On le sait peu, mais le Maryland abrite un des plus grands festivals de cinéma européen d’Amérique du Nord. Située dans la grande banlieue de Washington DC, voisine de la très chic, très blanche et plus connue Bethesda, la ville de Silver Spring, que rien ne distingue a priori sinon la réjouissante diversité de sa population, est l’inattendu point de ralliement des cinéphiles de la région tous les mois de décembre.
C’est là en effet que, depuis 2003, l’American Film Institute ( AFI ), soutenu par la Délégation de l’Union Européenne aux USA, l’Alliance Française et de nombreuses ambassades européennes, présente un festival vieux de 33 ans, d’une ampleur et d’une ambition remarquables. Durant trois semaines, dans les magnifiques salles art déco d’un bâtiment historique restauré de près de 3000 mètres carrés, un public d’habitués se presse pour découvrir une très éclectique sélection de films, écouter des présentations, participer à des séances de Q and A. Pas de prix, sinon celui du public. Juste du plaisir.
C’est une affaire bien huilée. Mais 2020 n’est pas une année ordinaire. En Europe comme aux Etats-Unis, les crises, sanitaires et politiques, se sont succédé. Ont-elles changé la donne, et comment? Les programmateurs du festival, Todd Hitchcock, Abbie Algar et Ben Delgado, ont accepté avec beaucoup de chaleur de répondre à ces questions.
Bien sûr il a fallu faire migrer le festival en ligne. Une évidence puisque les salles du Maryland et de Washington DC sont restées fermées sans aucune interruption depuis le mois de mars ( dans la Virginie voisine, on peut toujours aller au cinéma). L’équipe est désormais bien rodée cependant : fin septembre, le festival de films d’Amérique latine a servi de galop d’essai. La moitié du public habituel s’est manifestée, ce n’est pas si mal. En novembre, le festival du film noir, Noir City, a quant à lui sensiblement gagné en audience par rapport à ses versions antérieures. Il est évidemment trop tôt pour savoir si les quelque 10 000 spectateurs que séduit d’ordinaire l’événement européen seront au rendez-vous mais c’est de bon augure. D’autant que “la source n’est pas encore tarie”, comme l’affirme Todd Hitchcock: “le temps long de production et de distribution des films fait que les conséquences de la crise sanitaire ne sont pas encore sensibles. C’est l’année prochaine que le flux se réduira sans doute”. En attendant, l’équipe se réjouit de présenter 48 films issus de 25 pays différents. C’est même un peu plus que l’an dernier. Le grand bouleversement n’est pas là où on l’attendait : pour la première fois depuis 1973, il n’y aura pas de film anglais à l’affiche du festival. On avait presque oublié le Brexit… Restent les films grecs, lithuaniens, polonais, français ( 6 au total), danois, allemands, roumains… que l’on peut acheter un par un si l’on ne veut s’offrir le passe qui donne accès à toutes les projections virtuelles. Hitchcock, Algar et Delgado ont par ailleurs enregistré des présentations et des séances de questions-réponses fort bien menées avec les réalisateurs. Martin Provost et La bonne épouse ont ouvert le bal. A l’américaine, des labels guident le choix des spectateurs: Oscars selection, North America premieres, mais aussi Immigrant stories, LGBTQ+ interest ( on retrouve Été 85 de François Ozon et Petite fille de Sébastien Lifshitz dans cette catégorie), Environmental interest, Animation, Coming-of-Age, Women directors, Labor films, Directorial debuts et bien d’autres.
Evidemment, le processus de visionnage et de sélection des oeuvres a été modifié. Pas question cette année de voler de Sundance à Berlin, Cannes, Venise et Toronto. Sans tapis rouge et tralala, les films ont cependant pu s’échanger, se vendre, séduire et ils ont trouvé dans notre trio de programmateurs assignés à résidence de très fervents passeurs. Ben Delgado ne tarit pas d’éloges au sujet d’Isaac, un premier film de Jurgis Matulavicius; Abbie Algar recommande ardemment Si le vent tombe de Nora Martirosyan; Todd Hitchcock promeut les deux films italiens Darkness, de Emanuela Rosi et The Predators de Pietro Castellito, mais aussi deux documentaires: The hidden life of trees de Peter Wohlleben et Vienna Symphony- Inside the Wiener Symphoniker, d’Iva švarvoca et Malte Ludin. Certes, l’aspect majestueux et comme hors du temps des lieux, les discussions avec les voisins de strapontin ( combien de fois ai-je essayé de comprendre ce que l’inévitable “it was so French” pouvait bien signifier pour un Américain! ) manqueront aux habitués, mais il faut être extrêmement reconnaissant à l’AFI de ce cadeau de cinéma inestimable qu’il nous fait.
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