A l’origine, ce « gros » court-métrage de 30 minutes faisait partie d’un triptyque, Visitors, en compagnie de deux autres autre segments (Butterflies have no memories de Lav Diaz et Koma de Naomi Kawase). Il est peu probable qu’en l’état ce film à sketch ne sorte en France, puisqu’il s’agit d’une commande pour l’édition 2009 du festival international du film de Jeonju. Chacun de ces cinéastes y ont livré leur variation sur le thème du retour, les « visiteurs » en questions… Le court de Hong étant le seul à se dérouler en Corée, il illustre par la même occasion une virée à Jeonju même.
C’est sans doute la première fois que Hong se consacre à ce point entièrement à un personnage féminin en tant qu’axe central. La voix off omniprésente de l’héroïne Mi-Sook renvoi à Night and Day, mais moins dans la volonté du metteur en scène de réaliser un film proche du journal intime que celle peut-être d’être en immersion avec l’héroïne. Ici les pensées de Mi-Sook semblent continuellement submerger le personnage, très nerveux et d’emblée confronté à sa peur de prendre la route. Les plans d’immeubles qui ouvrent le film semblent figurer les « montagnes » du titre, plus que ne le ferait un creux de la plaine… Mi-Sook est un personnage d’emblée écrasé par ses pensées et sa perception du décor et des situations. Le plan en tangente de Mi-Sook au volant qui fait figure aussi de « carton titre » représente bien les lignes de fuite de ce « voyage » : se replonger dans sa mémoire et dans ses difficultés relationnelles.
Mi-Sook est une jeune femme qui essaye de contrôler ses émotions et déceptions, de régler ses comptes et d’être forte. A l’instar du format du film, elle cherche aussi à écrire une nouvelle, à son retour d’un voyage au Cambodge. Pourtant elle s’inscrit toujours dans la plupart des schémas de sociétés coréens et reste prisonnière d’une bonne partie des restes de la morale confucéenne, incapable de refermer convenablement la parenthèse de sa liaison avec son mentor.
Une nouvelle fois, Hong fait jouer à MoonSeong-geun le rôle d’un aîné un peu déphasé, M. Jeon, « sabeom » prof de lettres qui tient en partie son pouvoir des archétypes sociaux mais qui n’est pas spécialement ici dans une position confortable. Il est en particulier obsédé par l’imitation et le dépouillement de son art par l’un de ses anciens élèves qui a réussi. Les deux hommes ont eu une liaison avec Mi-Sook, et leur antagonisme va se rejouer dans le petit espace confiné du court-métrage. Ce trio fait évidemment penser à celui de La vierge mise à nue par ses prétendants, mais une nouvelle fois il est impossible pour Hong de rejouer à l’identique une même partition, en dépit d’éléments à priori analogues.
Ici une amie rivale de Mi-Sook joue les perturbatrices de par sa liaison (réelle ?) avec le professeur… Une nouvelle fois, pour ce film, Hong explore des conflits plutôt féminins. Mi-Sook reste le centre de l’attention, quitte à agacer par son comportement. C’est un peu une nouveauté chez le cinéaste, de faire de la femme un plein potentiel d’immaturité et de narcissisme, dans le fond très similaire à certains des portraits masculins qu’il a pu faire dernièrement. Mais à la lâcheté se substitue ici une expansivité un peu anarchique et frustrante.
Deux séquences très intéressantes sont à relever dans Lost in the Mountains :
-La rencontre entre Mi-sook et une écrivaine reconnue.
D’une part, Hong joue de nouveau de la figure de la « montagne » en figurant le domicile de la femme de lettres via ses angles de prise de vue et son focus sur les escaliers. C’est une nouvelle figure d’aînée à visiter, mais très différente et fugace. D’une part cette femme lui fait un classique compliment sur l’apparence, et lui déclare avoir déjà vue Mi-Sook et son prof la veille (comme un point externe qui ne fait que passer)… d’autre part à l’issue de leur bref échange, l’héroïne se promet en tout et pour tout de ne plus se consacrer qu’à l’écriture, comme toute ses transfigurations d’un jour que l’on peut se jurer sous le coup de l’ émotion. Une très belle scène centrale.
-La confrontation du quator de personnages sur un parking, transformé en deux « couples » de circonstance, embarrassés et cherchant à s’éviter.
La colère de M. Jeon est délicieuse au moment où ses deux « élèves » s’éclipsent comme si de rien n’était, se révoltant contre la situation, éclatant dans une colère dont one ne saurait trancher si elle tient de la justesse ou de la leçon de morale hypocrite. A l’issue, Mi-Sook décide de rompre les fils et s’éloigne seule vers sa voiture. On a l’impression que cette scène est l’idée primitive sur laquelle Hong a pu bâtir ce court métrage….
Lost in the Mountains s’achève sur des façades d’immeubles exactement comme en ouverture, et si l’on peut se risquer à une hypothèse c’est que le mouvement de retour sur soi de l’héroïne n’a dans le fond vraisemblablement pas joué l’accomplissement libérateur attendu. C’est peut-être le film le plus pesant de Hong au niveau de l’atmosphère avec le jour où le cochon est tombé dans le puit. Sans que cela ne soit encore une fois un défaut de justesse, mais seulement un autre versant pour le metteur en scène, toujours capable d’explorer l’angoisse de l’échec sur bien des plans. C’est l’antithèse aussi de l’apaisement et de l’humour constant de Like you know it all…
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).