La Semaine de la Critique avait accueilli le premier film d’Erwan Le Duc, Perdrix. Fidèle au réalisateur, elle a présenté La fille de son père pour sa clôture du festival 2023.
En se jouant avec grâce des conventions du réalisme cinématographique, La fille de son père procure une véritable sentiment de joie et de liberté.
Les premières minutes sont muettes: on y voit Étienne, jeune homme de vingt ans un peu lunaire toujours vêtu d’un maillot de foot, tomber amoureux de Valérie, avoir un enfant, se faire quitter. Puis, quelques séquences toujours dépourvues de dialogue montrent Rosa grandir aux côtés de son père. C’est mené tambour battant, sous le signe de la poursuite et de la fuite – de l’autre, du temps-. L’intrigue s’installe véritablement lorsque Rosa, 17 ans, lycéenne, s’apprête à quitter le nid pour étudier aux Beaux-Arts de Metz, à 3h40 de son père ( il le sait: le jour des résultats d’admission, il a fait l’aller-retour pour évaluer la distance et s’assurer, auprès d’un membre du personnel éberlué, que quelqu’un gardera un oeil sur sa fille). La première très belle idée est celle de ne pas faire vieillir Étienne: son apparence demeure inchangée tout au long du film. En s’affranchissant ainsi d’une pratique commune, Le Duc nous propulse en un clin d’oeil dans un univers décalé où tout sera possible. Mais ce premier pas de côté illustre aussi le coeur du propos: alors que Rosa franchit tranquillement les étapes de sa vie ( premier flirt, première fois, permis de conduire…) et peut finalement affirmer qu’elle est sortie de l’enfance, Étienne, meurtri par une histoire d’amour trop vite achevée, pétri d’inquiétudes, a bien du mal à se mouvoir à plus de quelques pas de sa fille. La scène où il la suit comme dans un rêve jusque dans les couloirs de son lycée le dit avec brio. Il la devance à Metz, la suit au Portugal. Le montage fait passer d’un espace à un autre comme par magie: Étienne est partout; cet homme est l’ombre portée de sa fille. Sa nouvelle amoureuse ( Maud Wyler, toujours aussi irrésistible), avec qui il souhaite emménager, quittant pour cela la maison dans laquelle il a toujours vécu, l’aidera-t-elle à grandir? Un plan le montre enfermé dans un carton de déménagement: magnifique illustration de la tension entre le désir d’avancer et la paralysie mais aussi et surtout de la peur du nid vide.
Le film est une sorte de “coming of age” inversé et se regarde comme une saturnale. Les jeunes y sont des êtres de parole et de sagesse. Céleste Brunnquell et Mohammed Louridi, dans les rôles de Rosa et de son amoureux Youssef, parviennent comme miraculeusement à donner corps avec le plus grand naturel à un dialogue très écrit, qui met dans la bouche des ados des propos et des mots trop adultes. Les scènes dans lesquelles ils abordent avec une simplicité désarmante leur sexualité devant un Étienne pétrifié par la gêne sont exquises de drôlerie. Ces ados écrivent, discutent de l’épopée et de l’amour courtois, peignent… et semblent vivre sans portable.
Face aux jeunes acteurs impressionnants par la maturité de leur jeu, Nahuel Perez Biscayart offre une performance digne des meilleures slapstick comedies. À sa fille le verbe, à lui le corps burlesque.
Inversion des clichés toujours avec cette scène hilarante dans laquelle le jury très masculin devant lequel Étienne passe son brevet d’entraîneur de foot se met à entonner “coucou hibou” pour endormir Rosa bébé, que son père a emmenée avec lui malgré la proposition de ses parents de la garder. L’apparition détonnante de Noëmie Lvovsky en mairesse devenue écologique par opportunisme, fait de son côté contraste avec l’engagement écologique sincère des jeunes.
Ils sont en définitive les héros lumineux de cette épopée du quotidien. Le personnage fort de l’histoire est Rosa, que la désertion maternelle semble avoir laissée intacte. Elle aide son père à grandir, permettant à la fin du film la “formation en triangle” chère à l’entraîneur de foot, dont l’idée, me dit internet, « est de faire comprendre au joueur qui n’a pas le ballon qu’il doit donner une possibilité à son coéquipier, le porteur du ballon, en se déplaçant correctement pour lui donner une solution supplémentaire de passe”.
1h 31min
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