Beaubourg est toujours le cœur de Paris. Vibrant, brassant, invraisemblable. Et ceci, malgré les travaux, qui obligent la fermeture de la « cours des miracles » pendant la restauration de la plus belle « raffinerie » du monde ! Le MK2 Beaubourg mythique (et pas de morbaques dans les sièges, hihihi ), nous tend les bras. Sortir d’une séance le soir tard, réserve toujours une sorte d’ahurissement. Que ne partage pas les nombreux SDF qui campent là, ils dorment déjà ou se protègent du froid avec des tonnes de couvertures.
Un soir presque comme les autres. Devant le cinéma, une voix en live nous saisit, c’est Céline Dion ! Devant le King merlin quelques mètres plus loin, une tente est dressée, une petite foule queer, lesbienne, gay, et surtout trans se serre autour, et un mur de victimes trans assassinées, notamment au Brésil est exposé là. C’est la journée mondiale contre les violences faites aux trans. L’association Acceptess-T est venue avec la communauté brésilienne, latino, avec des roses blanches et des bougies aussi. La chanteuse Gaby, trans d’origine vénézuélienne, chante à nouveau. Prodigieuse et émouvante, elle coiffe au poteau Céline et Angèle ! Sa voix extraordinaire transporte, subjugue, émeut. Possible ensuite de l’embrasser, de la remercier, elle vous prend par la main… Tabernacle. Émotion.
Double émotion, grâce à Chéries Chéris, tellement à sa place dans ce quartier, dans ce MK2… C’est en sortant de la projection de Yours In Sisterhoods que ce petit « miracle » urbain, vient de se produire. Yours In sisterhoods, documentaire américain en compétition d’Irène Lusztig, en est une sorte aussi, un film admirable qu’on oubliera pas. Sa réalisatrice invite des femmes, d’une petite fille à « toutes les femmes » même âgées, à lire des lettres du courrier des lectrices d’un magazines féminin des 70’s Ms (pour Miss, de 1972 à 1987 en mensuel). La particularité de ces lettres de lectrices est de n’avoir jamais été publiées dans le magazine, mais d’avoir été conservées (décidément les miracles s’amoncellent !). Un dispositif sobre, tellement efficace, des plan moyens fixes ; les femmes face caméra, silencieuses, lisant ou parlant ; trottoirs, jardins de maison, de l’urbain, surtout du péri-urbain comme décors, la caméra filme pudique et questionne ces femmes qui donnent tant à voir. Le point commun qu’elles ont avec les autrices de Ms, elles habitent la même ville et leurs vies font écho à l’histoire de ces femmes qui ont écrit il y a quarante ans. Sur plus de trois cents lectures/interviews, la réalisatrice en a gardé entre vingt et trente. Ce film fait le tour du pays, de Sud au Nord d’Est en Ouest. Presque toujours des petites villes, quelques moyennes et trois, quatre grandes métropoles, New York, Los Angeles, etc. Et, séquences fabuleuses, quatre lettres sont lues par leur propre auteure. Un film où les ravages du patriarcat, d’hier et d’aujourd’hui, nous sidèrent comme jamais/toujours. Un exemple, une policière en uniforme lit une lettre d’une femme qui, ayant obtenu tous ses diplômes, n’a jamais trouvé de job à l’époque. No comment ! Pour d’autres lettres, les lectrices parlent d’elles aujourd’hui, de leur vie, suivent une trame de questions, avec courage, discernement, parfois avec enthousiasme de s’en être sorties. Certaines, en plus du sexisme dit « ordinaire » (« sale pute » pour celles qui n’acceptent pas le harcèlement de rue, mains aux fesses, etc. ça rappelle un ailleurs, un partout, ici !), ont aussi subi l’homophobie, le racisme, le mépris de classe. Tant de « phobies » misogynes, millefeuille dégueulasse, ressortent contre les femmes de couleur, les « chicanas », les « grosses », les lesbiennes, etc., à travers ces lectures, et les femmes consœurs/lectrices. Le constat est presque unanime, les problèmes d’hier n’ont pas disparu. Sauver ces lettres de l’oubli, rend ce film indispensable, nécessaire pour voir que l’histoire ne passe toujours pas. Ayant un distributeur, « miraculons » ( !) qu’il sortira en salle, ou qu’il sera diffusé.
Lemebel, documentaire chilien de Joanna Repposi Garibaldi, en compétition, fait tristement écho à l’actualité où le Chili semble retrouver ses vieux démons. Comme si l’histoire se répétait. Lemebel fut un artiste total. Un corps politique précurseur. À l’origine du mouvement queer dans les années quatre-vingt, il s’est opposé à Pinochet par son art politisé, ses performances engagées, ses écrits, sa poésie de pédé des classes pauvres, ces travestissements, son anticonformiste absolu face à la dictature. Mort avant la fin de ce film, qu’il ne verra jamais terminé, Lemebel est aussi un hommage posthume.
Indiarana, film documentaire brésilien de Aude Chevalier Beaumel, est déjà sorti dans très peu de salles. Son histoire est celle d’Indiarana, une miraculée comme disent ses proches. Rescapée et résiliente d’une tentative de meurtre, elle se consacre depuis à l’aide des personnes trans, prostituées, travestis, dans une ville parmi les plus dangereuses au monde, Sao Paolo. Son message d’amour, de liberté se fracasse contre la fascisation d’un certain Brésil. Résister, lutter, se révolter sont les armes dont elle dispose, sa vie en jeu. Rage.
Normal, moyen métrage documentaire italien d’adèle Tulli, en compétition, fût très controversé lors de sa profection. Certain.e.s y ont vu un film caricatural, artificiel et ne s’y sont pas reconnu.e.s. D’autres, plus jeunes, plus queers, se sont bien poilé.e.s. Une succession de scènes cut, fade to black, tentent de décrire par les scènes banales du quotidien ce qui nous assignent à l’hétérosexisme, à la norme. Pour commencer, le rituel des boucles d’oreilles pour les petites filles, sorte de rite de passage ; puis le mini costume en cuir du petit garçon, déjà coureur à moto (avec son mini engin), coatché par son père. Ensuite, une sorte de fourre-tout (sens non péjoratif), où les séquences se succèdent, belles, animées, pop aussi; elles achoppent entre elles, amusent, effarent… Et pour finir, un mariage gay somptuaire, mieux que celui des hétéros ( hihihi !), d’où le spountch à la fin de la projection. Le mariage gay, vu comme Normal par l’hétéro, adoubé par la norme, ça donne à réfléchir sur cette nouvelle norme… pas si nouvelle.
Jonathan Agassi saved my life, documentaire israélien de Tomer Heyman, intéresse et ennuie à la fois ! Le beau gosse de Tel Aviv adulé par sa mère, aimé de sa sœur hallucinée, se vit comme une star. Pas celles mythiques du cinéma du fait de son inculture, pas une Nabilla non plus, mais il s’aime plus que tout. Cultiver son corps, le rendre conforme aux goûts gays (et mainstream) les plus archétypaux du moment, musclé, tatoué, barbe courte, gros paquet, passif, etc., semble avoir occupé toute sa vie. Son but, devenir le plus grand acteur porno de touts les temps, petite exagération de l’auteur de ces lignes… Sa mère l’adore en bas zrésilles, en jock strap cuir, en strings, en latex, en dentelle, etc. Elle est sa première fan, elle visionne même ses prouesses pornos ! Il décide de partir à Berlin, importante scène underground du porno gonzo, des clubs avec show de sexe non simulé, une ville ouverte à tout. C’est aussi la ville où vit son Père parti d’Israël depuis plus de quinze ans en abandonnant femme et enfants. Au début, Berlin répond à toutes ses attentes, le sexe, la drogue, les contrats arrivent, un film, un show s’enchainent. Il est entrain de réaliser son rêve. Du moins, déjà bien perché, le croit-il. Plus le film avance et plus le gars fume ses clopes comme un pompier ou comme sa mère, sniffe toutes sortes de choses et inhale de plus en plus de crystal dans une pipette chauffée. Que ce soit sur WhatsApp avec « la meilleure des mères », hors écran, ou dans les coulisses d’un théâtre avant un sexlive show, il se cache pour en consommer. Sa pipette ne le quitte plus. Tout en prenant quelques « fortifiants » . Tel un Icare, il se brûle et tombe petit à petit… Ne pas spolier quand même ! Un film remarqué, primé, qui ne laisse pas indifférent et qui montre crûment une réalité plutôt mortifère de l’undergroung gay, du porno gay. Aimer (à en) mourir ? Mourir et trop aimer ?
Meili, long-métrage chinois de fiction de Zhou Zhou, en compétition, attire de par sa provenance. La Chine, pays schizophrène, semble d’un côté assouplir sa censure face à l’homosexualité au cinéma, voir(e) Looking for Rohmer, comme premier film ouvertement gay autorisé par les autorités chinoises, moins quatre scènes ; et de l’autre, elles continuent de déprogrammer, de couper des scènes explicitement « pornographiques » selon elles, de baisers, d’entre jambes, etc., afin que l’aspect homo du film soit gommé (Bohemian Rhapsody par exemple). Et qu’on ne comprenne plus rien à l’histoire! Meili est une histoire d’amour peu à peu rendue impossible, par le poids de la tradition, l’obligation de perpétuer la famille, la peur du regard des autres. Seule issue, seul choix pour Meili, s’exiler à Shanghai en emmenant la femme qu’elle aime…
Darkroom-Drops of Death de Rosa Von Prauheim est une sorte de thriller presque expressionniste de par sa forme, ses décors, ses visions, etc., qui se passe dans le milieu gay Berlinois. Rien à voir avec « Cruising », Darkroom-Drops of Death est bien plus pervers et moins violent. L’histoire, librement adaptée d’un fait divers, est sordide jusqu’au bout. Au sein d’un couple gay, apparemment heureux, l’un des deux sévit la nuit dans les lieux de drague, les sexclubs, etc., en utilisant un produit très prisé pour les sensations qu’il procure pendant la « baise ». Servi à l’insu de ses futures victimes et surdosé, il peut être mortel. Connu sous le nom de la drogue du viol, ce film mixe la banalité et le pouvoir de s’en servir, pour tuer par exemple, et le pousse à l’extrême. Terrifiant au sens cérébral, parce que ces produits circulent facilement, sont devenus presque anodins. Certains usagers « jouent » en trompant leurs partenaires multiples inexpérimentés avec de faux dosages, etc. La prise de risques est élévée, on risque un g.hole si une dose est trop forte qui vous plonge dans un coma à durée variable ; autre risque, un g.iol, mot valise qui vous laisse suffisamment drogué pour être violé.e des heures sans pouvoir réagir ! Cynique comme notre époque. L’impératif, telle une injonction de « se faire du bien » parasité par la banalité du mal.
Heureusement que Les reines de le Nuit sont toujours là pour nous cajoler, nous faire rire! Le documentaire de Christiane Spiero agit comme un baume. Après quelques années de placard dans la pseudo « communauté gay » elle-même, les transformistes reviennent en grâce. Jusqu’à un certain point, faut pas exagérer non plus ! La folle ne passe plus chez les gays depuis longtemps. Elle sert même de repoussoir, de bouc émissaire. Tout ce qu’il ne faut pas être, elles le sont. Le virilisme exacerbé des gays clonés. Ignorance maximale et tolérance zéro pour ces travestis qui cognaient, rendaient les coups, visibles, eux, au début du XXème siècle, alors que leurs michetons à casquettes et moustaches, « actifs » bien sûr, passaient inaperçus. Triste oubli du rôle fondateur et militant qu’ « elles » ont joué pendant les années folles. On parlaient d’elles comme d’un troisième sexe.
Le festival se termine bientôt mais en beauté. Il faudra parler de Wild Nights with Emily, une comédie lesbienne, oui ça existe (a joke), de Benjamin, de Label Me, d’une Brève Histoire de la Planète, d’El Principe, etc. Du palmarès. De cette édition anniversaire exceptionnelle. Et rendre l’antenne sur la pointe des pieds…
À bien vite.
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