes les universités qui possédaient un programme de cinéma mais aussi tous les genres : documentaire, fiction, animation… Alors à l’époque, on ne parlait pas encore de parité mais déjà on y réfléchissait et on essayait d’avoir un certain équilibre entre réalisateurs et réalisatrices. À la fin, on arrivait à un programme de une heure trente à deux heures et par la suite on se baladait dans différentes villes de la province qui n’avaient pas habituellement accès aux courts-métrages étudiants. Là on parle du début des années 2000 et à cette époque, on apportait encore avec nous un projecteur 16 mm, ce qui était intéressant car des courts étaient encore tournés sur pellicule. D’un point de vue technique, c’était assez complexe parce qu’on projetait à la fois du 35 mm, du 16 mm, de la Betacam, du HD… Ça se passait souvent dans les amphithéâtres des universités et les Cegep des régions ou dans des salles communautaires, la plupart des étudiants qui participaient à l’organisation venant eux-mêmes des régions parce que Montréal garde toujours un fort pouvoir d’attraction. Tu grandis et hop, tu déménages dans la grande ville… Donc tous ces étudiants là servaient de contacts et une personne était responsable dans chaque ville. Certaines années, on en couvrait entre douze et dix-huit ! Des fois des toutes petites villes, mais on couvrait bien sûr les trois grandes : Montréal, Québec et Trois-rivières.

Cette tournée était super ! Il fallait bien sûr lever des fonds pour tout ça et moi j’ai été à la tête de ce festival Projet Y pendant deux ou trois ans. J’ai d’ailleurs continué après la fin de mes études. C’est aussi ce qui m’a permis de rencontrer énormément de gens de mon âge qui voulaient faire des films et allaient pour certains réussir à en faire plus tard. En parallèle, j’ai tourné un moyen-métrage documentaire en Amazonie équatorienne sur les conséquences de l’exploitation du pétrole que j’ai réussi à financer entre autres grâce à l’ONF. J’ai donc enregistré une structure légale au sortir de l’université. Je fais le film, il ne marche pas vraiment…  (rire ) et je me retrouve un an plus tard avec tous ces contacts du Projet Y, une structure de production et les collègues de ma cohorte qui veulent faire des films. Mon film ne s’était pas très bien passé mais au moins je m’étais autoproduit et j’ai plutôt bien aimé cette expérience. Donc je me suis dit : voilà, je vais simplement produire les films de mes pairs ! métafilms a commencé comme ça, par du court-métrage et toute de suite ça a marché. On a remporté des Jutras, les films voyageaient énormément en festivals. Pendant cinq ans, jusqu’en 2004, ça a quand même été très difficile financièrement. Je ne gagnais aucun dollar avec ces projets là. À un moment donné, j’ai rencontré Denis Côté et j’ai travaillé comme producteur délégué sur Elle veut le chaos en 2008. ça a donc été notre première collaboration puisque par la suite on a a continué à travailler ensemble pour sept longs-métrages. Là je commençais à y voir un peu plus clair financièrement. J’ai donc quitté mon emploi aux Films de l’Autre qui est une société de production très intéressante. Il s’agit d’un collectif coopératif, plus exactement un groupe de cinéastes qui s’autoproduisent. J’y ai été adjoint de production durant trois ou quatre ans. J’y ai énormément appris et j’y ai créé d’autres contacts.

On y trouvait quels cinéastes par exemple ?

François Delisle a notamment fait partie de ce groupe là, mais aussi Céline Baril, Jean-François Caissy etc… Ça existe encore aujourd’hui et c’est vraiment très bien comme entité. Bref, tout ça se cumule et vers la fin des années 2000, je commence vraiment à faire du long-métrage, d’abord Tromper le silence ( Julie Hivon, 2010 ) avec les Films de l’Autre, puis les premiers de métafilms, Nuit #1  ( 2011 ) d’Anne Émond et Laurentie ( 2011 ) de Mathieu Denis et Simon Lavoie. Après, ça s’est enchaîné…

J’ai testé plusieurs cinéastes pour essayer d’avoir une vision globale de votre catalogue et deviner son identité… J’ai goûté aux gouffres bouillonnants de Simon Lavoie, à l’’amour à mort façon Dolan ou aux ellipses parfois cruelles de Denis Côté… Je constate que vous avez accompagné le cinéma d’auteur le plus exigeant pour ce que j’ai pu voir jusqu’à aujourd’hui du cinéma québécois, ce qui veut dire que c’est aussi en théorie le plus risqué financièrement. Quelle était au départ votre ligne et vos critère de choix ?

Moi je pars du constat qu’il y a beaucoup de films qui se font chaque année et qu’il est très difficile de mettre en branle une production. De sa conception jusqu’à sa distribution, ce sont plusieurs années de travail. C’est un dur labeur et qui n’est pas toujours facile sur le plan financier. Donc si je combine tout ça, je me dis qu’il faut en tout cas que j’aime profondément les œuvres sur lesquelles je m’engage et que les voies des cinéastes que j’ai envie de défendre soient originales et se démarquent du lot. Sinon, mieux vaut faire autre chose ! Mon but est donc d’accompagner des voix fortes, des œuvres qui sont signées et authentiques dans leur démarche et qui la plupart du temps remettent en question le langage cinématographique. Bien qu’il y ait en matière de production des aspects commerciaux liés à la fabrication et à la diffusion d’un film, je pense qu’il faut garder une espèce de perspective un peu naïve, artistique, en prenant en considération que le public cinéphile va toujours exister et qu’il faut répondre à cette demande là. Je pense que si on offre des œuvres de qualité et qui se démarquent suffisamment, à ce moment là les gens vont aller voir les films. Nos pairs sauront aussi les reconnaître et ça va nous permettre de financer d’autres films par la suite. Jusqu’à présent, ça fonctionne très bien !

Il y a trois cinéastes emblématiques à vos débuts par le format court : Simon Lavoie, Mathieu Denis et Guy Édoin.

Tout à fait , ce sont les cinéastes qui, en bon québécois, nous ont « mis sur la map » ( fait connaître ), parce que ces films ont été plébiscités par la profession et qu’ils ont beaucoup voyagé à l’étranger. Je pense à Une chapelle blanche ( Simon Lavoie, 2004 ), à Code treize ( 2007) de Mathieu Denis, à la trilogie des Affluents de Guy Édouin ( Le pont, 2004, Les eaux mortes, 2006, La battue, 2007 ). Ils ont gagné des prix à l’international mais aussi été reconnus au Québec.Ensuite, il est plus facile d’avoir un corpus fort de courts-métrages pour t’adresser aux institutions financières publiques qui vont potentiellement investir dans ton film lorsque tu arrives avec un projet de premier long . Ils voient que tu es sérieux et que si tu t’engages sur un film, tu livres la marchandise, que tu vas jusqu’au bout. Tous nos courts-métrages ont eu un excellent succès donc c’est rassurant, ça nous met dans une position de force pour financer des œuvres plus exigeantes en long-métrage. Ça vient valider le fait que oui c’est possible de tourner des œuvres qui soient exigeantes et qui vont quand même trouver un écho à l’étranger et au niveau local. Ça a dont été vraiment important de miser là-dessus parce que j’aurais pu faire des choix de production beaucoup plus sains financièrement ou dire que tel truc on n’en a pas besoin, qu’on ne va pas se payer la grue, ceci ou cela ou qu’on ne va pas tourner en pellicule, etc. Sauf qu’à chaque fois je me disais que peut-être, ça c’était la chose qui allait emmener le film un petit peu plus loin et qu’au final c’est ça qui ferait la différence. En fait, je vois tout le temps à long terme. Jusqu’à maintenant, ça m’a bien servi !

Après cette dizaine de courts, on pouvait déjà parler de Renouveau, ne serait-ce que pour Métafilms, sachant que Denis Côté qui va devenir votre auteur de prédilection à partir de 2008 et Elle veut le chaos était déjà reconnu depuis les États nordiques. Ce n’est ni la même démarche ni le même risque que pour le court-métrage…

Ce qui est intéressant avec Denis, c’est qu’il s’agit d’œuvres très risquées formellement mais relativement simples financièrement. Il est très fort au niveau de la préparation, de son découpage. Il sait exactement où il va. C’est aussi une démarche relativement dépouillée. On prend les décors tels qu’ils sont. Pas question de perruques ou de maquillages excessifs. Denis est vraiment dans le cri et pas dans un réalisme social. Il part du réel pour créer de la poésie. Son parti pris, c’est d’abord des lieux. Il inspirent le sujet du film, plus que les personnages. Il va ensuite jouer avec ces lieux et avec le langage, qu’il soit de fiction ou documentaire. Il y a des essais, qui sont plutôt fiction, donc des œuvres plus coûteuses et financées de manière traditionnelle. Mais des films comme Bestiaire ( 2012 ), Carcasses ( 2009 ) ou Que ta joie demeure ( 2014 ), ne coûtent presque rien, à peine 100 000 dollars. Ce sont donc des projets très faciles à monter pour des œuvres qui ont énormément voyagé à l’étranger et ont même généré des bénéfices pour les distributeurs. C’est donc très safe ! En repensant à cette époque, je me dis qu’il faut lui rendre ça : il a été l’un des premiers cinéastes de la nouvelle génération, celle du milieu des années 2000, qui puisse rayonner à l’étranger sans s’appeler Denys Arcand et y avoir un certain succès. En ce sens, ça a été une grande source d’inspiration pour beaucoup de jeunes cinéastes et pour moi aussi. Par la suite, il y a eu d’autres vagues avec d’autres réalisateurs célébrés à l’étranger et qui continuent leur chemin. Mais je voulais en profiter pour rendre à hommage à Denis et à son caractère de pionnier !

Mais au niveau du fond, de ce qui est raconté, qu’est ce qui vous plaît tant dans le cinéma si personnel de Côté et que vous ne trouvez pas chez d’autres auteurs ? C’est quand même le seul dont vous ayez produit tous les films. On peut parler là de compagnonnage et il est certain que vous connaissez son cinéma sur le bout des doigts…

Enfin, je tiens quand même à préciser que je n’ai pas produit ses deux derniers films, Ta peau si lisse ( 2017 ) et le Répertoire des villes disparues ( 2019 ). Non ce qui m’interpelle chez Denis, c’est vraiment la signature parce qu’il ne m’appartient pas de juger les sujets, les thématiques… D’ailleurs, je ne vois pas le cinéma comme une façon d’aborder ces thématiques. Pas que ça ne m’intéresse pas car c’est bien aussi qu’elles fassent partie du corps narratif du film. Mais je pense que si elles sont trop au premier plan, on s’éloigne alors de la force du langage cinématographique…

Denis Côté a une manière très spécifique de raconter… Il y a aussi une étrangeté, un mystère que je ne vois pas chez les autres cinéastes québécois que je connais. Je ne les vois pas emprunter ce même chemin.

Tout à fait et c’est la raison pour laquelle je le trouve si intéressant. Parce que sa démarche lui est propre et qu’il a perfectionné son langage avec les années. Dans un sens, il ne prend pas tant de risques que cela car on voit vraiment émerger un corpus cohérent dans son ensemble. Qu’on s’entende : je pense qu’il alterne avec des films plus audacieux formellement, plus narratifs, c’est un peu ça son modus operandi. Mais moi c’est vraiment la façon de faire qui m’interpelle, que ce soient toujours des films qui se démarquent. Ça me fascine d’être toujours obligé de me positionner par rapport à une nouvelle façon de créer un sens, c’est ce qui m’interpelle toujours au cinéma ! C’est encore plus fort quand il y a un art de l’image formel et narratif, mais avant tout c’est la signature d’une auteure ou d‘un auteur qui me pousse à vouloir défendre ces personnes là.

On dit souvent du cinéma américain qu’il progresse lorsqu’il dépoussière les mythes, autrement dit en refaisant différemment des films dans des genres déjà balisés, mais en rénovant les codes de l’intérieur. Étant donné que Côté met au centre un des grands personnages commun au cinéma québécois l’hiver et explore le thème des solitudes, de la filiation, de la sauvagerie aussi, peut-on dire que Curling ( 2010 ) rénove le cinéma québécois et est donc un film charnière ?

Bonne question… Mais ce n’est pas à moi d’y répondre ! Je ne suis pas là pour analyser les courants, ni même pour comprendre qu’est-ce qui fait qu’on s’intéresse à telle façon ou à tel sujet à une époque donnée. Tout ce qui m’intéresse, c’est de voir si la démarche est vraie, authentique, forte. Après, d’autres personnes peuvent tirer des conclusions par rapport à tout ça, de revisiter des archétypes… Je pourrais dire oui mais honnêtement, je n’en ai aucune idée ! (rire)

Mais est-ce que ce n’est pas au moins une charnière pour métafilms car Curling a été très bien reçu sur le marché international…

C’est à dire que Curling, je l’ai produit à travers la société de production de Denis Côté, Nihil productions. Même si j’en fais partie, ce n’est donc pas métafilms. Je l’ai coproduit avec Stéphanie Morissette, déjà productrice de son premier long-métrage. Nos premiers longs-métrages officiels chez métafilms ont vraiment été Nuit #1 et Laurentie et déjà, ça marchait très bien à l’international, surtout pour le premier film d’Anne Émond dont la première a eu lieu au TIFF et qui par la suite a été présenté dans 50 à 80 festivals étrangers. Il a ensuite été vendu à trente ou quarante pays, ce qui est beaucoup. Il a beaucoup été primé. On l’a présenté à Rotterdam, à Busan… Il a vraiment bien tourné. Idem pour Laurentie dont la première a eu lieu à Karlovy Vary, qui a sans doute fait moins de festivals mais c’était quand même pas mal. Ils ont beaucoup moins marché au Québec, surtout Laurentie qui est pourtant aujourd’hui un film culte alors qu’il n’a presque pas été vu en salles au moment de sa sortie. Mais il a fait un tabac en DVD et VOD, il n’y en a d’ailleurs plus de copies… Ni personne pour acheter des DVD, mais à l’époque je me souviens que le distributeur en a repressé à plusieurs reprises. C’est quand même curieux de voir comment un film se comporte autant à l’étranger que sur son territoire. Tout ça pour dire qu’on a été dès le début présents à l’international. Ça a ensuite continué car c’est souvent le cas du cinéma québécois qui produit des films d’auteur et qui marchent mieux en dehors qu’au niveau national. Bizarre …

Nui#1 d’Anne Emond

Restons un peu sur Anne Émond. Vous avez du flair pour les films générationnels. Nuit #1 est souvent associé au Printemps Érable. Vous avez ensuite produit Les êtres chers ( 2015 ), un sujet personnel et douloureux mais traité dans le style flamboyant du mélodrame plus que dans un réalisme suicidaire dont parlait un critique pour qualifier la prédominance dans la production québécoise de films réalistes pesants. Par la suite, la réception de son film suivant Nelly ( 2016 ) qui lui aussi s’éloigne des clichés réalistes a été plus difficile. métafilms, qui a déjà produit des films engagés, voire choquants, mais n’a pas produit ce sujet, qu’est-ce qui explique cela ? La réception du film n’aurait-elle pas été meilleure si vous aviez poursuivi votre collaboration ?

En effet, je ne l’ai pas produit. Pour résumer, Nuit # 1 a été un bon succès. Ensuite vient Les êtres chers et un scénario extraordinaire, qui nous arrachait les larmes… Le cinéma de Anne est très émotif mais sans jamais tomber dans le ridicule. Il est toujours difficile de mettre en scène des émotions humaines. Ça peut rapidement avoir l’air faux. On se sent plus en sécurité dans la distanciation et alors le risque c’est d’être taxé de formalisme ou de paraître prétentieux… Mais je ne sais pas ce qui s’est passé sur Nelly car je ne faisais pas partie de la production. Avant, Les êtres chers ont bien marché au Québec et un peu à l’étranger mais moins que le premier. Mais les réalisateurs ne m’appartiennent pas. Je les encourage à tourner le plus possible et c’est tant mieux s’ils ont des projets ailleurs. Bien sûr, quand ils ont été satisfaits, je souhaite qu’ils continuent à travailler avec moi, ce qui est le cas pour une très grande majorité. Mais le fait qu’Anne aie fait Nelly avec une autre société ne remet pas en cause notre collaboration, d’ailleurs on vient de terminer un nouveau long-métrage très différent de ce qu’elle a fait précédemment…

Mais dans le cas de Nelly, je crois aussi savoir qu’il ne s’agissait pas d’un projet personnel d’Anne mais que la productrice avait les droits pour adapter la vie de Nelly Arcand et ce depuis assez longtemps. Ça branlait dans le manche ( c’était précaire ) , ils ne trouvaient pas de réalisateur jusqu’à ce qu’elle est l’idée de travailler avec Anne. J’ai l’impression que ça a quand même fonctionné. Mais Anne est un véritable auteur et dans son cas, il est difficile de partir de l’idée de quelqu’un d’autre et d’essayer de la faire sienne. Elle a quand même réussi des belles choses dans ce film qui a beaucoup de qualités, mais c’était forcément plus difficile sur le papier car c’était très ambitieux et il y a eu des contraintes budgétaires. Pour savoir si ça a marché finalement, il faut demander à Anne. Il y avait plus de chances de se casser la gueule que sur les deux précédents. Ceci dit, les films ne sont pas nécessairement liés… Ici on lui a offert ce scénario, elle l’a pris en main et ça n’a rien à voir avec notre collaboration.

On trouve aussi des collaborateurs techniques qui reviennent connus parmi les meilleurs : Matthieu Laverdière ( Les êtres chers, Le torrent ), Marcel Chouinard, qui appartient peut-être plus aux générations précédentes. Servez-vous de lien et proposez-vous aux cinéastes de nouveaux collaborateurs ?

Tout à fait. Les décisions créatives se font toujours d’un commun accord. Notre politique est de laisser le dernier choix au réalisateur ou à la réalisatrice, mais ça se fait dans une sorte de collégialité, dans une coopération très ouverte. Je pense que cette ouverture est importante pour les réalisateurs. Parce qu’on est là du tout début jusqu’à la toute fin, on est un peu comme le second regard. Tu deviens le collaborateur principal parce que ton regard est très proche du film et en même temps extérieur. Dans le cas du cinéma d’auteur, ce sont souvent des projets importants sur le plan émotionnel pour les collaborateurs et c’est quelque chose qui peut brouiller parfois ta vision sur certaines questions d’ordre créatif. Il est sûr que le choix des collaborateurs a une grande incidence sur ce que sera le film artistiquement. Énorme ! C’est comme faire ton casting mais dans la fabrication. C’est sûr que quand un tournage s’est bien passé entre un technicien et un réalisateur, il n’y a pas de raison de ne pas continuer. Parce que ce sont des capacités artistiques, le regard que chaque intervenant, que chaque chef de département apporte au film mais c‘est avant tout de la relation humaine donc c’est important d’avoir une bonne alchimie. Par exemple, dans le cas de Maxime Giroux, la question ne se pose pas. Il fera la photo avec Sara Mishara puisque tous ses films sont faits avec elle et c’est une très belle collaboration. Parfois, et parce que le projet est sensiblement différent de ce que l’auteur a réalisé jusque là, on pense que c’est intéressant de renouveler les collaborations et d’essayer d’autres choses pour partir dans une autre direction. C’est ce qu’on a fait avec le dernier film d’Anne Émond. Il n’y avait presque aucun technicien des tournages précédents. Nous avons pris des gens plus jeunes avec une bonne synergie. C’est intéressant pour un cinéaste de se challenger pour avoir accès à d’autres points de vue que la normale, ça oblige à se renouveler. Évidemment, nous on impose jamais. Mais tout dépend de ce qu’on veut faire lorsqu’on se retrouve en phase de développement entre la production et la réalisation. Soit on valide des choix qui s’inscrivent dans une continuité, soit on sent qu’il faut aller voir ailleurs et là, je peux faire des suggestions de directeurs photo, de monteurs, etc. Mais parce que j’ai aussi travaillé avec eux – en fait avec beaucoup plus de personnes que les réalisateurs – : « Tu devrais essayer telle personne, il est plutôt comme ça… Rencontre le et on verra… ». C’est à peu près comme ça que ça se passe.

Vous avez produit l’adaptation d’Anne Hébert pour le film Le torrent de Simon Lavoie. Les grandes douleurs y sont transcendées par un vrai sens du cinéma. Mais qu’est-ce qui fait tourner Simon Lavoie autour de ces gouffres qui avec La Petite Fille qui aimait trop les allumettes ( 2017 ) se radicalisent encore plus ?

Simon est très intéressant. Il est un peu plus jeune que moi, fin trentaine. C’est encore quelqu’un qui vient des régions et que j’ai rencontré grâce à mes études universitaires. Nous sommes la dernière génération pour laquelle la question identitaire québécoise est importante. Par contre, la nouvelle génération est totalement déconnectée de ces questions là et se concentre sur d’autres combats, ce qui ne me pose aucun problème. Mais nous on voit encore l’identité nationale, c’est à dire plurielle, civique, moderne et pas du tout comme la vision baby boomer de l’identité. On croit quand même qu’il existe des tout cohérents qui sont en dialogue, qui évoluent mais pas à cette idée très individualiste qu’on appartient à des petites communautés, qu’on se rattache à des gens qui ont la même couleur de peau ou les mêmes intérêts. Aujourd’hui, on est vraiment dans un morcellement, une explosion des identités qui correspond à notre époque très individualiste, comme si c’était trop d’efforts d’imaginer un tout où tout le monde à sa place et se nommant « québécois » . Non, les gens vont se rabattre sur l’identité de leur ville ou sur le fait qu’ils sont des fans de Star trek ! ( rire ) C’est aussi idiot que ça. Donc cette question est particulièrement importante pour Simon. Lui voit dans la mise au monde de l’actualisation de la québécitude qu’elle est très douloureuse. Pour lui, on est un peuple qui a de la difficulté à actualiser son identité et c’est pour cette raison qu’il fait souvent des films d’époque, comme s’il avait envie de revisiter le passé pour aller gratter et découvrir toute la part d’ombre qui à mon avis existe encore car ce sont des choses qui sont léguées de façon inconsciente de génération en génération. Les gens sont juste très déconnectés de leur identité collective. Que ça ne les intéresse pas ne signifie pas que ça n’existe pas… On pourrait facilement ramener les gens vers ces questions mais ils n’en ont pas envie car il y a trop de douleur. Si tu lis l’histoire québécoise, tu y vois un peuple vaincu. Comment être fier de ça ? C’est difficile… On est une minorité et ça je pense que c’est une force, ça nous range du côté des martyrs. Même si on est à 90 % laïcs, la culture judéo-chrétienne reste très présente. Je ne dis pas que c’est adroit ou nécessaire mais Simon a envie de revisiter ces côtés les plus violents pour choquer, créer une catharsis chez le spectateur et lui faire se poser des questions, pour qu’enfin ça vienne réveiller ce qui est endormi en lui. Il le fait toujours dans un écrin magnifique, d’une grande beauté. On peut le rapprocher du dernier film de Maxime Giroux que nous venons de produire, La grande noirceur ( Le déserteur, sorti en France le 21 août dernier ). Il s’agit d’une beauté extrême mais qui va fouiller les côtés les plus sombres de l’humain.

Le torrent de Simon Lavoie

Quand je pense à l’identité québécoise, je songe plus à la collaboration de Mathieu Denis et Simon Lavoie entamée avec Laurentie et au film très ambitieux Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau (2016 )… Qu’est ce qui a déterminé de ne pas poursuivre la collaboration pour ce film fleuve d’une durée non commerciale ?

En effet, je ne l’ai pas produit, c’est un collègue et ami. Simon m’avait proposé le scénario que je trouvais super. Malheureusement, j’avais déjà déposé un projet que je voulais défendre. C’était un autre cinéaste masculin. Aujourd’hui, c’est impossible, il faut alterner un homme et une femme. Donc ça n’était pas possible car on était sur le film de Karl Lemieux, Maudite poutine ( 2016 ) qui a obtenu du financement. Je leur ai donc conseillé d’aller voir ailleurs car ils avaient aussi obtenu l’argent. Hany Ouichou travaillait avec Mathieu Denis dans la société Art et essai que Mathieu avait fondée. Ça s’est donc fait tout naturellement. Ce qui est intéressant, c’est que c’est fortement inspiré du Printemps Érable et tout comme Laurentie, il voulait s’adresser à la nouvelle génération plutôt apolitique pour qui la question identitaire n’est plus importante. Ils n’ont plus confiance dans l’appareil politique, sont désabusés par les mécanismes démocratiques et cherchent à avoir une action directe dans la société. Je pense que les deux films se répondent et continue dans cette idée de mettre à nu ce mal être que les gens ne veulent pas voir. Il est pourtant essentiel de le faire si tu dédramatises les choses. Il y a à la fois un constat et une volonté de changer ce constat là.

Mathieu Denis a déjà vu ses films diffusés en France. Pour vous qui avez la connaissance des acheteurs, qu’est-ce qui fait qu’un film sur une thématique politique qui intéresse souvent les spectateurs français, que ce soit le Québec des années 60 ou des années 2000, ne sort pas sur les écrans français ? Est-ce que c’est uniquement lié à la durée ?

Je pense que oui mais honnêtement, je ne saurais pas répondre. Ce sont des films chocs, donc difficiles à mettre en marché. Il y a des scènes assez dures et déstabilisantes pour le spectateur et c’est ce qui fait la force de ces films. Mais dans ce cas là, je pense que les trois heures jouent sûrement. Bela Tarr peut se le permettre, mais Mathieu Denis et Simon Lavoie, non.

Un cinéaste que je ne connais pas encore m’intrigue : Frédérick Pelletier. À quoi ressemble Diego star ( 2013 ) ?

Et bien, on parlait tout à l’heure des ancrages du cinéma québécois et des références dans l’âge d’or ou à l’époque contemporaine. Frédérick s’inscrit dans la lignée du réalisme social. Son cinéma fait appel à une esthétique plus brute, plus proche des gens et avec des thématiques apparentes qui sont plutôt politiques et abordent des problèmes sociaux. Diego star est le nom d’un cargo qui entre au port de Québec en Hiver. On revisite donc certains archétypes du cinéma québécois… Mais ici on s’attaque surtout à l’idée de l’Autre, parce que Québec est une ville très francophone blanche, au moins à 80 % alors qu’à Montréal, il n’y a pas de problèmes avec l’immigration car tout le monde y est habitué. C’est à la fois banal et normal. Et il ne faut pas oublier que tout le monde était à la base migrant  ! Mais c’est vrai qu’à Québec le phénomène est plus nouveau, quoique le film date un peu. En général, on retrouve sur ces navires des marins de différents pays et les commandants, russes la plupart du temps, créent des clans comme les très nombreux philippins qui vont rester ensemble et ne parlent pas forcément anglais. Il va y avoir aussi beaucoup d’africains… Ces groupes avantagent les propriétaires et dirigeants, puisque ça évite que les matelots se mettre ensemble et se révoltent contre des conditions souvent épouvantables. On a fait des recherches là-dessus et c’est vraiment terrible ! Il y a d’abord un problème mécanique sur le navire qui se retrouve amarré au port le temps des réparations. On va plus particulièrement suivre le personnage de Traoré, un africain placé en famille d’accueil car chaque marin y est envoyé le temps des travaux. C’est donc la relation entre une jeune mère monoparentale blanche issue d’un milieu difficile et pas trop éduquée et lui qui est vraiment une bonne âme, tournée vers les autres, une personne avec de belles valeurs. Lui aussi est père de famille et ils vont avoir une belle complicité naissante. Une façon de dire que l’autre peut apporter beaucoup et vice versa. Mais comme dans tout bon film québécois, la fin est un peu pessimiste et ce lien va se briser quand le marin est fallacieusement accusé d’avoir causé la panne. La morale du film, c’est que la société corrompt les bons humains, les liens d’argent aussi et c’est bien dommage… Frédérick Pelletier défend fortement le réalisme social et c’est aussi pour ça qu’il mérite d’être défendu par métafilms.

Félix et Meira de Maxime Giroux

Vient ensuite un cinéaste très important et que vous accompagnez cette année au festival de Florac avec ces deux films que vous avez produits, c’est Maxime Giroux, un cinéaste qui passe d’un projet très différent à l’autre. Il y a trois bornes dans votre travail : le court-métrage La tête en bas ( 2013 ), Félix et Meira ( 2014 ) qu’on pourrait qualifier de plus « classique » de ses films – au sens noble du terme  ! – et le dernier et très étrange Le déserteur. Quels sont pour vous les points communs de ces trois films ?

Tout d’abord le soucis de toujours faire des films de mise en scène. C’est sûr que si on regarde Félix et Meira, c’est un film qui paraît beaucoup plus aimable parce qu’on est face à des thématiques connues : c’est l’archétype de l’amour impossible. On a déjà vu ça depuis Roméo et Juliette donc des mécanismes de spectateurs s’éveillent en nous tout naturellement. On est bien servis car on va exactement dans cette direction là d’un point de vue narratif. Mais si tu regardes comment c’est fait formellement, il y a un grand soucis de la mise en scène, une efficacité au niveau des moyens mais aussi une utilisation de la lumière naturelle, quelque chose d’à la fois poétique et réaliste. Maxime est donc capable de créer de la poésie avec les images que ce soit dans un cadre narratif très précis et accessible ou comme dans le cas du Déserteur, une œuvre qui narrativement s’enfonce dans des endroits où l’on ne va jamais est est très déstabilisante. Il faut toujours garder un certain équilibre entre continuité et renouvellement. Il y a une force qui nous fait taper sur le même clou, un peu à la japonaise, de mieux en mieux et de plus en plus précisément, qui nous permet d’affiner une forme de langage, sauf que ça peut aussi devenir une faiblesse,  en ce sens que si on ne fait que cela, on peut alors devenir une parodie de soi-même, quelqu’un d’inintéressant et qui n’a plus rien à dire. C’est donc important d’aller voir ailleurs pour se renouveler. Maxime le fait : Jo pour Jonathan ( 2010 ) est très différent de Félix et Meira qui est très différent du Déserteur. Mais il reste cette précision de mise en scène, qui joue beaucoup avec le hors champ. Ce n’est pas quelqu’un qui va utiliser les dialogues pour créer le sens ou l’émotion. Non, l’attachement au film se fait par la mise en scène et pour moi c’est ça le vrai cinéma ! Si ça passe par les dialogues, alors on est plus proches de la télévision. Je ne veux pas dire que les films verbeux sont foncièrement télévisuels. D’ailleurs Les êtres chers est un film qui passe beaucoup par la parole et plus encore par la présence des acteurs. Encore plus dans le cinéma de Xavier ( Dolan ) qui est très émotif, alors que ses dialogues ne sont pas réalistes. Il y a quelque chose de décalé qui fait que c’est une forme d’expression artistique en soi.

En termes de budget, celui du Déserteur est-il plus élevé du fait de son tournage à l’étranger ?

La particularité avec Maxime et je ne sais pas pourquoi, c’est qu’on n’arrive pas à lever le financement approprié pour ses films et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je pense que c’est un très bon metteur en scène et qui a sans l’ombre d’un doute sa place dans le cinéma québécois. Mais bizarrement, on n’a jamais eu de financement de la SODEC pour Félix et Meira. Le film a donc été fait en équipe réduite où moi je cumulais le travail de douze personnes, évidemment sans être payé. Ce sont toujours les producteurs qui se sacrifient le plus ! Mais bon c’est normal aussi, car on ne peut pas demander à un chef déco ou à l’assistant caméra de faire le film gratuitement. Moi je signe les films, j’en suis aussi l’auteur, c’est donc les personnes responsables,  – nous, les réalisateurs – qui devons d’abord nous sacrifier d’un point de vue financier. Sauf qu’il y a quand même des maudites limites ! ( rire ) Par chance, je fais des films qui peuvent me permettre de gagner ma vie, sinon ça ne marcherait pas. Donc dans le cas de Maxime, ça a été deux fois des petits budgets. Félix et Meira, c’est 800 000 et quelques dollars ( à peu près 500 000 euros ) et ce même si on a tourné à Venise, à New-York, en hiver à Montréal et avec des costumes différents. Mais ce qui fait la force, c’est qu’il y a là dedans une totale dévotion. Les équipes en place veulent le bien du film, elles sont là pour les bonnes raisons. Le travail, tu le fais mais c’est pas pour gagner ta vie mais parce que tu veux défendre ce genre de cinéma là. Faire partie de ces aventures… C’est tout à l’honneur des artisans de ce film là. Ça a été exactement la même chose avec Le déserteur. Le budget était à peine plus élevé : 900 000 dollars. C’est rien quand tu regardes le film ! À l’écran, la production value est beaucoup plus élevée. Par exemple, Félix et Meira, c’est forcément un film de 2,5 millions ! Idem pour La grande noirceur, c’est du 3 millions. Les images sont magnifiques mais la beauté de la chose, c’est que c’est fait avec presque aucun éclairage artificiel. C’est juste bien préparé ! Maxime est d’ailleurs l’un des meilleurs pour l’adaptation aux imprévus d’un tournage. C’est quelqu’un qui a des idées claires et est en même temps très présent, mentalement, physiquement, comme s’il était,  peut-être pas surconscient,  mais en tout cas il va pouvoir adapter son plan de travail à ces imprévus. Ça, c’est une grande force !

Mais alors, est-ce que ce n’est pas cette facilité d’adaptation qui pousserait les institutions à le laisser se débrouiller et faire très bien avec deux fois moins d’argent ? En France, on raisonnerait comme ça : pourquoi l’aider plutôt que quelqu’un qui n’est pas capable d’y arriver dans les mêmes conditions ? Est-ce que ça ne serait pas donc l’effet de sa trop grande réussite ?

Non, ce n’est pas du tout le cas. Sur La grande noirceur, on n’a pas eu non plus l’aide de la SODEC, mais cette fois, c’est parce qu’on n’a pas essayé. C’est à dire qu’on avait développé ensemble un autre projet dès la fin de Félix et Meira. On avait achevé la scénarisation d’un autre long-métrage, beaucoup plus ambitieux, qui se déroulait principalement en Chine, à Montréal et aussi à Los Angeles. C’était un faux drame d’espionnage que moi je trouvais super. Le développement a été subventionné et on a passé trois ans dessus, même quatre. On a commencé à déposer pour la production à la SODEC et ça a été refusé une première fois, une deuxième puis une troisième fois. Donc là, on a dit : « Fuck off ! On va arrêter de se faire du mal pour rien ». On a fait un film par nous-mêmes car c’est important de tourner. Mais il faut aussi que ce soit quelque chose qui nous inspire. Au départ, ça a commencé sans argent. Mais Téléfilm Canada sont de forts alliés du cinéma de Maxime, ils ont été les premiers à embarquer dans le projet. Je pense que la SODEC aurait pu investir dans ce film là mais ça s’est fait tellement rapidement que je n’ai même pas demandé. Ça ne marchait pas au niveau des dates. Mais j’ai quand même obtenu le fond Aaron Greenberg et d’autres sources de financements. J’ai donc bouclé ce budget là vu qu’on fait ça bénévolement et qu’on y met même un peu d’argent de notre poche aussi. Ce n’est pas du tout rentable.

Au jour d’aujourd’hui, la SODEC aide-t-elle autant de films que par le passé, plus de films ou au contraire y a-t-il un petit recul compte tenu de la baisse des fonds publics dans beaucoup de pays ?

Le problème de financement vient plus de Téléfilm Canada que de la SODEC car eux, leurs budgets sont gelés depuis à peu près quinze ans. Il n’y a pas eu d’augmentation de budgets ou seulement pour la mise en marché. Ils ont bien fait des coupes dans l’administration pour redistribuer plus d’argent aux films, mais il y a une disparité entre les fonds alors qu’à la SODEC, les budgets ont été augmentés il y a quatre ans et viennent d’être encore augmentés. La SODEC a donc beaucoup de moyens quand Téléfilm n’a plus un cent. L’idéal c’est de faire le film avec les deux organismes. On peut avoir Téléfilm avec des productions cent pour cent canadiennes et après compléter avec les crédits d’impôts, les MG ( «Minimum Garanti», soit un montant investi par le distributeur dans la production du film en guise d’avances sur les recettes qu’il croit faire plus tard, au moment de la sortie en salles ), les participations par producteurs. Mais le problème, c’est qu’il faudrait que Téléfilm Canada aie plus de moyens. La difficulté, c’est qu’il faut que les deux budgets s’arriment parce que tu ne peux pas donner ton feu vert à un film à la SODEC alors que tu sais très bien qu’il ne sera pas financé par Téléfilm Canada par la suite ou qui aurait été refusé, souvent par manque de fonds.

Le déserteur de Maxime Giroux (2018-metafilms)

Venons en à l’incontournable Xavier Dolan… Dans un ouvrage récent, Pierre-Alexandre Fradet disait très justement qu’il arrivait à atteindre la maturité dans l’immaturité. Pour moi ces qualités d’urgence d’écriture, de dynamisme de la réalisation et du montage, de direction d’acteur mais aussi de rapports aux actrices sont présentes dès ses premiers films. Quel regard portez-vous sur ses débuts et qu’est ce qui a fait que vous n’avez pu travailler ensemble qu’à partir de Mommy ( 2014 ) ?

Comme je le disais au début, au Québec, il y a un esprit de collégialité. Tu n’essaies pas nécessairement d’aller chercher un réalisateur qui est déjà avec une autre boîte et ce, même si tu l’admires. Ça a été par exemple le cas pour Maxime qui avait déjà un autre producteur et c’était très bien comme ça. Moi je n’ai pas bougé mais à un moment donné leur relation s’est terminée et la porte s’est ouverte pour nous. C’est la même chose pour Xavier puisqu’à la base, il s’autoproduisait sur chacun de ses films avec une société qui s’appelait Mifilifilms, associée à d’autres producteurs. Mais c’est évidemment quelqu’un dont on admirait le travail et qu’on suivait de loin. L’opportunité n’était pas forcément là pour développer une relation. Le début est venu par ma collègue Nancy Grant durant la postproduction de Tom à la ferme ( 2013 ). Elle savait qu’ils manquaient d’argent pour finir le film et elle est issue d’une famille plutôt riche. Bien sûr quand l’argent n’est pas un problème, tu es dans une bonne position pour produire puisque le cinéma d’auteur ne rapporte pas beaucoup d’argent. Je pourrais évidemment faire des films commerciaux et me payer 500 000 dollars par film, sauf que je ne trouverais pas ça intéressant ! Nancy avait accès à des moyens et l’a donc contacté directement pour proposer d’aider à terminer le film.

Est-ce que Mommy a été votre plus grand succès commercial à ce jour et quelles ont été les autres œuvres qui ont marché et celles de votre catalogue qui au contraire n’ont pas trouvé leur public ?

Mommy a été évidemment le plus vu, le plus vendu à l’étranger, le plus gros succès au box-office canadien. C’est un cross-over, ce qu’on essaie toujours de faire, c’est à dire des films d’auteur qui à un moment donné basculent du côté du marché. C’est sûr qu’avec Denis Côté, c’est difficile d’y arriver. Avec Maxime Giroux, c’est possible et avec Xavier c’est toujours comme ça, Mommy étant le plus gros succès au Québec. Juste la fin du monde a eu plus de succès en France, c’est peut-être son film qui a eu le plus de succès, je serais curieux de vérifier ça…

En France,  Mommy  a fait 100 000 entrées de plus…

Ok… En tout cas ce sont les deux plus gros succès. Évidemment, il y a un effet d’entraînement. Tu le sens qu’il y a quelque chose de bon. Je me souviens qu’on est allé voir la copie zéro. On était quatre dans le cinéma. Tu sors de là, tabarnak ! Tu le sais que le film va bien se positionner mais je ne pouvais pas prévoir que cela allait être aussi important. C’est un énorme succès ! On en est vraiment très heureux. On avait aussi beaucoup investi. D’abord on se payait pas et on avait réinvesti tous nos cachets de production ainsi que les frais d’administration. Xavier avait réinvesti son cachet de monteur. Par chance, il a plusieurs casquettes, ce qui fait qu’il peut se payer de différentes façons : créateur de costumes, monteur, réalisation. Tout ça parce qu’on pensait que ça en valait la peine. Ce n’était même pas un si gros budget que ça : 4,8 millions au début et ça a fini à 5,5 millions de dollars canadiens. Autant de succès, ce n’était pas prévu mais c’est compliqué parce que… Avec un cinéaste comme Xavier, on sait que quand on dépose le projet, il va être financé à 100 %. C’est sûr mais ça pose un problème avec les autres réalisateurs avec lesquels tu travailles, parce qu’il peut très bien écrire un super scénario en trois ou quatre mois et hop, on le dépose et c’est financé. Mais qu’arrive-t-il si un auteur qui travaillait sur un scénario depuis trois ans est enfin prêt à le déposer au même moment ? C’était quand même injuste pour les autres, donc nous avons pris la décision de produire les films de Xavier à travers l’entreprise Mifilifilms recyclée en Sons of Manual. Enfin, ça ressemblait plus à des boîtes de factures dans une garde-robe qu’à une entreprise. On a du faire le ménage dans tout ça et générer les états financiers, restructurer le tout pour arriver à une entité différente de métafilms. Comme ça, ça ne vient pas mettre en péril les relations qu’on entretient avec les autres auteurs.

Justement, y a-t-il eu d’autres locomotives pour métafilms et a contrario des échecs imprévisibles? Des projets abandonnés avant leur terme ?

À ce sujet, notre système est intéressant. Nous faisons partie des entreprises les plus performantes au Canada mais ce n’est pas nécessairement à cause du box-office local. C’est un ensemble de critères qui donnent accès à une grille de pointage évaluée par Téléfilm Canada. C’est justement basé sur quels festivals on a fait à l’international, selon leurs catégories A, B, C, leur nombre, si on y a gagné des prix et lesquels, s’il y a des ventes à l’international, sur combien de territoires et pour quel montant, et puis le box-office local, le ratio coût vs les revenus globaux… Tout ça est donc pris en considération et ça donne une sorte d’épointage. Maintenant, un succès je le calcule de cette manière là. Donc les films qui nous donnent le plus de points, c’est Mommy, ensuite je crois que c’est Félix et Meira car il s’est beaucoup vendu à l’étranger et y a beaucoup été primé, avec un bon box-office. Ensuite je ne sais plus exactement… les films de Anne aussi ont bien marché, Nuit #1 et Les êtres chers. Les films de Denis Côté se positionnent bien dans ce classement surtout à cause des festivals et des ventes. Des échecs en tant que tels, je ne sais pas. Maudite poutine, j’ai été un peu déçu parce que j’avais mis beaucoup d’énergie dessus. Il est à mon avis magnifique et très différent de ce qu’on a fait d’autre car Karl a aussi une autre démarche. Là j’avais deux offres : une de Locarno pour la compétition à Cinéastes du présent, l’autre de Venise à Orizzonti en compétition donc ça partait plutôt bien ! On avait un petit vendeur qui avait la taille parfaite pour ce film là. Moi j’aurais préféré Locarno mais Karl voulait absolument aller à Venise. C’est sûr que si tu es capable de faire Venise et Toronto, alors là c’est très bon. Venise c’est prestigieux mais il n’y a pas de marché, pas de presse donc ça ne sert à rien. Par contre Toronto marche bien donc si tu es capable de combiner les deux, c’est l’idéal. Malheureusement, on n’a pas eu Toronto et ça a beaucoup affecté les ventes par la suite. Ça ne s’est pas tant vendu que ça mais il n’a pas fait tant de festivals non plus. Le box-office québécois a été relativement faible. Alors c’est vrai que c’est extrêmement arty comme film et je ne dirais pas que ça s’est mal passé, simplement que j’avais des attentes plus élevées. C’est à peu près le seul cas de figure récent, avec aussi Que ta joie demeure de Denis Côté, qui a été plutôt mineur. Tous les autres film ont bien marché, en tout cas d’une certaine façon. Mais Mommy, là ça a vraiment cassé la baraque.

Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Et sinon, travailler avec des acteurs français pour Juste la fin du monde, trois comédiens français de générations différentes et tous reconnus, j’imagine que ça c’était  important pour métafilms ?

Tout à fait. Juste la fin du monde est une coproduction officielle avec la France. Ça s’est vraiment bien passé. Il faut préciser qu’on avait d’importants moyens financiers pour ce film. C’était surtout agréable de voir que les acteurs français avaient du plaisir à venir tourner au Québec parce qu’enfin, ils pouvaient être dans un contexte de vie normale. Entre les prises, ils sortaient dehors jouer au foot ! Il n’y avait personne, aucun paparazzi qui leur courait après et même, la plupart des gens n’était pas au courant de qui ils étaient. On tournait en banlieue, les gens étaient dans leur piscine ou occupés à arroser leur gazon à côté de Vincent Cassel. Ils ont beaucoup aimé cette possibilité d’être un petit peu anonyme et qu’on leur foute la paix. Non, c’était une super belle expérience, tout le monde était gentil et était là pour les bonnes raisons.

Maintenant et en ce qui me concerne, la grande excitation – en plus nouveau film de Anne Émond – Jeune Juliette, qui sortira en France en décembre – c’est le nouveau film de David Perrault, cinéaste français révélé par l’excellent Nos héros sont morts ce soir ( 2013 ). Il semble qu’il y ait une petite continuité avec l’univers western du Déserteur. Comment en êtes-vous venu à ce projet ? Par ailleurs, son  premier long avait des recettes plutôt confidentielles. Se pourrait-il qu’une société québécoise fasse un succès avec un film français en France ?

En fait nous sommes coproducteurs minoritaires sur L’état sauvage, le nouveau film de David Perrault. Le lien s’est fait avec le producteur français que je connais depuis au moins 2012 au fur et à mesure des festivals et des rencontres de copros… On avait déjà tenté ensemble une coproduction pour Diego star. Finalement, ça s’est fait avec la Belgique et Marion Hänsel qui est basée à Bruxelles pour une très belle collaboration. On avait gardé contact pour un futur projet et il y a deux ans, il m’a parlé de celui-ci. Or j’avais beaucoup aimé Nos héros sont morts ce soir. Voilà un vrai auteur, intéressant et tout ! Je ne fais pas les coproductions pour le plaisir parce que c’est très compliqué, ni pour gagner de l’argent parce qu’il n’y en a pas vraiment. Tu le fais parce qu’il y a une certaine logique dans ton catalogue et que ça entre dans le corpus métafilms. Ici, ça s’est fait très naturellement. Ils sont venus tourner au Québec deux semaines en novembre. Ce n’est pas du cinéma de genre mais un film d’auteur, même sil est évident qu’il y a des emprunts au western. Mais c’est aussi un drame, un vrai beau film qui est en pleine post production, plus précisément en étalonnage. Je viens d’y passer du temps à Paris et ce sont vraiment des images magnifiques. Ça a été assez complexe et même difficile financièrement, mais il est sûr que ce film là va avoir une meilleure réception et un plus gros succès commercial en France, je vous le garantis sur facture ! ( rire )

Entretien réalisé par Pierre Audebert au festival 48 images seconde de Florac en avril 2019. Remerciements Guillaume Sapin et Lorianne Dufour, association La Nouvelle Dimension.

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