Le festival international Eurasia 2017 fut une expérience singulière.
La sélection de films faite par la directrice de programmation Elena Larionova était incontestablement ambitieuse, elle permettait de découvrir plusieurs très beaux films de la région – par des maîtres déjà connus tels que Aktan Arym Koubat, qu’on connaît très bien en France pour un film comme Fils adoptif et qui revenait avec une œuvre élégiaque sur la rupture du lien entre l’homme kirghize et la nature – Centaur (2017), mais également par de jeunes talents à découvrir, comme Ilgar Najaf. Ce dernier est un cinéaste d’Azerbaidjan qui a réalisé Pomegranate Orchard (Nar bagi, 2017), un premier long-métrage maîtrisé et fin, adapté de façon libre de La Cerisaie de Tchekhov. Le film peint à la fois un beau portrait de famille azérie et un tableau amer des trahisons et des compromissions humaines.
Pomegranate Orchard d’Ilgar Najaf (2017)
On pouvait également découvrir le film yakoute Sa fille (Ego dotch, 2017) de Tatiana Everstova, hélas, profondément décoratif et plat, ne rendant pas hommage à cette région et à ses meilleurs cinéastes, comme la Nénètse Anastasia Lapsui. En compétition principale, nous découvrions aussi Arythmie (Aritmiia, 2017) du Russe Boris Khlebnikov, le film russe de l’année, Grand prix du principal festival de films russes Kinotaur à Sotchi, un film époustouflant sur deux jeunes médecins tentant de s’aimer malgré une vie qui va trop vite et parfois trop mal. C’est d’ailleurs à ce film que le jury Fipresci dont je faisais partie a attribué son prix.
Mais le festival portait aussi son lot de déceptions. D’une part, le festival était cette année déplacé de son lieu de tenue habituel, Almaty, l’ancienne capitale et toujours la capitale culturelle du Kazakhstan, à Astana. Ce déplacement était dû à la tenue de l’Expo 2017 à Astana, grand événement avec lequel le festival a été rapproché en termes de dates et de lieu, dans un quartier flambant neuf, bâti pour l’occasion. Si le quartier était en effet, visuellement impressionnant et qu’Almaty est devenue en quelques années une très belle ville moderne remplie de projets architecturaux osés que les invités du festival ont pris plaisir à découvrir, on se prenait à regretter la facilité avec laquelle les jeunes cinéastes, scénaristes et acteurs habitant pour la plupart à Almaty (où se trouve encore le grand studio de cinéma Kazakhfilm), pouvaient les années précédentes se mêler au public invité, rendant possibles des rencontres imprévues et fertiles. Quelques découvertes en marge du festival ont tout de même été possibles en ce juillet 2017, mais moins que les années passées – Astana étant à une journée de train d’Almaty, le déplacement n’est pas si facile lorsqu’on n’est pas spécifiquement invité au festival.
Par ailleurs, l’interventionnisme étatique se sentait hélas un peu trop dans cette nouvelle édition du festival. D’une part, l’équipe organisatrice du festival a été changée quelques semaines seulement avant l’événement suite à l’intervention du Ministère de la culture du Kazakhstan. Même si les deux équipes (l’ancienne et la nouvelle) ont travaillé d’arrache-pied pour offrir un beau festival bien organisé aux spectateurs malgré toutes les difficultés engendrées par cette situation et même si elles y ont réussi, cette intervention de dernière minute n’est pas de bon augure. En effet, voilà déjà plusieurs années que Goulnara Abiekeeva, la principale historienne kazakhe du cinéma d’Asie centrale, a été écartée des événements cinématographiques dans le pays. Il a fallu que Klaus Eder, président du jury Fipresci cette année, fasse également un hommage sur scène au grand historien de cinéma kazakh Baurzhan Nogerbek qui venait de s’éteindre, et pour lequel aucun hommage n’avait été prévu dans le cadre de l’événement. Ce qui se passait en juillet 2017 avait ainsi de quoi inquiéter quant à l’avenir des événements liés au cinéma de niveau international au Kazakhstan.
De même, le film kazakh présenté en compétition, Returnee (Oralman) de Sabit Kourmanbekov semblait indiquer la même tendance. Si Sabit Kourmanbekov est un homme de talent, d’abord décorateur et costumier et acteur dans de nombreux films, dont ceux de Serik Aprymov qu’on connaît bien en France, il réalise également depuis quelques années. Malheureusement, son dernier film est non seulement raté d’un point de vue cinématographique mais dégage également un petit parfum de cinéma de propagande bien attristant. Le cinéaste lui-même avouait à demi-mots lors de la présentation du film que beaucoup de choses avaient été modifiées, voire retournées suite à la « bienveillante demande » du Ministère de la culture. Pourquoi présenter ce film en compétition internationale ? Les spectateurs qui ne connaîtraient pas le cinéma kazakh pourraient naïvement se dire que c’est ce que le cinéma kazakhe avait de mieux à offrir cette année-là. Mais nous savons que c’est faux : le cinéma kazakh regorge aujourd’hui de talents régulièrement sélectionnés en festivals internationaux, y compris ceux de catégorie A. Pour n’en citer que quelques-uns : Emir Baigazin, Adilkhan Erzhanov, Janna Issabaeva, Serik Abichev parmi les jeunes talents ; par ailleurs des cinéastes moins jeunes et déjà très connus à l’internationale étaient, quant à eux, en train de finir leurs derniers films réalisés pratiquement sans aucune aide de l’Etat dans ce pays où le cinéma est encore très subventionné : Serik Aprymov et Ardak Amirkoulov.
Or, c’est justement Returnee qui obtint le Grand prix d’Eurasia, passant devant des films bien plus réussis et cohérents d’un point de vue narratif et esthétique, rendant malheureusement le verdict du jury suspect de partialité.
Pour finir sur une note plus positive, Eurasia lançait cette année son marché du film qui fut un véritable succès. Les tables rondes réunissaient des spécialistes de pointe venant de nombreux pays et Anna Katchko, productrice, organisa encore cette année, comme elle a l’habitude de le faire, une journée consacrée aux pitchings de projets de longs-métrages de jeunes talents kazakhes qui a permis aux invités de découvrir des jeunes gens courageux, inventifs et sachant en quelques mots, parfois prononcés avec hésitation, faire apparaître les images et le sons d’un film pour l’auditoire.
Les mangeurs de pomme de terre de Sharipa Urazbayeva (Edoki kartofelia, 2016)
Les vainqueurs étaient Sharipa Urazbayeva et Ayan Nayzabekov, déjà auteurs de courts-métrages faisant preuve de vraies qualités de metteurs en scène. Une mention spéciale a été attribuée à la jeune Assel Aushakimova qui réalise et écrit des courts-métrages sur un thème encore tabou dans la région, l’homosexualité.
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