On plonge donc en pleine maturité avec le festival qui fête cette année sa 30e édition, pleine de surprises, entre hommage à l’année de sa naissance, 1986, cadavre exquis, Otar Iosseliani et autres rimes riches en i.
Journée 1 en douceur, c’est parti ! (hop, rime gratuite)
- L’homme tranquille, de John Ford
(Quelques notes sur l’amusant dispositif qui a fait surgir John Ford ici : à l’occasion de sa 30e édition, le festival a proposé un cadavre exquis à 30 cinéastes chers à l’histoire de celui-ci. Le principe : on envoie, sans un mot ni référence le dernier photogramme d’un film choisi par le précédent, et, par libre association d’idée, visuelle ou autre, le participant choisi une oeuvre (dont on enverra le dernier photogramme…etc).
Ici, Ford est le choix de Miguel Gomes, suite au dernier photogramme de Dernier Caprice d’Ozu, choisi par Jean-Claude Rousseau)
Refoulés pour cause de succès de la compétition officielle (que nous rattraperons d’ici quelques jours), on commence en douceur avec un trait d’union amusant entre nos précédentes chroniques festivalières et celles-ci. C’était dans le nord, mais c’était aussi l’Irlande.
Sans conflit ici, ou presque : Sean Thornton (John Wayne) revient en Irlande, fuyant un scandale qu’il a à son corps défendant provoqué aux Etats-Unis (magnifique séquence pleine de modernité). Pas de chance, il se met immédiatement à dos le bourgeois du village,Will Danaher (Victor McLaglen) en cumulant en quelques jours le rachat d’une maison qu’il convoitait et en tombant éperdument amoureux de sa sœur, Mary Kate (pas étonnant, c’est Maureen O’Hara).
Film de retour aux sources pour l’exilé irlandais John Ford, terre des ancêtres qu’il sublime dans un travail de la couleur et du paysage assez impressionnant (que le DCP, parfait, fait exploser au regard), les chargeant d’une duelle tentation bucolique immédiatement balancée par une forme de mélancolie.
Classique en apparence jusqu’au bout des ongles, jusqu’à son efficacité narrative incroyable (comme toujours, en 3 minutes, une galerie de personnages truculents est tracée, un enjeu, un pays), le film fonctionne surtout sur son travail dialectique, USA vs. Irlande, s’amusant tout autant de la description tendre des us et coutumes que nouant son intrigue et scénario autour des contradictions et chausse-trappes que celles-ci engendrent, s’arrêtant sur des séquences de chants ou de bar pour le simple plaisir de faire résonner l’accent des gens du cru.
Mais ce qui impressionne ici, c’est avant tout le ton. Film plaisir, mineur en apparence, film autobiographique, étrange histoire d’amour qui se conclut par un final dantesque et jouissif, qui emprunte au slapstick comme au burlesque muet tendance Laurel&Hardy, le film est sans aucun doute le plus drôle de Ford, en tout cas une improbable comédie au milieu de sa filmo. Onirique, amoureux et drôle : comme quoi, la verte Erin ressource même les cinéastes.
LA COMPETITION
- La révolution n’est pas un dîner de gala, de Youri Tchao-Debats
Particularité du programme belfortin : chaque compétition vaut coup double, le long étant toujours précédé d’un duo (parfois improbable comme ici) court, qui ouvre la séance et concourt lui aussi pour une catégorie.
On commence donc avec un titre bien debordien et qui annonce la couleur : « La révolution n’est pas un diner de gala ».
Ca commence fort.
Grosso merdo : l’histoire d’une auto-stoppeuse qui rêve de devenir actrice, et qui rencontre un forain qui se rêve révolutionnaire. On rigole, on danse, et on s’embrasse et bim, arrivée à l’appartement le coloc un peu pataud et défoncé te traite de petite conne qui n’y arrivera jamais, alors tu piques ta crise et part courir dans la rue mais bon, ton amoureux arrive et vous faites du scooter.
Si la dialectique pouvait casser des briques, « La révolution… » ne n’effraye pas la troisième patte dudit palmipède. A part la performance de Coralie Russier, très juste, difficile de donner grâce à ce petit film déjà vu, déjà filmé mille fois (prendre deux pseudo marginaux, mélanger le tout, et hop, rencontre des solitudes et des rêves), sans doute mieux et hors du pur champ contrechamp, plutôt jolis au demeurant. Pas méchant mais pas stimulant, collé au narratif sans jamais mettre en scène, ce film francais pur jus se paye le luxe de conclure sa réflexion pseudo révolutionnaire par un dernier retournement rétrograde et petit bourgeois : si on ne peut pas atteindre les sommets, pourquoi lutter. Restons médiocres et partons rêver à tout ce qu’on ne sera jamais. Mouais.
- Chigasaki story, de Takuya Misawa
Pension Chigasaki, quelque part au Japon : il y a la patronne, qui attend son mari en voyage, son frère surfeur-boy trop couvé, et notre héros inconscient, X, serviable, docile et un peu trop poli en courbettes. Ce petit monde tourne à merveille, accueillant pour quelques jours les familles de passages voulant s’offrir un peu de calme. Arrivent Karin et Maki, trop sérieuse working girl et sa partenaire pétasse, amies de longues dates de X dont elles viennent célébrer le mariage. Rien ne semble changer et pourtant, un subtil jeu de connivence masochiste se met en place entre X et Y, le rendant aveugle à sa Y retrouve son professeur d’archéologie et le goût de sa jeunesse et d’un fantasme inabouti,
Il y a dans ce joli premier film une ambiance, étrange et solaire : celle presque côté ouest des USA, aux ciels flamboyants et au temps suspendus (on y parle d’ailleurs surf et hawai), mais qui rencontrerait la pudeur nippone des tatamis.
Un jeu de l’amour et du hasard ouaté et poli s’y installe, pris entre la langueur des vacances et le temps toujours compté (3 jours de location et autant de congés). C’est si peu pour espérer créer quelque chose, si peu pour retrouver la fraîcheur de sa jeunesse ou d’un temps où le mariage n’était pas.
Du désir sous le vernis, en longs plans fixes et architecturaux, qui enferment les êtres jusqu’à la séquence finale, dans un soleil couchant flamboyant et doux.
Rien de bien nouveau sous le soleil nippon, mais une manière assez stimulante de relancer l’action par une impossibilité à l’épanchement émotionnel : dans le fond, si chacun y souffre et n’arrive pas vers l’autre, c’est du carcan d’une société qui propose soumission et non-dits.
Dommage que l’action s’enlise tranquillement dans sa seconde partie qui, malgré quelques éclats (la séquence du mariage, simple et belle, la partie de ping pong amoureux), s’empêtre un peu dans les fils initialement lancés en tirant à la ligne vaille que vaille. Pas étonnant, dans le fond : difficile de maintenir à fond l’idée de faire du Marivaux dans un monde où rien ne peut s’exprimer.
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