Reporter photo pendant des années pour les agences Gamma et Sygma, William Karel a débuté dans le cinéma français aux cotés de Maurice Pialat avant de se lancer dans la réalisation avec De Gaulle ? Connais pas dans les années 80, Depuis, il s’est imposé comme l’un des cinéastes politiques les plus importants du paysage cinématographique français.
Entretien avec un farceur désabusé
Vous avez été reporter photographe pendant des années avant de vous consacrer au cinéma; la photographie a-t-elle nourri chez vous l’envie d’être cinéaste?
C’est plutôt dans l’autre sens que ça s’est fait; j’ai été photographe de guerre et de reportage puis j’ai très vite eu envie de réaliser parce que je voulais faire du cinéma.
Je me suis dit que la meilleure façon d’apprendre à faire des films, c’était d’être photographe de plateau.
C’est un des métiers du cinéma les plus faciles: toutes les lumières sont prêtes et vous voyez vraiment comment faire. Je n’allais pas faire une école à mon âge
J’ai fait ça 8 ans. j’ai travaillé sur les trois derniers films de Maurice Pialat et puis, à la fin, canal plus a demandé si on allait faire un documentaire sur Pialat au travail, je n’ai plus fait de fiction, Ensuite j’ai préféré enchaîner les documentaires .
Quel souvenir gardez-vous de votre première expérience dans la fiction avec Poison d’Avril ?
D’abord j’étais très content, je me suis tellement battu pour le faire, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi. D’abord, parce que dans le documentaire, on est à deux, on tourne très facilement . Là, c’était vraiment différent : un matin, je me suis retrouvé avec 30 personnes et nous étions en équipe réduite, ils sont venus me demander ce qu’on devait faire.
Je n’avais pas l’habitude d’avoir plein de gens qui vous demandent cela et surtout je n’avais pas d’autorité! par exemple, ma comédienne principale n’apprenait pas son texte donc quand elle venait, on perdait un temps fou et le producteur me disait que c’était honteux !
En fin de compte ça a été compliqué par bêtise et prétention.
Quand j’ai fini d’écrire le scénario, tout était prêt pour le tourner; j’ai joué un peu les rôles pour voir quelle durée cela représentait; j’ai vu que cela faisait entre 1h30 et 1h40. Ensuite le producteur m’a dit qu’il y avait une société qui savait exactement combien de temps allait durer les films à partir du scénario. Nous sommes allés les voir; ils nous ont annoncé trois heures…….je n’y croyais pas,
Je suis donc allé en voir une autre qui m’a annoncé cette fois: 2h50…je n’y croyais pas non plus .
On a dû jeter la moitié du film parce qu’il a vraiment fait 3 heures et comme c’était géré sur 23 jours de tournage, si je n’avais pas fait la bêtise de réduire le film avant, je m’en serais mieux sorti.
Finalement, je suis content mais j’aurais dû m’y prendre à 25 ans; les journées de tournage pouvaient durer jusqu’à minuit…. je ne savais pas que c’était aussi dur .
Combien de temps vous a pris le tournage de Opération Lune et comment avez-vous convaincu les protagonistes de participer votre documentaire?
Je n’ai convaincu personne. Les gens pensent que Rumsfeld et tous les autres ont accepté de jouer dans le film . C’est lors d’un long métrage sur Nixon que j’ai fait deux ans plus tôt où j’ai rencontré ses principaux conseillers qu’ on a décidé de faire ce faux documentaire sur la lune .
Il suffisait juste de prendre ces entretiens vieux de deux ans et de découper les morceaux de textes qui nous intéressaient pour inventer cette histoire.
Eux, ils n’ont jamais vu ou participé au projet…. par exemple, à un moment dans le film, un témoin balance que si les gens l’apprennent, ça sera le plus grand scandale jamais vu ça parlait d’un enregistrement de Nixon. En fin de compte il suffisait que ça soit crédible .
Ce fut un habile travail de tricoteur surtout de la part du monteur .
Au vu de sa victoire en 2016, envisagez-vous, 15 ans après Le Monde selon Bush de faire un portrait de l’actuel président américain Donald Trump?
Alors, non seulement on va le faire, mais en plus, j’ai signé un contrat avec France 2 .
je pars en septembre pour le réaliser. J’avais déjà fait un film d’une heure et demie quelques mois avant son élection; 45 minutes sur Hilary Clinton et 45 minutes sur lui où j’avais déjà montré un peu sa folie, mais en fin de compte, il est totalement faux, (NDLR Trump)
Tous les gens que j’ai rencontrés m’ont dit qu’il n’avait pas une chance sur un million d’être élu et ce n’était pas des mecs au bistro du coin mais des journalistes au New York Times, au Washington post, des directeurs de chaînes de télé. Quand je leur posais la question de savoir s’il avait une chance, ils se tordaient littéralement de rire. Même moi, je me suis ridiculisé: une semaine avant les élections: on a fait une projection et comme un crétin j’expliquais au gens pourquoi Trump ne deviendrait jamais président des États Unis. J’ai dû ensuite raser les murs.
En tout cas, je compte revoir toutes ces personnes qui m’ont dit qu’il ne serait jamais à la Maison Blanche, si c’est possible, et faire un portrait juste avant sa réélection. Mais bon, j’imagine que ça n’a aucune influence. Il y avait ses dix principaux ministres: le ministre de la défense, de l’intérieur, le chef de la CIA, du FBI. Tous l’ont quitté l’un après l’autre et ont publié des livres où ils le traitent de fou et d’incendiaire.
Nous, on va faire un long métrage avec ces dix témoins.
Ce n’est ni un film objectif, ni rien, c’est vraiment une charge contre lui.
Le Documenteur(1) est- il un genre plus pertinent que le documentaire et la fiction pour dénoncer les affres du pouvoir ?
A l’époque, on était content de le faire, mais aujourd’hui, je ne sais pas si on le referait.
C’est un jeu extrêmement dangereux. J’ai reçu une avalanche de mails pendant des années disant: « toutes mes félicitations, vous avez enfin raconté la vraie histoire, on nous a menti pendant des décennies » certains se sont mis à croire à n’importe quel délire.
Canal Plus avait fait un documentaire sur l’extrême droite et il y avait le leader du parti: un type affreux qui avait dit: « maintenant qu’on sait la vérité, ils n’ont jamais marché sur la lune, ça a été tourné en studio, les Américains sont capables de tout ».
Nous nous étions aventurés sur un terrain assez dangereux, même si dans le film on ne dit jamais qu’ils n’ont pas marché sur la Lune…. il avait été construit en disant ils n’avaient pas pu envoyer des images .
Même les faux espions soviétiques disent que tout a parfaitement marché sauf les photos .
On n’ arrive pas à comprendre comment, à l’époque,( ça fait quand même 50 ans!) on pouvait faire un direct avec la lune.
Avez vous l’impression aujourd’hui d’avoir été en avance sur votre temps par rapport à la manipulation des images ?
Par rapport au film Opération Lune ? je ne m’attribue pas tout le mérite.
Il y avait eu le film de Agnes Varda Documenteur et elle nous a autorisés à utiliser le titre .
Sans compter aussi un film magnifique de Peter Watkins qui a été tourné en Australie où un berger, cherchant un mouton dans une grotte, tombe sur une montagne de films et découvre toute l’histoire du cinéma, c’était époustouflant.
Faire un faux documentaire, au final, c’est beaucoup plus pertinent que de faire un inventaire des dangers des manipulations,
Quels sont les cinéastes politiques qui vous inspirent aujourd’hui?
En documentaire, le maître, pour la plupart des gens, c’est Frederick Wiseman: c’est un génie.
J’aime beaucoup Depardon à qui je dois beaucoup; c’est lui qui m’a engagé comme photographe, mais moi, je n’ai rien à voir avec lui ou Julie Bertucelli, par exemple. Ce sont de vrais documentaristes; ils choisissent un sujet, prennent une caméra, s’installent dans un endroit pendant six mois et font des documentaires ..
Moi je n’ai jamais fait ça, sauf la lune qui est à part; mais dans tous les films que j’ai faits, je cherche des témoins qui peuvent parler à la troisième personne, je m’assieds en face d’eux et la forme, en fin de compte, m’intéresse assez peu.
C’est ce qui se dit dans le film que j’ai terminé il y a une semaine et que j’ai présenté hier: on savait qu’il y avait encore une dizaine de témoins par rapport à un massacre en Roumanie. On a mis deux mois à le tourner mais six pour retrouver les témoins qui ont été éparpillés.
Même si un historien est intelligent, je préfère mille fois avoir l’avis des gens simples qui ont vécu les choses et qui les racontent.
Il y a beaucoup d’humour dans vos films.
Pensez-vous que le rire soit un rempart contre la médiocrité humaine?
Le rire?…. Oui, absolument, quand on me parle de mon film sur la lune, moi ça me rappelle surtout mon goût pour la plaisanterie.
Il y a des gens qui se penchent sur des études sérieuses pour Opération Lune….Nous,on l’a fait à la manière de Y’a t’il un pilote dans l’avion ou Bananas de Woody Allen».
Si on ne m’avait laissé faire que des comédies, je n’aurais fait que ça . Celui que je présente ce soir : Meurtre a l’empire states building,c’est aussi sur ce principe.
C’est un film que j’espère drôle, mais c’est un humour un peu particulier parce que c’est une commande de Canal Plus, la seule chaîne qui avait les sous pour le produire : soixante longs métrages américains déposés en morceaux, ils l’ont détesté pourtant je ne le trouve pas si nul que ça; il a eu une critique excellente, donc pour se venger, ils l’ont diffusé le soir de la finale de la coupe du monde de football pour être sûr de n’avoir pas un chat devant le poste .
Qu’avez vous appris sur le cinéma aux cotés de Maurice Pialat ?
J’ai appris comment on fabriquait un long métrage.
Il ne disait jamais « moteur » ni « ça tourne » ni « coupez »… c’était son principe. Il disait que tous les beaux films, c’est ce qu’il y a avant et après la scène . On ne les voyait jamais chez d’autres réalisateurs .C’était très fort pour mettre les gens mal à l’aise. Il aimait, pour entretenir les rapports avec les comédiens, respecter son image de type infect et violent.
Un moment qui m’avait marqué dans A nos amours un soir, Sandrine Bonnaire devait rentrer très tard alors qu’elle avait dit au personnage de sa mère qu’elle rentrait tôt, Pialat dit à Bonnaire de rentrer tranquillement et dira totalement l’inverse à la mère qui l’attendait près de la porte et la massacra complètement ….Bonnaire ne s’attendait pas à ça… c’est ce qui est fou et qui surprend dans cette scène .
Le mot de la fin maintenant, êtes-vous optimiste quant à l’avenir du cinéma politique et du monde dans sa globalité?
Du monde… certainement pas, peut être que vous trouverez un jour un fou qui est optimiste.
Sur le documentaire, par contre, je suis très optimiste; il y en a au moins deux qui sortent chaque semaine en France, signe d’une excellente santé. Je dis toujours qu’un bout de documentaire et dix fois plus fort qu’une fiction même si La liste de schindler de Spielberg est un bon film, il n’arrivera jamais a la cheville de Shoah de Lanzmann.
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