Troisième et dernière journée officielle, la fatigue du social commence à se faire sentir. Journée égalité des sexes : 2 films de femmes, 2 films d’hommes. Tous luttant plus ou moins physiquement, la palme revenant sans contexte au Lycra, vainqueur par KO et par Carell.

 

Aces, de Alfonso Zarauza

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Escapade ibérique bienvenue après un début de sélection quand même très communisto-dépressive. Point d’éclaircies toutefois : en 2014, la misère n’est pas moins pénible au soleil.

Bienvenue donc à Neneta, mère célibataire et courage, de retour dans sa ville natale après une escapade hippie en compagnie du père de son fils, qui les a lâchement abandonné sans raison. Bien décidée à s’en sortir et s’installer, elle accepte un boulot éreintant sur un chantier. Travail d’homme dans un monde d’hommes, Neneta la battante va s’imposer et trouver sa place, jusqu’à l’arrivée de la crise qui douchera ses espoirs de bonheur.

Porté par l’interprétation retenue de Lola Duenas (grande actrice vue notamment chez Almodovar ou dans Mar Adrento), femme forte et presque masculine, dont la combativité ne passe pas par l’éclat mais un tendre sourire perpétuellement aux lèvres, le film réussit dans son meilleur un joli portrait de groupe, les Aces du titre, ou « phénomènes », en francais, joli surnom cynique que le patron donne aux meilleurs d’entre ces travailleurs déclassés, payés au mètres carrés, et dont la situation difficile est tout d’abord assourdie par la combativité amusée, l’esprit de groupe se construisant à la mesure des briques accumulées et des fous rires taquins.

Dommage d’ailleurs que le film n’en reste pas là, tant les séquences de chantier révèlent une jolie chorale des rapports humains à travers le travail, et qu’il s’embourbe dans sa seconde partie dans le social et l’informatif : la crise, c’est dur. Les dettes, c’est la mort du peuple. Tout un pan de l’histoire récente rebattue par les journaux télévisés, et dont on ne comprend décidément toujours pas l’intérêt de nous l’infliger dans une fiction.

The Lesson, de Kristina Grozeva et Petar Valchanov

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Femmes qui luttent et problème d’argent, acte 2. Cap en Bulgarie, avec Nadezdha, professeur d’anglais qui cherche dès les premières secondes du film l’élève qui a dérobé l’argent d’une autre pour lui donner une belle leçon. Lorsqu’elle rentre chez elle et apprend que la banque s’apprête à saisir son domicile, les multiples tours dont elle devra faire preuve pour réunir la somme nécessaire mettront à mal son incomparable droiture morale des premiers instants.

L’argent, encore et toujours. C’est pourtant paradoxalement la belle idée du premier tiers du film, traitant d’un problème complexe comme un pur problème matériel : les pièces, les DAB, les billets, les papiers. En réduisant le faisceau, il génère une mise en scène purement performative, où les atermoiements moraux s’éteignent sous l’idée de simplement réunir physiquement la somme, et dans la mise en place d’empêchements à cette progression.

C’est la belle idée de la deuxième scène de banque, où Nadezha, ayant honteusement emprunté 2 lev à un ami, se trouve obligée de réunir les 2,40 de frais bancaires dans les 5 minutes avant fermeture du guichet. Poussant la porte vers la place, elle court de groupes en groupes pour quelques centimes, finissant par relever ses manches pour se servir dans la fontaine municipale.

L’argent, partout et nul part, générateur d’actions et de mise en scène. Tant qu’il reste collé à cette problématique de surgissement et de disparition (porte monnaies vides et mains pleines), le film fonctionne à plein.

Mais voilà un film qui assume jusque dans son titre son aspect didactique et moraliste, jusqu’à la nausée. Ne résistant au misérabilisme et à sa classique progression du « toujours plus d’emmerdements » pour mettre à mal son héroïne, le film accumule les poncifs de l’usurier, de la prostitution et des banquiers : tous pourris.

Et quand la professeur finit par trouver le coupable du vol parmi les élèves et qu’elle ne le punit pas parce qu’elle-même a franchi la ligne jaune, le film touche même à un vrai problème éthique, mettant sur la même ligne une femme obligée de voler pour survire et sauver sa famille, et un gamin qui pique pour s’acheter des bonbons à la cafèt. Quitte à vouloir donner une leçon, autant le faire bien.

Foxcatcher, de Bennett Miller

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Fin de la compétition et du social, début des réjouissances du jour : Foxcatcher, présenté ici en avant-première et précédé du bruissement cannois (et d’un prix de la mise en scène), ou l’histoire de Mark Schultz, lutteur médaillé et invité par un étrange milliardaire, John E. Du Pont, à s’entrainer chez lui et former l’équipe Foxcatcher en vue des prochains Jeux Olympiques. Profitant d’une reconnaissance qu’il a toujours recherché, dégagé de l’ombre bienveillante mais étouffante de son frère Dave, Mark nouera une étrange relation toxique avec le milliardaire, entre père-fils et manipulation, qui finira par démolir doucement la confiance en soi déjà vacillante du lutteur.

Elégant et complexe, le film dégage une inquiétude sourde dès ses premiers plans : corps massifs, courbés, qui luttent en silence, là où le cinéma hollywoodien l’aurait enrobé de musique. Cette rugueur sera celle de tout le film, étonnamment froid mais calculé comme tel : des blocs de regards et de silences, dans une progression étonnamment linéaire, jusqu’à son dénouement, filmé non comme un climax, mais comme le déroulé logique du malaise qui gronde sous les masques des visages. Celui de Chaning Tatum, dont les muscles ne peuvent cacher les larmes du regard, mais surtout de Steve Carell sous le latex de sa prothèse nasale, qui crée une perpétuelle sensation de dualité : celle de reconnaître les traits de l’acteur tout en n’arrivant jamais à le figer.

Incroyable objet de mise en scène, le film impressionne par sa capacité à synthétiser dans des séquences sans éclat toute la complexité de l’âme humaine : il faut voir Du Pont, gamin trop vieux et rempli d’illusion remplacer le coach pour faire une démonstration des prises de bases lorsqu’il constate la présence de sa mère à l’entrainement. Voir les autres accepter sans broncher, et la mère se détourner de dégoût en voyant son noble fils au sol avec un autre homme. Pouvoir, soumission et trouble sexuel, la médiocrité d’une existence en quelques plans.

Glacé et glaçant, perpétuellement à distance de ses personnages et se refusant à apporter des réponses, Foxcatcher est un fascinant trou sans fond, un objet mental au cœur du tombeau : l’observation entomologiste d’un système, de rouages. Ceux claustrophobiques et paranoïaques du milliardaire et de sa relation au monde et aux autres, enfermé dans sa tour d’argent, hors des hommes.

Rappelant The Master en plus réussi car se refusant perpétuellement à toute grandiloquence, c’est le parcours d’un malade bigger than life, ou en dessous de tout, dégénéré émasculé essayant d’obtenir un corps d’adulte : celui des lutteurs qu’il admire, et celui dans le regard de sa mère qui le méprise. La mécanique d’un désir, qui passe par la possession, l’illusion et la destruction. Regarde les hommes lutter et tomber.

 

Loin des hommes, de David Oelhoffen

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Alléchant pari que celui de Loin des hommes : Viggo Mortensen et Reda Kateb, respectivement garde malgré lui et otages, perdus dans le désert algérien de 1954 sur fond de musique de Nick Cave, le tout adapté assez librement d’une nouvelle de Camus.

Alléchant mais assez désespérant de platitudes, le film avance comme un classique parcours des « duos-forcés-qui-apprennent-l-un-de-l-autre », même si ici Viggo-est-quand-même-un-gentil-à-la-base, parce que bon, c’est Viggo : ou comment Daru, professeur au cœur du désert, se voit contraint d’escorter Mohammed pour le livrer à la Justice française. Au fil des jours et des rencontres avec la violence de la guerre, ils comprendront et partageront tous deux leurs statuts de parias (Mohammed l’algérien et Daru l’immigré espagnol non violent), cherchant un moyen de s’en sortir et se libérer : de trouver leur place avec ou loin des hommes.

On ne peut que reconnaître le beau défi que constitue l’idée de se confronter à une période toujours problématique de l’histoire française, et d’y introduire l’idée d’un western métaphysique. Toutefois, s’il démarrait déjà avec un handicap certain en l’impossibilité de croire un seul instant aux intonations françaises de Mortensen et une lumière très carton-pâte, le film pêche clairement par le message d’humanisme béat qu’il essaye de faire passer, osant des phrases comme « Ma façon à moi de m’engager c’est de faire la classe » ou les explications/confidences au coin du feu de camp.

Revisitant tout en cherchant à s’en défaire le parcours du western, s’écroulant sans doute sous son casting et son ambition initiale, il déçoit dans son incapacité à filmer des grands espaces servant de liant un peu faciles, panoramique gauche-droite, entre deux séquences de marche. Surtout, ce parcours à pied ne révèle en rien les hommes : même s’il s’y joue un étrange et stimulant ballet entre les différentes langues et leurs matières, c’est encore la parole, explicative et didactique, qui dévoile les êtres, au fil de discours surajoutant à ce qui se jouait en silence.

D’où le joli éclat de cette scène de bordel, où dans un étrange silence, les larmes viennent aux yeux de Daru, dont on se souvient brutalement qu’il n’a plus touché une femme depuis la mort de la sienne il y a plus de dix ans. C’est l’un des uniques instants où Mortensen semble réellement habiter son rôle sans cabotinage, et celui où le film dévoile ce qu’il aurait pu être : le silence des êtres blessés, parcourant le désert. Une sorte de Gerry algérien où Mortensen continuerait, après La route ou encore Jauja (voire le seigneur des Anneaux), son étrange odyssée.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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