Jour 2, gris et froid, mais pas encore environné de la douleur qui en conclura la dernière projection. Ces chroniques, issues du moment mais balayées par leur futur, seront forcément parcellaires et réduites. Eté, printemps, hiver : voici donc quelques fragments vains d’un monde tel qu’il n’est plus.

 

  • The Fencer, de Klaus Härö

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On commence dans le sucre avec The Fencer, du finlandais Klaus Härö. On fleure la naphtaline boutiquière et le stalinisme quotidien, dans ce drame intime et sportif d’Endel, escrimeur pourchassé par le régime russe (parce qu’ayant dû, de force, servir les nazis), et qui se cache dans une école de petit village, non sans subir les doutes et foudres de l’acariatre directeur qui l’embauche comme prof de sport.

Mais le passé ne le reste jamais assez et quand, croyant profiter d’un petit moment de solitude pour s’offrir un peu de plaisir (sportif), il se fait attraper par le sourire d’une jeune enfant, et décide de leur transmettre à tous l’amour du fleuret. Jouant avec la montre et le temps, tandis que se resserre l’étau de la répression. Au revoir, les enfants ?

Joli produit manufacturé et lisse, Eurimages et Arte power, le film, téléguidé du début à la fin pourrait se rapprocher d’une sorte de Choristes soviétiques, où les enfants prennent au moins le temps de ne pas brailler. Seule consolation, il a au moins le mérite de nous interroger et rendre sexy un sport aussi inaccessible ou inintéressant au premier abord que l’escrime.

C’est propre, c’est sympathique, perfusé aux bons sentiments manichéens et impossible à attaquer sans passer pour un sans-cœur insensible au bonheur pur du sourire d’une enfant, à la neige qui tombe sur les plaines et à la victoire des petits face au grand.

 

  • Memories of the Wind, de Ozcan Alper

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De petit et de grand, il est aussi question dans Memories of the Wind qui, bonheur toujours, conte l’exil forcé en campagne d’un opposant arménien lors de la guerre mondiale. D’un château l’un, d’une épuration l’autre, Aram se remémore (il a le temps, faut dire) le premier massacre, le grand, celui qu’on ne peut toujours pas appeler génocide et qui a jeté sa pauvre vie sur les rails du combat, emportant père, mère et sœur dans un bain de violence mélangeant le viol et la maladie.

Sublime dans son rapport au paysage, tout de 2.35 de brume et de nuit, caravagesque dans certains plans, le film est un émerveillement visuel de chaque instant. Et des instants, le film n’en manque pas tant sa lenteur est tout à la fois un envoutement et un calvaire.

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C’est le défaut et la limite d’un tel cinéma auteuriste, espérant qu’à force de mettre le visage en face caméra, de laisser s’écouler de longs plans sans action, la vérité éclatera seule, nue comme au premier jour. C’est peut-être vrai, parfois, mais un tel système ne suffit jamais, surtout quand au cours du gargantuesque 2h25 du projet, Aram se contente de refaire les mêmes gestes, toujours. Attendre, dessiner, être malade à répétition et se fader autant que le spectateur les séquences de souvenirs dans un noir et blanc numérique assez cheap, seule faute de goût esthétique du projet.

Dommage, car son parcours vers le dépouillement (de son imprimerie vers la maison vers une simple cabane dans les bois, Walden et Thoreau au rendez-vous) tissait une jolie symphonie tout à la fois spirituelle, esthétique : douloureuse et bucolique.

 

  • Thirst, de Svetla Tsotsorkova

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Après la brume frisquette de Turquie, c’est l’été en Bulgarie, dans cette journée qui enchaîne les saisons. Dans un petit village à flanc de colline, la canicule s’abat. Problématique absence d’eau, quand on tient, comme la mère de notre histoire, une laverie massive de draps pour grands hotels de la région. On fait donc appel à un sourcier, homme bourru qui débarque avec sa jeune fille, un peu efrontée, un peu gitane, et qui s’installent pour quelques semaines dans le jardin, mettant, sans le vouloir, à mal la structure d’un monde trop fermé aux sentiments chauffés à blanc.

Bâti sur le schéma classique du corps étranger inséré dans une structure dont on observera au choix la révolution ou l’entropie, c’est une sorte de conte sans merveilleux, tendu entre les archétypes de la fable et un naturalisme documentaire bouleversant.

Pas grand-chose à en dire, ou trop : ce sont des moments quotidiens, les amours qui y naissent et meurent, un caillou jeté contre une vitre sur le chemin du village et cette chaleur, partout, fiction presque animiste quand l’eau se mélange au feu, propulsant et pulvérisant les êtres.

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S’il rappelle alors dans son meilleur le sublime « Les Merveilles », chroniqué et admiré dans nos pages, Thirst est de ces films qui tiennent sur rien, et qui sont un défi à la critique. Qu’est ce qui fait que par magie rien ne s’effondre ? Peu de choses, en somme : une proximité immédiate avec ses protagonistes, un refus de l’ostentatoire ou du sursignifiant, peu de paroles performatives ou descriptives et une attention systématique à la création d’un univers sensoriel.

Il est de ces films qui restent comme des souvenirs : les lignes infinies des draps blancs battus par le vent, la boue brune de la terre, la cruauté adolescente qui masque mal les sentiments, le sourire triste d’un père trop bon ou l’infidélité qui se cache dans la nuit qui tombe au son des grillons.

Cette logique mémorielle, purement faite d’images, de résonances et de traces infimes, ce n’est pas grand-chose, et c’est beaucoup : Thirst est sans conteste notre deuxième coup de cœur du festival.

 

  • The Red Spider, de Marcin Koszalka

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Drôle d’objet que ce Red Spider, qui conte dans un gris tristoune (ca fait communiste) la fascination obscure d’un jeune adulte pour un serial killer, entre enquête, confrontation, copycat et soumission, dans la Pologne des années 1960.

Drôle d’objet parce qu’assez malpoli avec son spectateur, surtout dans sa première demi-heure, aussi bordélique et floue que l’univers mental dans lequel elle évolue, à tel point que le film semble s’inventer lui-même au fil de son déroulé. Si le sentiment coriace d’être repoussé en dehors de la fiction s’amenuise ensuite, et si le film met en place une intéressante réflexion sur le double ou la célébrité (belles séquences glaçantes de reconstitution par le héros, se substituant au tueur), dans une belle ambiance hivernale de neige fondue et de boue, tout ceci reste bien trop téléguidé vers l’ouest et le cinéma américain (un remake US est d’ailleurs en projet, imitation imitation) pour véritablement prendre son envol ou glacer.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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