Journée purgatoire que ce deuxième jour, enchainant tellement de plans fixes qu’on finit par se demander si le film se déroule vraiment. On retiendra quelques pensums imbitables, deux beaux ratages au moins, et un bijou, le documentaire algérien « Dans ma tête un rond-point ».

SEANCE 1.

  • Le soleil nous cherche, de Raphaël Harari

Soleil nous cherche

Il n’y a pas que le soleil qui nous cherche : affreux pensum prétentieux, ce « film » espère tracer en quelques minutes les enjeux d’une relation maternelle avortée (‘tu sais, ma fille, je ne serai pas toujours là pour toi ‘, grrr) à travers autant d’images mentales kitchouilles et de voyages en TER d’une jeune fille paumée qui trouvera la lumière dans les bas fonds en compagnie d’un skateur.

Qu’il ne s’y passe rien serait la moindre des punitions, si on ne nous assénait pas l’ensemble quasi complet du film de premier année d’école : plans à la mini DV, découpage sans mixage et conclusion citant de la poésie absconse, sans jamais dire plus que son premier degré narratif.

Bien trop « nan mais t’as pas compris, c’est l’arte povera du cinéma » pour ne pas être douteux.

  • Dans ma tête un rond-point, d’Hassen Ferhani

Dans ma tete un rond point

Heureux purgatoire finalement, car se dévoile la première vraie découverte de ce festival, qui mériterait sans doute plus que ces quelques lignes.

Centré autour de la vie d’un abattoir algérien et de ses ouvriers, ce documentaire très wisemanien dans sa première partie se réinvente doucement vers les hommes, pour y tracer, en sourdine et sans l’air d’y toucher, un beau portrait d’un pays perdu, n’offrant plus de rêves à sa jeunesse et laissant son peuple dans une désherence post coloniale que trahit leur silence, âmes fatiguées dont on ne sait plus très bien si c’est le sang des bêtes ou le leur qui coule dans les rigoles.

S’il n’était que cela, encore rejoindrait-il la cohorte des films à thèses, vite vus, vite oubliés. Mais, d’une humilité folle dans sa démarche et son regard, il double son propos d’un beau travail sur l’image et le cadre, avec de sublimes éclats : le vieux fou déblatérant des propos incohérents en pleine nuit sur un tas d’ordures, les jeunes qui discutent sentiments amoureux en chargeant des peaux de bêtes ensanglantées à l’arrière d’un camion, et ce plan, morceau de bravoure du film, où dans un cadre fixe, on regarde à la télévision le match de foot quand surgit une cordée d’hommes tirant une bête hors champ.

Le plan s’acharne, on finit par filer un coup de main, la corde tendue vers le hors champ. La bête résiste tellement qu’on finit par se demander s’il ne s’agit pas d’un monstre. Quand enfin elle surgit, manque de bol, quelqu’un passe devant le cadre. Le temps de se retirer, elle a disparu, mais la foule accourt pour hurler de joie au but marqué. Une séquence, un cadre, une durée, une narration : magie du documentaire.

SEANCE 2.

  • Colophon, d’Alexandre Koberidze

Colophon

Fascinante découverte que colophon. Simple dans son trait, puissant dans son execution, le film consiste simplement en quelques plans, magnifiques et aux lumières de l’aurore ou du crépuscule, le long d’une péniche dérivant sur un canal (du Rhin sans doute).

Dessus, un garçon dont on ne saura rien hors quelques cartons issus de son carnet de bord. Il y conte l’étrange histoire de son accueil à bord d’une jeune fille silencieuse et triste, et dont les larmes prennent des formes géométriques selon les jours de la semaine.

Du moins est-ce ce que nous raconte les cartons, doublés d’une voix off plus extérieure encore, car le défi du film, outre son absence totale de dialogues, est de jouer de la puissance narrative de la voix off ou des cartons pour charger une narration visuelle réduite à l’épure d’un plaisir visuel et aquatique (sublime ambiance de petit matin, magnifiques ondées sur le canal).

Pari réussi, tant le passage par la ville semble brutalement terre à terre (sic), bizarrement trop documentaire et présent, nous laissant l’envie de retourner voguer en sa compagnie sur les rives du conte.

Pas le film le plus fou parce que finalement un peu frustrant, mais une belle variation sur la puissance narrative du « il était une fois », les mythologies du Rhin, et l’éblouissement d’un merveilleux qui ne serait fait de presque rien.

  • God bless the child, de Robert Machoin/Rodrigo Ojeda-Beck

GOD BLESS THE CHILD still. Elias, Arri, Ezra, Jonah and Harper Graham. Credit Robert Machoian

Journée « mon chef op est un dieu » en cet après-midi lumineuse.

Après l’éblouissant Colophon place à l’image très Nan Goldin de God Bless the Child, toute de pénombre dans la banlieue triste d’une ville us anonyme. La lumière y est grisatre, et elle semble se refuser à pénétrer les pièces de la maison de cette vraie-fausse fiction autour d’une fratrie de cinq enfants (interprétant plus ou moins leurs propres rôles), laissés tout au début du film à l’abandon par une mère sans doute maniaco-dépressive.

Eblouissement visuel, tout d’ombres et de séquences presque primale de retour à la terre (le jeu dans les roseaux asséchés, sublime), il nous conte une journée, jusqu’au coucher, de ces gamins remuants, de la pré adolescente jouant le rôle de mère de substitution au bébé, enfermés dans l’arrière cour de la maison californienne, ne sortant que pour promener le chien dans le park dans une lumière très Paranoid Park.

Si cette unité de lieu et de temps marque par un hyper-présent qui refuse à toute emphase narrative, et si on percoit bien l’enjeu de la réalisation (faire résonner la situation intime de ces gosses avec certains de nos souvenirs d’enfants, de nos jeux et batailles), plutôt bien rempli, il faut avouer que le système tourne assez vite en rond, pris lui-même au piège de sa volonté de montrer au plus près l’abandon et l’ennui sans jamais se départir de son sérieux.

SEANCE 3.

  • Lovers in a hotpot, de Zimu Zhang

lovers in a hotpot 3

Sympathique mais inoffensif documentaire pour ouvrir cette fin de journée, centré autour d’un couple d’exilés tibétains ayant fui vers la Belgique et où ils tiennent aujourd’hui un restaurant chinois.

Chronique tendre des jours de ce couple au sein du restaurant, tout autant que suivi de leur nièce qui tombe doucement amoureuse d’un bel hispanique (jolies séquences amoureuses), le film passe tellement le coche de son sujet d’exil qu’il se sent obligé de le rattraper aux branches d’images d’archives et de sous titres en son mitant.

Globalement joli et totalement vide, il garde pour lui quelque séquences bizarres mais belles, où la nièce, cherchant son rêve entre là bas et ici, joue en plan fixe et éclairé théâtralement d’un instrument imaginaire, accompagné au son de marimba dans un cas banal, du son de la pluie dans l’autre.

  • Ben Zaken, de Efrat Corem

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Au moins celui-ci était-il inoffensif. Avec la meilleure volonté du monde, difficile parfois d’être tendre, en cette journée qui semble nous dire : pour être sérieux, filmez en plans fixes sans découpage.

Bienvenue au premier film israelien de la compétition, qui cumule à peu près toutes les tares clichés du cinéma de cette région : rythme apathique, vision naturaliste silencieuse, sentencieusement banale et ennuyeuse.

Ruhi, 11 ans et autant de mono-sourcils, est une petite conne : elle vole, griffe, jette les assiettes. Faut dire que Ruhi a perdu sa maman, et que son papa, Shlomi, est un peu couille-molle, se laissant porter par la vie, lâchant ses boulots et ne sachant jamais sévir, vague incarnation apathique du pays. Il y a aussi l’oncle, parfait petit croyant qui ne cesse de soutenir son frère, et la grand-mère, unique caution morale de cette maison dysfonctionnelle.

Pas grand-chose à dire ici: à part le joli dernier plan, le film est à peu près aussi catatonique que son héros, et, outre son absence totale d’action, rate le principal enjeu de son propos, à savoir ses personnages qui, si on peut éprouver de l’empathie pour leur situation peu amène (et c’est dommage, il y a une vraie force dans la fronde de la petite), ne nous laissent jamais la possibilité de les aimer.

Expérience limite pour le spectateur, qui souhaite tout autant que l’entourage que le père finisse par envoyer la fille en kibboutz, histoire que le film démarre enfin. Petit indice : ca n’arrivera pas.

SEANCE 4.

  • Bixian, de Francois Chang

Bixian

L’Enfer est décidément insondable, et alors qu’on pensait avoir touché le fond avec cette petite peste israélienne, voici qu’il nous ouvre grand ses portes, prêt à nous accueillir corps et âmes.

D’âme, il en est soi-disant question dans cet appeau à critiques. Ladies and gentlemen : LE FILM FEMIS.

Soit un drôle d’objet fictionnel se jouant documentaire, autour d’une tradition spirite chinoise qui consiste à invoquer l’esprit démoniaque de Bixian, quitte à y perdre quelques précieuses années de vie.

Pourquoi pas, direz-vous, sauf que le réalisateur en est aussi le personnage principal et, dirons-nous pour être pudique, sans doute l’unique sujet.

De tous les plans, n’hésitant jamais au méta discours (tiens, si j’invitais l’équipe qui filme à table, tavu je brise le quatrième mur), l’auto-apitoiement (« oui, mes parents me donnent de l’argent pour étudier ici, mais toi au moins tu travailles, mon avenir est incertain à moi ») ou la plus vile des mises en scènes bien dégueulasses, plans au téléphone portable (ouais ouais, la fiction post moderne et hétérogène s’écrit ici) sur sa chambre d’hopital où il vient de subir une péritonite.

Le réel perfuse la fiction (grande séquence de larmes « j’ai souffert le martyr, pour ce film, j’ai même été hospitalisé pour lui ») de ce film bouffi d’egotisme et d’auto-satisfaction, sorte de Blair Witch trop trouillard pour quitter les beaux quartiers.

Bon cinéma-méta francais qui nous assène par le menu et sur plus de 40 minutes la difficulté à accoucher un film qui aurait mieux fait, à la vision, de ne jamais être né.

  • Sac la mort, d’Emmanuel Parraud

Sac la mort

On conclue cette journée par un drôle de film troublant, alléchant sur le papier, raté dans son geste.

Soit l’histoire de Patrice, réunionnais alcoolique qui n’a décidemment pas le cul bordé de nouilles : alors que son frère vient de se faire décapiter sans raison, il apprend au réveil que sa maison vient d’être hypothéquée et qu’il se retrouve SDF. Pris entre son désir d’oublier dans la boisson et son besoin de retrouver un toit, il navigue tout au long du jour pour s’en sortir.

Difficile de résumer ici l’intrigue de ce film raté, tant il semble tanguer autant que son personnage aviné. Un coup à gauche, dans la séquence de groupe, un coup à droite, dans le mystique. Non pas que l’on puisse reprocher des incohérences de construction, simplement le spectateur navigue t-il à vue dans un enjeu dont il peine à percevoir un quelconque contour.

Dommage, parce que l’idée d’un film DOM (même réalisé par un métropolitain) nous alléchait, et parce que sa galerie de portraits sympathiques aurait pu ouvrir un espace de fiction oscillant entre le documentaire contemporaine et les croyances mystiques d’une région (le fameux sac la mort, plein de malédiction, par exemple, qui donne les plus beaux plans de bords de route du film).

Il aurait fallu pour cela peut-être se prendre un peu moins au sérieux, et creuser cette veine absurde qui ouvrait le film : des roseaux sanglants ; on frappe à la porte. La gueule encore enfarinée, Patrice ouvre en pleine nuit pour trouver le tueur à la machette disant en substance « oupsi, j’ai tué ton frangin, je sais pas pourquoi », répété une quinzaine de fois en boucle. Naissait chez le spectateur un sourire bizarre, crispé : mais dans ce ton amer, une belle ambiance se creusait.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

2 comments

  1. benoit cornet

    Juste une remarque au sujet de votre article sur Sac la mort, le film ne se passe pas au Antilles mais à plus de 20 000 km de là… sur l’île de la Réunion. Ce film ne concerne ne rien les Antilles. Bien à vous.

    • Jean-Nicolas Schoeser
      Author

      Bonjour Benoit,
      et en effet, grosse coquille geographique dans la version publiée. je m’empresse de la corriger de ce pas.
      toutes nos excuses pour cette approximation nocturne.
      bien cordialement

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