Débarrassons-nous tout de suite des petites déceptions… Tout d’abord, Culturopoing ne participera finalement pas comme nous l’avions espéré à la réhabilitation d’Uwe Boll. Même si nous aimons sa bonne bouille et ses happenings lorsqu’il invite ses détracteurs à les boxer sur un ring, difficile d’en dire autant de son cinéma, creux et lourdingue ; la réalité du constat sur une société capitaliste génératrice de monstres a beau être réelle, il ne faut pas espérer avec Rampage avoir un nouveau They Live de Carpenter. Générant un profond mal de tête à force de filmer caméra au poing, ce jeu vidéo en live se prenant pour une métaphore politique a la subtilité d’un bulldozer et ferait presque passer les pamphlets de Michael Moore pour du Oliveira. Aux antipodes de Boll, mais tout aussi vain, Canine et sa vision d’une famille réinventant les codes sociaux et éducatifs en élevant ses enfants trentenaires en vase clos, sans les faire sortir de leur propriété bourgeoise pour les protéger du monde reste trop persuadé de l’intelligence de sa métaphore provocatrice et absurde pour convaincre. Entre l’enchaînement de situations absurdes et le catalogue de déviances Canine convoque Pasolini et Buñuel pour une réflexion artificielle sur le fascisme sous-jacent de nos sociétés autarciques. Yorgos Lanthimos étire son postulat de départ, de variation en variation… Certes, Canine, est peuplé de bonnes idées comme celle du changement des codes du langage où les parents changent les signifiants des mots (« qu’est ce qu’un zombie ? » – « C’est une petite fleur ») mais s’essouffle rapidement. L’exercice de style finit par tourner à vide et ce malgré l’incroyable performance des acteurs.
Le premier coup de cœur de Culturopoing nous vient du Danemark, avec Echo drame psychologique teinté de fantastique, probablement l’une des œuvres les plus poétiques et émouvantes de ce festival. L’histoire de ce père en détresse ayant perdu la garde de son petit garçon et le kidnappant, pour se réfugier dans une maison qui le ramène à sa propre enfance et son traumatisme enfoui, est une œuvre extrêmement juste, flottante, fantasmatique et mélancolique, un poème liquide basculant constamment du réalisme à l’étrangeté, dans lequel l’humain se confronte à ses propres fantômes. Les personnages se cherchent, s’aiment, se fuient, se rattrapent. Anders Morgenthaler capte leurs regards, leurs appels avec une infinie justesse. Superbement réalisé, baignant dans une photo empreinte d’une douceur contemplatrice, avec ses crépuscules et ses fins de journées ensoleillées, Echo est une œuvre flottante et lumineuse pour laquelle on espère une sortie en France.
Dans un tout autre genre Jose Mojica Marins, bien plus que d’opérer un simple revival qui ressusciterait 40 ans après de manière quelque peu opportuniste Coffin Joe, le fossoyeur fou qui fit sa notoriété, crée avec cette gigantesque fête païenne qu’est Embodiment of Evil un objet barré, libre et enthousiasmant. Imaginez les scènes les plus barbares et carnavalesques de Santa Sangre pendant 1h30 et vous aurez probablement une idée du climat d’hystérie dans lequel baigne Embodiment of Evil. Avec ses yeux écarquillés et son jeu expressionniste cabotinant à l’envie, Marins torture, tue, ouvre un cadavre de porc duquel sort une femme nue, se retrouve hanté par ses anciennes victimes … Non seulement Embodiment of Evil est une œuvre généreuse pour les fans (en références et en gore !) mais l’esthétique y est incroyablement belle, la photo presque caravagesque mettant en valeur ces nuits démoniaques, ces orgies de chair et de sang. Bref, de ce catalogue d’abominations infernales, entre le burlesque et l’effroi, naît l’un des spectacles les plus surréalistes de ces dernières années… trivial et superbe.
Enfin, choc inattendu que celui de Dread, autre adaptation de Clive Barker mais aux antipodes de celle de Book of Blood, privilégiant ici la torture intérieure et le labyrinthe cérébral. De par son sujet et son titre, Dread s’impose d’emblée comme une étonnante mise en abime du genre : un jeune étudiant en cinéma se laisse convaincre par un ami persuasif et étrange de l’aider à faire sa thèse en lui fournissant son sujet : « la terreur » (« dread »). Avec une autre étudiante ils filment les témoignages d’anonymes, les confessant sur leurs peurs les plus profondes, les confrontant à leurs traumas. Les héros trouvant matière à leur étude sur la peur, en se confrontant à l’enfer des autres comme un dialogue avec leurs propres névroses. Dread plonge au cœur même des sources du fantastique, l’homme, ses craintes refoulées, ces fissures que la création tend à sublimer pour éviter de sombrer. Ce premier film d’Anthony Di Blasi offre une réflexion perturbante sur les effets et les suites du traumatisme, de la résilience à l’aliénation, selon qu’on trouve matière cathartique à le détourner, l’exorciser ou qu’on choisisse au contraire de le cultiver avec complaisance, d’en comprendre ses mécanismes jusqu’à satiété, repoussant ainsi les limites de la raison. Malgré quelques maladresses narratives, Dread n’en demeure pas moins une œuvre rare, cruelle, particulièrement désespérée, sur le Mal qui ronge l’humain et dévore les plus fragiles…. et donne envie de se relancer illico dans le fantastique autobiographique et tourmenté de Clive Barker.
Le festival est également l’occasion de sentir les peurs et angoisses de cette nouvelle génération de cinéastes et de leurs aînés toujours en activité. Le lien entre docu-fiction, manipulation de l’information et crise économique était ainsi palpable dans de nombreuses productions, dont Rampage, et les deux courts-métrages primés cette année : Die Schneider Krankheit de Javier Chillon et Arbeit für Alle, de Thomas Oberlies & Matthias Vogel. Un festival étrange et engagé, qui plus que jamais laisse la place à ceux qu’il soutient depuis ses débuts, finissant sur une touche d’espoir et d’amitié avec le magnifique « Mary and Max », une manière subtile et tendre de nous dire que nous faisons tous partie de la grande famille.
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