Il faut saluer l’équipe du Festival International de La Roche-sur-Yon et la féliciter d’avoir maintenu coûte que coûte (avec les mesures sanitaires de rigueur) une manifestation qui n’a plus à faire ses preuves. Avec une baisse de fréquentation de seulement 33% par rapport à l’an dernier, et ce malgré une jauge réduite de moitié, le pari semble amplement gagné ! Si le couvre-feu ne concerne pas (ou pas encore) la ville (malgré une singulière expérience lors du confinement), il règne une ambiance un peu particulière lors de cette onzième édition. Sans doute faut-il « en passer par là » avant que tout rentre en ordre.
First cow, le plus beau film du festival (et le plus beau de l’année s’il trouvait un distributeur), raconte l’amitié de deux hommes mais aussi la naissance d’une nation et du système qui la gouverne. Quatre ans après Certaines femmes, Kelly Reichardt revient à l’essence du western, genre crée de toutes pièces au cours du XIXe siècle pour doter un pays sans Histoire d’un mythe à la hauteur de ses ambitions. Les feuilletons, les romans, la peinture et bientôt le cinéma vont peu à peu nourrir la légende en construisant le genre. Loin de figures édifiantes, la cinéaste américaine raconte une histoire simple, à hauteur d’homme c’est à dire sur terre, littéralement. Magnifiquement mis en scène (image carrée, travail sonore ultra sensible), First cow atteint la grâce dès les premières images et déroule le fil d’un récit profondément doux malgré la rigueur du propos : il s’agit là de survivre et Kelly Reichardt, l’une des plus grandes réalisatrices actuelles, filme la vie.
First Cow © A24
Autre western, comme s’il fallait en revenir aux racines, situé 50 ans plus tard, The world to come, de la cinéaste Mona Fastvold, saborde un récit d’une belle facture formelle par une voix off omniprésente. Parions que sans cet accompagnement narratif redondant, cette histoire d’amour puissante aurait atteint des sommets. Les émotions, constamment ligotées auraient alors pu s’épanouir pleinement. Malgré un beau casting et un propos fort, le film ne parvient pas à toucher comme il le devrait. Si on le compare à First cow, tous deux adaptés d’un roman, on mesure la manière dont la matière littéraire a été travaillée. Quand Mona Fastvold ne parvient pas à s’en affranchir, Kelly Reichardt la transforme magnifiquement en langage cinématographique.
S’inspirant d’un roman d’anticipation d’Olaf Stapledon datant de 1930, Jóhann Jóhannsson, musicien de films récemment décédé à qui le Festival rend hommage, pose la voix de Tilda Swinton sur les images désaturées de l’architecture nationaliste de l’ex-Yougoslavie. Le texte prophétique se mêle à une installation formelle rigoureuse qui donne à Last and first men une dimension hypnotique.
Bien évidemment, le cinéma s’inspire aussi du « réel ». Deux films majeurs de la sélection, aux approches radicalement différentes, en donnent une vision puissante. Racontant le destin aussi romanesque que périlleux de deux jeunes hommes amoureux passant la frontière pour quitter le Mexique et aller vivre à New-York, I carry you with me sonne comme la vraie surprise du Festival. Travaillant à partir de l’expérience vécue par un couple de ses amis, Heidi Ewing construit son récit en deux temps. Le basculement de la narration « fictionnelle » au documentaire, très subtilement amené, donne au film une puissance décuplée, l’identification aux personnages fortifiant alors l’empathie ressentie. Évoquant la question gay, le rapport aux racines, à la filiation et la paternité, ce long métrage primé à Sundance bouleverse.
I carry you with me © Black Bear Pictures, Loki Films
Quatre ans après Fuocoammare (situé à Lampedusa), Gianfranco Rosi pose sa caméra aux frontières de l’Iraq, du Kurdistan, de la Syrie et du Liban. On retrouve dans Notturno (sortie annoncée le 3 février 2021) toute la force du cinéma qui montre au lieu d’expliquer : dessins d’enfants témoignant des massacres de Daesch, occupations « malgré tout » de celles et ceux qui vivent dans ces zones tampon, militaires en attente ou en action, pensionnaires d’un asile psychiatrique répétant une pièce de théâtre, adolescent travaillant à la journée pour nourrir sa famille… autant de conditions humaines survivant en marge de la guerre. Notons également la présence du nouveau film d’un autre grand documentariste : City Hall de Frederick Wiseman (dont la visite en 2017 pour présenter Ex Libris : The New York Public Library a marqué les esprits).
Avec Joachin Phoenix comme producteur exécutif, Gunda de Victor Kossakovsky, s’est transformé en véritable phénomène lors de la dernière Berlinale. On comprend malheureusement pourquoi : voilà un film pour végétariens du dimanche qui n’ont jamais mis les pieds dans une ferme, ni même à la campagne. Malgré de bien belles images très stylisées (en noir et blanc, les cochons sont plus propres), le message se trouve biaisé par un parti pris fort discutable.
En salles le 25 novembre prochain, Je voulais me cacher (Volevo nascondermi) raconte l’histoire d’Antonio Ligabue, peintre très célèbre en Italie mais inconnu en France. Présenté à Berlin, le film a valu un prix d’interprétation mérité à Elio Germano. Biopic linéaire de forme classique, la réalisation de Giorgio Diritti dresse avec habileté et justesse le portrait d’un artiste hors norme, tour à tour paria ou adulé, indomptable, déséquilibré mais constamment convaincu de son talent. Baptisé le « Van Gogh italien » ou qualifié de naïf, Ligabue pratique une peinture brute, colorée et fortement contrastée. Passerelle entre le film et l’œuvre, une exposition* initiée par le Festival et assurée par le Musée de La Roche-sur-Yon permet de prolonger l’expérience. Autour de quelques œuvres aussi rares que précieuses, la projection de documentaires consacrés à l’artiste permet de mesurer la place singulière qu’il tient encore en Italie. Destin d’artiste, encore, co-écrit, co-produit et interprété avec sensibilité par le rappeur Riz Ahmed (et donc en partie autobiographique), Mogul Mowgli de Bassam Tariq surprend agréablement malgré quelques lourdeurs.
Je voulais me cacher © Bodega Films
À mi-chemin entre la fiction pure, l’allégorie et un portrait contemporain du Lesoto, This is not a burial, it’s a resurrection de Lemohang Jeremiah Mosese, impose la puissance formelle d’un récit aussi mystique que terrien (superbe musique de Yu Miyashita). Loin de se poser en opposant a priori d’un « progrès » imposé (ici, un village devant être immergé sous une réserve d’eau), le cinéaste brasse les thématiques éternelles du sens de la vie et de la mort en oscillant avec audace entre naturalisme et maniérisme.
Avec Mandibules, le « réalisateur de films beiges » Quentin Dupieux signe une sorte de retour aux sources avec ses personnages teubés, ses situations absurdes, son comique de situation et la volonté assumée de raconter des bêtises. Le résultat s’avère particulièrement savoureux ! Autre registre, mais égale inventivité, Bait du britannique Mark Jenkin, explore la cohabitation mouvementé entre pêcheurs et touristes dans un village côtier des Cornouailles. Très inspiré par le cinéma moderne des années 60 mais parfois noyé par son maniérisme, le film travaille cependant la forme et le fond avec pertinence. Irmã, premier long métrage brésilien de Luciana Mazeto et Vinícius Lopes, s’avère aussi inventif que surprenant malgré son évident manque de moyens. Assumant avec audace un mélange des genres assumé, cette chronique de l’adolescence surprend souvent et touche par sa justesse et sa fraîcheur.
Irmã © Wayna Pitch
Huit ans après Les bêtes du sud sauvage, Benh Zeitlin se montre beaucoup plus convaincant avec Wendy. Conte pour enfant, à hauteur d’enfant, souvent naïf, parfois niais (surtout sur la fin), le film avance avec une énergie communicative et un puissant esprit d’aventure. Superbe interprétation et mise en scène rythmée surpassent la candeur du propos. De son côté, The nest, drame bourgeois à parfois grosses ficelles mais porté par la puissante interprétation de Carrie Coon (aux côtés de Jude Law) étudie avec minutie la déliquescence du couple (avec son lot de frustrations, de mensonges et de ressentiments) en plein boum néo-libéral des années 80.
Quelques autres films ne marqueront pas les mémoires, Happy old year de Nawapol Thamrongrattanarit (bavard et sybillin), #handballstrive de Daigo Matsui (teenmovie sans grâce), El Prófugo de Natalia Meta (très confus) et Le sorelle Macaluso d’Emma Dante (d’une lourdeur abyssale).
Comme chaque année, le Festival présente rétrospectives et focus (en plus d’un invité de marque, Éric Judor), consacrés cette fois à trois réalisatrices, Sally Potter, Julia Hart et Joanna Hogg. Le nouveau long métrage de cette dernière, The souvenir, en partie autobiographique, s’avère totalement aphone : aucune émotion, beaucoup de bavardage, clichés de la petite fille riche voulant s’extraire de sa condition sans chercher véritablement à y parvenir. Même la passion amoureuse ne parvient jamais à toucher.
Une riche sélection de courts-métrages, dont on retiendra deux belles chroniques adolescentes signées Eliza Hittman, le troublant Sudden light de Sophie Littman, l’inventif Corona voicemails : staying home de David OReilly (invité de l’édition 2017) et le singulier Grab them de Morgane Dziurla-Petit (dans lequel une femme seule souffre d’être le sosie de Donald Trump…), viennent compléter une programmation comme toujours riche de diversité et de découvertes.
Vivement l’édition 2021 !
Palmarès :
Grand Prix du Jury International Ciné +
Louloute – Hubert Viel
Prix Spécial du Jury ex-aequo
Louxor – Zeina Durra
The world to come – Mona Fastvold
Prix Nouvelles Vagues Acuitis
This is not a burial, it’s a resurrection – Lemohang Jeremiah Mosese
Prix Trajectoires BNP PARIBAS
À l’abordage – Guillaume Brac
Prix du Public
Summertime – Carlos López Estrada
*L’exposition est visible à la salle d’Art Contemporain du Cyel jusqu’au 14 novembre. Infos : Musée de La Roche-sur-Yon.
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