Nous voici rendus à la fin de cette édition 2017 du festival Itinérances d’Alès. Cette année le programme d’avant-premières n’a pas toujours convaincu les habitués. Il manquait peut-être quelques grands noms ou événements suite à la baisse des financements. Après, la qualité des films n’est pas comme on le sait proportionnelle aux budgets. Le festival a plutôt rempli sa mission la plus importante : la découverte. Et de cela, les subventionneurs les plus prompts à la rigueur ne peuvent pas nous en priver. Par ailleurs, quelques rééditions et de nombreux inédits, certains déjà évoqués dans les billets précédents, compensaient l’habituel panorama de nouveautés où se bousculent des habitués pressés de faire des réserves, puisqu’il désertent le plus souvent les salles alésiennes le reste de l’année. J’ai pour ma part raté la soirée d’ouverture consacrée à Orpheline ainsi qu’au dernier Kim Ki-Duk qui manquent donc à ce tableau de chasse conséquent.
Essayons nous donc à la saveur de l’inédit et commençons la mise en bouche par un peu d’amertume… La terre abandonnée est le seul et ultime film réalisé par Gilles Laurent, cinéaste décédé dans les attentats de Bruxelles et venu au documentaire par le son avec des collaborations depuis dix ans pour d’autres réalisateurs belges ( Nathalie Borgers…). Pas étonnant donc qu’il pointe ses oreilles et sa caméra pour écouter la renaissance idyllique d’un bout de terre contaminée autour de Fukushima. Le père de Matsumara est connu comme le dernier paysan de Tomioka et plus particulièrement pour être resté prendre soin des animaux abandonnés dans la zone interdite ( une armée de chats, de chiens et même, moment de grâce, une autruche ! ). En suivant son fils quinquagénaire, il visite aussi d’autres amis qui tentent de se rendre utile dans ce coin du monde vidé de ses habitants. Il faut extraire la terre contaminée, abattre, les arbres, déblayer. Si ce n’était ces activités fiévreuses, le son nous duperait aisément. Le calme, seulement hanté par le chant des oiseaux, ne laisse rien paraître de la catastrophe et de la menace invisible. Invisible… et silencieuse. À peine un sentiment d’abandon, un travelling avant terrifiant pour pénétrer une ville fantôme. Ici, les hommes ont construit, ils détruisent maintenant. Mais ils sont plus inquiets pour l’avenir des jeunes qui ont fui que pour leur propre santé. En ce sens, ce très beau documentaire, bouleversant, est le pendant champêtre et modeste du puissamment symbolique The land of hope de Sion Sono ( et plus fort encore que La terre outragée de Michale Boganim sur Prypiat présenté à Itinérances il y a quelques années ). Sans appuyer mais par des procédés redoutables ( messages audios diffusés dans la bourgade morte ), il capte la fin des temps et enregistre le souffle toxique du vent. Comme le bruit de l’explosion n’a pas été identifié au premier abord par les habitants, les sons de Gilles Laurent sont aussi trompeurs. Le « Tomioka tiens bon ! » ne vient pas d’un message de solidarité d’un gouvernement japonais qui fait semblant de s’agiter sans aucune conviction, mais seulement d’un film du chambara japonais. On comprend aisément qu’il ait fallu choisir l’image à l’ingénieur du son pour entrer dans toute la dimension de la pire des catastrophes. Ses cadres sont édifiants, coupants et leur beauté douloureuse. Le destin fatal du cinéaste ne fait que renforcer encore l’urgence de son message : il reste des hommes de bonne volonté dans ce monde à l’agonie. Si certains pouvaient distribuer ce film, les générations futures, qui souhaitent juste pouvoir exister, leur en seraient gré.
Le train de sel et de sucre est le dernier film de Licinio Azevedo. Rescapé des aventures de Godard et Ruy Guerra au Mozambique, ce natif de Porto Alegre y est installé depuis 1975 et est devenu en trente ans le plus grand documentariste du pays ( Acampamento de desminagem, 2005 ). Converti à la fiction, il livre ici un récit autobiographique sous haute tension. Suivant entre autres une jeune infirmière, Rosa, ce voyage au bout de l’enfer n’est pas vraiment celui annoncé. L’ambition frappe d’entrée avec son grand nombre de personnages, sa structure chorale se dévoilant en arrière-plan pour révéler l’endroit où le vrai danger guette, à l’intérieur même de ce train pesant, traversant un pays ravagé par la guerre civile comme un long serpent de fer. Alternant au besoin l’intime et le plan d’ensemble sans arriver à la fresque guerrière puisqu’il n’y a rien ici qui soit digne d’être enjolivé, Azevedo lorgne presque vers la série B américaine ( Frankenheimer bien sur ) pour mieux s’en écarter, tant cette traversée chaotique et initiatique nous dit les souffrances et les efforts d’un pays pour survivre au conflit qui le ronge. L’auteur n’est d’ailleurs pas tendre avec les communistes, à la fois chefs de guerre mystiques et pillards sans scrupules. Tout au plus se loge une ambiguïté chez ce chef tribal, sorcier et leader charismatique imperméable aux balles qui revient tout naturellement parmi les vivants. Nous ne sommes pas en présence d’un film d’action, aux fusillades sporadiques à l’image d’une poignée de rebelles dépenaillés mais souvent meurtriers, mais d’un blues lancinant qui menace d’enterrer la beauté avec lui. Azevedo adopte à plus d’une occasion le point de vue des femmes, premières victimes des exactions ou de leurs familles impuissantes. Si le cri est rentré, il n’en a pas moins de force et sans doute plus de dignité. En s’attachant à montrer ce qui survit d’humanité plutôt que de l’ensevelir sous la pyrotechnie et les effets spéciaux, Azevedo affirme la primauté de la fiction pour peindre les sentiments, laissant libre cours à la réflexion comme bouclier face aux pressions de toutes sortes. C’est ainsi qu’attentif aux humains, il poursuit son regard documentaire et effleure la fiction dans les pas de personnages emblématiques de toute une population.
Nous ne sommes jamais seuls a été une des excellentes surprises parmi ces oeuvres restées absentes des salles de l’hexagone. Le nouveau film de Petr Vaclav avait pourtant été repéré à Berlin et il était logique de le présenter à Alès après l’accueil réservé à sa Zaneta. Klaudia Dudovà, ici une Zaneta à qui on aurait coupé bras et jambes mais qui conserverait sa fierté et un brin d’insolence en se regardant sombrer et un personnage de maquereau d’origine rom rappelant les braqueurs maladroits de l’opus précédent, sont bien les seuls point communs entre ces deux œuvres. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la facilité n’est pas l’apanage de Petr Vaclav qui prend un plaisir évident à surprendre et à déranger son public. Si l’action se situe dans une interzone tchèque – une supérette de bord de route, un bordel, les habitations, la prison, les bois noirs – cette vue en coupe d’un microcosme rural un peu largué que l’on parcourt en tous sens, pourrait tout aussi bien appartenir à n’importe quel pays occidental touché par la désespérance. Ses atours réalistes ne le restent jamais très longtemps, un personnage entraînant l’autre dans une nouvelle dimension. L’Auteur a en outre le bon goût de ne pas les juger. Même son nazillon de maton finit par être touchant dans sa non-existence ( plan superbe à travers les reflets d’une vitre ) ou sa solidarité virile imbécile. Et ici, une jolie femme esseulée peut encore s’amouracher du dernier des proxénètes frimeurs que l’appât du gain conduira à sa perte. Car la vulgarité de son boxon a pourtant quelque chose d’attrayant, des couleurs vives tranchant avec l’enfermement et la misère du couple de cette recrue malgré lui. Une relation dont l’horizon ressemble aux excréments d’un mari hypocondriaque mais surtout très autocentré. Le patriarcat prend cher, mais ni les personnages féminins ni les enfants ne seront épargnés. C’est que notre responsabilité est collective quand tout acte parait absurde et d’une portée limitée à sa jouissance immédiate. Les saynètes de la vie domestique vue par Petr Vaclav composent donc un tableau en pointillés d’un état de crise du monde. Les enfants y tutoient la mort et le meurtre, les hommes y sont obsédés par la maladie et le délabrement physique, la fable les plonge dans un quotidien cauchemardesque mais moral. Très stylisé et proche d’un naturalisme deleuzien, où la pulsion guide les évolutions de figures quasi animales, Petr Vaclav a pensé son film comme une œuvre d’art entière et jusqu’au boutiste. Jonglant entre noir et blanc et couleur, il n’obéit à aucune règle établie sinon à son instinct d’artiste. Si les premiers temps, ce changement est lié aux pensées des personnages ( la romance de conte de fée de la caissière ), il est ensuite plus radical, plus libre, comme un surgissement de l’un dans l’autre.
Cette assurance, son regard lucide mais finalement humain font tout le prix d’un film qui a beaucoup à nous apporter et qui, sous la surface, est plein d’humour. Par ailleurs recourant à des symboles forts, il a valeur universelle. Qu’il côtoie le genre quand le bandit cherche à éponger son sang avec son magot ou s’évade vers la poésie finale d’une embardée vers la mer, ses visions rejoignent le meilleur de ce cinéma tchèque que l’on connaissait autrefois à la pointe de l’avant-garde – à l’époque où les cinéphiles français qui peuplaient les festivals s’intéressaient à une production de l’Est pas encore tombée en disgrâce -, quand il balançait entre expressionnisme et surréalisme tapageur. Son finale nous laisse aussi espérer le meilleur quant au road-movie que ce cinéaste globe-trotter et très européen a tourné rapidement dans la foulée avec son actrice favorite. Souhaitons qu’il fasse étape une nouvelle fois en Cévennes…
Vincent et la fin du monde signe le retour du flamand Christophe Van Rompaey. Son style mis au point dans ses courts-métrages est immédiatement reconnaissable. Utilisation de caches, de longues focales laissant un goût amateur qui ici, colle à l’univers étriqué oppressant Vincent. Vincent est un adolescent emblématique de sa génération et c’est d’ailleurs la meilleure idée du film que de croquer son indignation permanente et sa recherche désespérée et maladroite de modes d’action efficaces. Il est aussi affublé d’une famille un peu programmatique pour qui a apprécié Little miss Sunshine, mètre étalon du genre road-movie comique et familial. Conscient de cette parenté, le scénario trouve dans l’esquisse de ses membres sa particularité, jouant sur la corde sensible de la belgitude sans trop forcer le trait. Dommage qu’il y ait cette branche française où poussent les coproductions. Alexandra Lamy est devenue une icône à Alès à cause de sa stature télévisuelle. En dépit de Ricky et des films de Sandrine Bonnaire ou Nils Tavernier, le cinéma la maintient dans la comédie française la plus commerciale. On peut s’étonner que Vincent et la fin du monde reste inédit puisque sa dimension comique fonctionne auprès du grand public et qu’il résume la carrière d’Alexandra Lamy : de la caricature vaguement méridionale à l’émergence d’une authentique fêlure chez son personnage. Mais l’accumulation d’émotion et de pathétique finit par ennuyer un peu, de même que la conversion un peu facile de Vincent. En tout cas, restent un rythme assez soutenu, quelques gags, situations bien exploitées ou dialogues pas inutiles ( la mémé raciste ) dans une comédie sociologique épinglant le décalage nécessaire des citoyens belges perdus chez l’ogre français.
Il est assez difficile d’adhérer pleinement au film du slovène Damjan Kozole dès lors que l’on en a manqué le début ! Considéré comme l’un des cinéastes les plus importants de son pays ( mais sans doute moins que le metteur en scène de théâtre Vinko Moderndorfer ), Nightlife le ramène aux affaires après une série de courts-métrages et de documentaires ayant succédé à son Slovenian girl ( 2009 ). À force de patauger dans l’allusif et de chercher la subtilité, le scénario centré autour d’un mystérieux cadavre récupéré un soir dans la rue finit par nous ennuyer beaucoup plus qu’il ne nous interroge. Une vision atmosphérique de la paranoïa urbaine qui n’est pas propre à la Slovénie, mais on manque sans doute d’informations pour appréhender sa portée politique. Quoi qu’il en soit, un film à revoir à tête reposée hors d’un contexte festivalier et qui a trouvé à Alès quelques fans de ses mystères dans un public ouvert et enthousiaste.
Chaque année donc, on peut découvrir ici un avant-goût des grandes reprises. Cette édition n’échappait pas à la règle entre chef d’œuvre largement célébrés et œuvres mystères de pays « exotiques » sur la carte, toujours moins restreinte qu’on ne le croit, de la production cinématographique mondiale. Parmi les vraies raretés projetées à Alès, Le banquet des fraudeurs ou l’unique fiction du pape du documentaire belge Henri Storck. Il ne faut pas oublier les débuts de ce natif d’Ostende dans les pas de l’avant-garde avec par exemple, Sur les bords de la caméra. Ses essais de fiction sont par contre très rares et se bornent à Une idylle à la plage, tourné en 1931 et au Carrefour de la vie en 1949, second court-métrage qu’il réalise sur l’enfance délinquante juste avant la fiction « classique » qui nous intéresse et que Storck met ensuite en chantier et qui sortira en 1951. C’est aussi son unique long format si on excepte son Rubens de 1965 d’une durée de 65 minutes. Enfin, pour cette première fiction belge de l’après-guerre – qui l’eut cru ? – mais qui est encore la première coproduction internationale avec la Belgique de la période, l’idée est de célébrer la naissance du Bénélux entré en vigueur au 1er janvier 1948. Le célèbre Charles Spaak sait bien de quoi il retourne car son frère Paul-Henri, homme d’état belge qui fut à plusieurs reprises premier ministre de son pays, en fut la cheville ouvrière en tant que ministre des Affaires étrangères. Le scénario traite son sujet comme le confluent de collaborations qui baignent dans l’atmosphère d’une époque utopique. On peut aussi parler de film ethnographique, qui utilise toutes les ressources de son presque noman’s land, le petit village de Dorpveld ( ce que refera trente ans plus tard Alain Tanner dans une version suisse plus amère qu’un chocolat chabrolien ), donc toujours basé sur une étude documentaire. Avec beaucoup de malice, le film met en boite l’économie de marché en prenant l’exemple de l’évolution de la contrebande sur la zone résultant de l’ouverture de deux frontières sur trois. Faut-il d’ailleurs y voir un vœu pieu du rôle d’arbitre que pourrait jouer dans la bonne volonté générale, la toute fraîche RFA ? Dans le même temps, le scénario de Spaak analyse les mutations auxquelles sont confrontées les grandes entreprises avec l’ouverture à ce nouveau marché commun. Troisième milieu dépeint ici, les douaniers, habituellement peu représentés par le septième art, si ce n’est sur son versant « corniaud » et comique.
À l’époque du Banquet, l’Europe à construire est synonyme de justice sociale avec en berne, l’égalité salariale à construire pour tous les travailleurs. Les fans de Storck seront un peu surpris par la facture de l’ensemble. Mais on retrouve néanmoins son goût du social et de très belles choses ( l’envolée dans laquelle les ouvriers en grève courent jusqu’à buter sur la grille fermée de l’usine, l’art précieux du gros plan cher à Storck ). Il y a aussi beaucoup de finesse dans la peinture en demie-teinte des couples Pierre et Eva ou Pierre et Siska, dignes d’un Brève rencontre. Certes, il s’agit d’un film très scénarisé, à la limite du trop écrit car on peut deviner l’idée sous-jacente. Ainsi, cette scène d’ouverture et sa vache n’est pas sans évoquer Tati et pourrait annoncer celle d’Henri Verneuil avant que de symboliser la PAC. Heureusement que la mise en scène sait prendre de la hauteur pour peindre ces perspectives d’avenirs, bien mises en valeur par la belle photo d’Eugène Shuftan. Storck a en outre plaisir à jouer sur les tons et même, avec les codes du film de genre. Ce sont alors des voitures qui foncent sur les chemins aussi boueux que sous l’occupation. Mais ce qui emporte le morceau, c’est cette férocité toujours présente. Celle avec laquelle Ciska lance les chiens sur Eva pour d’un coup réintroduire une guerre ouverte et assombrir les rapports sociaux. Et plus on avance, plus le drame rattrape la comédie. Car le communiste des années 30 a mûri. Il n’est plus dupe de la nature humaine. Mais il n’empêche qu’il croit à la possibilité de faire mieux, et même pour le fils du patron ( Raymond Pellegrin ). Pour quelqu’un qui a été accusé il y a quelques années de collaboration, Storck prouvait déjà ici que sa conception de l’Humanité dépasse largement le cadre de la guerre et des nations. Et qu’en matière de morale, un fraudeur n’a de leçons à recevoir de personne sauf des événements. Son banquet unitaire n’est d’ailleurs pas sans rappeler, sous ses couleurs plus flamandes, bouffonnes et festives, le procès par la pègre du M de Lang. Bref, voici une pépite de l’âge classique à déguster pour toute sa complexité !
Vivre vite, titre programmatique pour un film étendard, est un des nombreux sommets de l’œuvre de Carlos Saura, actuellement en pleine réévaluation. Expression sublimée du cinéaste majeur de ce qu’en Espagne on nomme la « génération innocente », c’est une œuvre de transition qui rompt avec ses films antérieurs – en apparence du moins, car il comprend une mesure du fossé qui sépare la nouvelle génération de la précédente élevée sous le joug franquiste – et les cycles qui se sont éteints avec Maman a cent ans et la mort de Franco. Saura souhaitait renouer avec l’énergie de ses débuts ( Los golfos, déjà un portrait de groupe néo-réaliste d’ « olvidados » de la jeunesse espagnole ). C’est chose faite avec ce De prisa, de prisa qui obtient aussitôt l’ours d’or à Berlin en 1981. On voit également à quel point il fait charnière avec la période moins sociale et de plus en plus chorégraphique qui naît avec les années 80 ( son film suivant sera d’ailleurs Noces de sang ). Mais il trône déjà à la pointe de cette période dite de la « Transition », années de changements politiques, socio-économiques et culturels de Espagne post-franquiste. Tout son film est transporté par cette urgence qui est son début mais contient en germes sa fin douloureuse. Il y a un sous-texte mythogène, une dimension allégorique ( par exemple le cheval avec lequel ils franchiront « la ligne » ) liée au retour à l’essence de la tragédie. Il se rattache autant au flamenco ( ici débridé et magnifique, et dont les leitmotivs musicaux emballent la bande son ) qu’à la corrida ( mécanique cette fois ). Le regard critique que l’Auteur quinquagénaire porte sur la génération qui lui succède, brûlant la chandelle par les deux bouts, permet l’émergence de cette expression artistique et plastique pour croquer une manière de vivre « à l’espagnole » ( qui a toujours cours aujourd’hui, notamment en mode mineur dans Les sept vierges d’Alberto Rodriguez ). En ce sens, il est assez intéressant de l’opposer aux polars engagés de Vicente Aranda ( El lute ) ou au réalisme blafard et dégénéré de tous les pamphlets d’Eloy de la Iglesia. D’où ici une douleur lucide, désabusée mais qui n’est pas sans liens avec ses films précédents. À l’image de son pyromane s’abîmant la rétine dans la contemplation mortelle d’automobiles volées. Il faut d’abord rappeler la base documentaire d’un projet issu de la rencontre de centaines de jeunes madrilènes qui donne à une œuvre personnelle l’authenticité collective conférée par des éléments réellement biographiques, sans que pourtant à aucun moment, la structure du scénario ni sa mise en scène ne soient entachées d’un côté film enquête, si caractéristique du néo-réalisme espagnol des années cinquante ou encore d’un cinéma d’exploitation européen des années 70, déjà ringardisé au tournant de la décennie. À tel point que ses acteurs non professionnels se retrouvent eux-même impliqués dans des crimes durant le tournage, jusqu’à l’arrestation de Jesus Arias ( Meca le pyromane ) en 1981 pour braquage, Valdelomar / Pablo étant lui tombé six mois plus tôt… Dans ce pays en plein bouleversement, il y a une nécessité de réalisme qui se traduit dans les films de la Movida ou dans la rage d’Eloy de la Iglesia qui comme ses personnages préférera bientôt et pour longtemps, l’héroïne au cinéma. La finesse du portrait, la jeunesse et le naturel de ses acteurs et son rythme de chevauchée ne sont qu’un des points forts de ce fascinant Vivre vite. Parce que le crime fait partie de leur vie comme l’air chargé d’essence qu’ils respirent, indolents. Ils sont leurs besoins, et basta !
Mais pour autant, Saura reste à leurs côtés, ne manquant ni d’épingler les contrôles de police intempestifs hérités de la dictature, ni l’escroquerie des bourgeois ( le médecin qui laissera mourir Pablo ), car c’est finalement l’air du temps qui pousse au crime. Cette liberté, ils l’ont conquises dans les marges d’un système qui opprimait les individus avant que la démocratie ne les livre à eux-mêmes, sans perspectives d’avenir. Ils en usent donc selon leurs instincts, comme d’autres jeunes dans l’Amérique de l’après-guerre ou les ruines de l’Allemagne. Passant des champs de blé éclatants d’un pays encore endormi dans sa ruralité aux friches urbaines, leurs comportements animaux sont sauvages – Marcel Oms parle d’ailleurs de point de vue « des lapins dans La chasse » ! -, étrangers à toute origine familiale ( une grand-mère symbolique rattachant à l’enfance…), vierges de toute Histoire… et beaux ! Même du fond des enfers… La distance que le cinéaste maintient avec ses personnages est pareille à celle que l’héroïnomane porte sur la réalité du monde. Une forme de passivité les conduit à s’abandonner ainsi à leur destin, figés sourire aux lèvres, un côté orgasmique immédiatement suivi du frisson de la petite mort. On pourrait à la limite remettre en question le point de vue de la victime de la cabine téléphonique du braquage final s’il ne participait pas d’une organisation cinégénique du chaos. Mais par cette mise en scène ample et élégiaque de Saura, opératique, contaminée par la bougeotte – mais plus dans un glissé sur les choses que par un tremblement perpétuel, c’est toute une génération en surrégime qui se trouve ici vengée. Tout fait sens : la précision du cadrage envahi par les motifs symboliques, l’importance du jeu des couleurs ( le tee-shirt rouge d’une fatale Angela ) quand le montage claque comme le fouet ( la scène d’ouverture, manifeste ) ou plutôt comme un accord. L’auteur repêche in extremis sa passionaria à travers les essaims d’enfants dans le soir qui tombe au pieds des cités surpeuplées, marchant vers un avenir peut-être indéterminé mais qu’on imagine encore libre, plus féminin et positif. Ce côté punk mais inscrit dans un geste vitaliste épris d’esthétique, véritable zébrure romantique sur la glace sans teint des années de plomb, rapproche Saura de la veine la plus viscérale d’un Pasolini séduit vingt ans plus tôt par la jeunesse féline. Film incendiaire où le présent se consume dans son propre mouvement, débouchant sur une réalité augmentée, tellement puissante qu’il fut question de l’interdire en France et en Allemagne… Cette réédition marque donc une date dans le processus de révision du cinéma de Carlos Saura.
Retour final sur une petite partie du programme 2017 d’avant-premières, dense mais comparativement moins flamboyant. Quand on fait le bilan, on ne regrette que plus amèrement d’avoir raté Mr Universo, One kiss, Cessez-le-feu, The young lady, Glory et autres The net. Surtout quand on s’aperçoit que le dit compte rendu sortira bon dernier et qu’entre temps, nombre de papiers auront rempli leur rôle éclairant chez Culturopoing !
L’Opéra est le nouveau documentaire de Jean Stéphane Bron ( produit entre autre par l’ami Lionel Baier ), plus connu dans ce genre ( Cleveland contre Wall street, L’expérience Blocher ) que pour son agréable comédie de mariage Mon frère se marie. Il retrouve toutefois sa structure chorale, pour naviguer entre Garnier et Bastille et évoquer le monde magique d’une vénérable institution, l’Opéra de Paris. Le film traverse ainsi un grand nombre de coulisses sans chercher à être exhaustif et se gardant de définir une ligne narrative forte. Tout au plus, il sera question de l’avènement d’un jeune ténor russe, de la bronca face au chorégraphe Benjamin Millepied, de l’art d’un directeur de négocier en période de grève ou du difficile apprentissage d’un orchestre de jeunes virtuoses. Bron ne délaisse ni l’économique ni l’artistique, car l’Opéra est une entité organique où chacun a sa place, comme l’indique le beau plan final d’une femme de ménage passant l’aspirateur parmi les fauteuils du théâtre. Mais surtout, il nous réserve le plus souvent les fauteuils d’orchestre et va jusqu’à nous glisser sous un voile de tulle pour mieux y voir. On retient particulièrement certaines séquences liées à la temporalité du spectacle, avec sa régie générale donnant le tempo par intercom, les deux femmes chantant la partition, ou la communication à couteaux tirés avec un chœur motivé et investi de sa mission. Le film séduit largement mais trouve peut-être sa limite dans un foisonnement voulu aux antipodes de la rigueur organisationnelle du lieu. « C’est une journée exceptionnelle. Pas à cause de ma présence…» susurre François Hollande en ouverture, se vautrant dans le ridicule grâce à ce sens de l’observation helvète. Disons que L’Opéra est un film exceptionnel mais pas parce que l’institution est, dans sa routine, extraordinaire, mais bien par la proximité et tous les beaux moments que Jean Stéphane Bron lui a volé. De quoi clôturer avec élégance la présence du 35ème festival au sein du Cratère d’Alès.
Après le déferlement de lauriers reçu par Alice en 2005 à Cannes et dans les autres festivals, Marco Martins revient sur les écrans français avec Saint-Georges, ayant réalisé entre temps deux autres longs restés inédits. Dans un traitement différent ( Alice était dominé par des gris livides qui collaient à l’exploration de ses images vidéos comme à sa préoccupation majeure pour le passé ), on retrouve le blues lisboète de l’ancien assistant de Wenders, Tavernier, Oliveira ou Joao Canijo. La portée du film est limitée par son concept. Peu de surprise, donc une exception pour une œuvre produite par Paulo Branco. C’est que pour le cinéaste il y a ici une obligation morale de sobriété. Une volonté aussi de coller aux baskets de son Bullhead en puissance, boxeur lancé comme un boulet sur sa trajectoire pénétrante, buté comme un sanglier qui aurait gardé les chiens à cul. Rythme lent, répétitif, voix off murmurée, caméra fixée sur la nuque de taureau de l’impressionnant Nuno Lopez ( son acteur de prédilection, justement primé à Venise ). On marche dans ses pas cadencés, adopte la dégaine agressive de ce malabar, fier à bras au grand cœur brisé en charge de recouvrir les dettes dans un pays prenant l’eau de toutes parts, avec comme épée de Damoclès le départ de sa femme et de son fils pour le Brésil. Dommage que le film manque de contrechamp et d’échappatoires. Fontainhas sous l’œil velouté d’un Pedro Costa palpite autrement. Si la lumière dorée et chaleureuse éclaire quand même la nuit portugaise pour humaniser cette virée en enfer, Il manque d’un horizon plus vaste que celui azuré d’un poisson exotique dans sons aquarium. Au fil des cavalcades et des kilomètres dans la capitale, Jorge, le spectateur, le pays et le film s’enfoncent dans une dépression dont la vigueur et l’interprétation magistrale de l’acteur, masse ressentante, ne peuvent hélas nous faire revenir une fois endormis au fond du fond. Le son contribue aussi à nous confiner dans ce mentalisme, nous noyant dans les cordes. La musique lancinante et blessée est alors la seule voie de sortie pour nous élever au dessus du marasme économique et moral. À trop frapper dans le vide, ça soulage mais ça consomme aussi plus d’énergie que ça n’ouvre de portes. L’expérience immersive se révèle certes malaisante mais nécessaire. À revoir donc hors de la frénésie festivalière afin de jauger s’il tient mieux la distance ou s’il manque encore de souffle comme sa caméra portée qui titube dans la nuit, tentant de tenir debout jusqu’au dernier round.
Après la satire qui relevait joyeusement son hyperréalisme plombant de bord de route dans le cruel Hard day, l’ambition de Kim Seong-Hun avec ce Tunnel est visiblement de réinjecter de l’humanité au blockbuster coréen, sans rien perdre du grand cinéma populaire : quelques séquences catastrophes bien senties, toujours menées à l’économie mais réalisées à la perfection, une bonne séance de claustrophobie à la fois allégée par une vraie recherche esthétique comme autant d’éclats expérimentaux surnageant sur une coulée béton et de dévastation, des séquences de pures comédies dues au ton, au scénario et à l’interprétation des comédiens, voilà le cahier des charges. Là, Tunnel frappe par son soucis du détail. Beaucoup de passages au potentiel glauque sont désamorcés par l’irruption d’un clou, un gâteau et le chien qui s’en empare, la pisse, l’eau, sans prendre le pas sur la fable édifiante où l’individualisme national nous fera même souhaiter la mort de Mina, autre survivante plus concurrentielle que le héros falot. À ce jeu, l’Auteur ne milke pas toujours assez les situations pour surprendre et tous les éléments ne sont pas nécessairement d’une grande originalité. Son chien de bande-dessinée nous ramène par exemple aux débuts timides de Bong Joon-ho ( Barking dogs ). Mais le cinéaste va déjouer les attentes du spectateur en faisant refleurir ce genre coréen unificateur, le mélodrame. Un incunable qui couve sous le masque social des trois personnages. Son joli couple lambda d’abord, séparé par la brutalité de l’accident et ensuite le sauveteur qui lui, doit seul affronter et gérer toutes les problématiques, véritable conscience collective en lieu et place de représentants de l’état vendus à la politique spectacle. C’est dans ses nuances de ton que le film montre le mieux son âme, plus que par des ambitions qui n’atteignent pas totalement l’acmé du genre. La dénonciation de la course au profit, autant vue comme un élément de la dramaturgie qu’une réalité locale qui ne surprend plus personne, est toutefois mieux utilisée que la dérive médiatique, qui se limite à dénoncer la petitesse et l’absurde chorégraphie qui agite ces reporters en meute. Et quand l‘émotion en vient à son comble, on peut regretter que le retour de la satire s’en mêle de trop. Nous nous retrouvons alors à lister avec un amusement légèrement teinté d’ennui les codes du film de survivant. Ce déferlement polygénérique étant heureusement bousculé régulièrement par les divers effondrements qui compliquent le quotidien mesquin du héros et produisent leur courant d’air frais. A noter aussi l’importance de la musique et le rôle dramatique bienvenu de la radio. Enfin, si le personnage de l’épouse est absolument magnifique, par sa manière humble de vivre à 200 % l’engagement de toute une communauté pour sauver son mari, les habituels flashbacks de culpabilité paternelle servent plus comme effets d’annonce qu’à capter des sentiments profonds. Quoi que… dans ces petits riens de surface, les intentions les plus enfouies conduisent in fine à la libération de l’inconscient de tout un pays, réconcilié sur les ruines d’un formidable film du dimanche soir !
Mean dreams, second long-métrage du canadien Nathan Morlando, met en scène Bill Paxton ( pour son dernier rôle au cinéma ) dans un rôle de psychopathe après Emprise. Ce petit thriller canadien convoque les fantômes du deep south et il a du mal à se démarquer des films de David Gordon Green ( L’autre rive, Joe ) ou Jeff Nichols. Mais le début remarquablement mis en scène fait la part belle aux austères paysages ruraux et boisés, ainsi qu’aux grands espaces décatis. Jusqu’à ce que la menace soit identifiée, c’est un sans faute. Caractérisation subtile du jeune couple et des traumas familiaux, topographie des lieux, incident déclencheur à retardement et en plusieurs temps. Quant à la très lynchienne scène des meurtres, elle est parfaitement rythmée. Elle permet de dépasser le peu d’originalité de l’intrigue ( sous Breaking bad, où la drogue règne en maître dans les sous-bois de l’Americana ). Ce choix n’est pas fortuit. Les enjeux trajectoriels sont plus importants que ceux dramatiques, enfin pour un temps seulement. Un beau départ à pieds nous rapproche de tout un pan du ciné indy US ( autoroute Portland – Austin ), sous des frondaisons dorées qui ne manquent pas de lyrisme. Une autre belle réussite, c’est la peinture unilatéralement sombre et désespérée du monde des adultes. Et Morlando s’y tiendra ! Dommage que la résolution soit peu convaincante : naïveté à expliquer comment les policiers retrouvent les jeunes ( et les personnages moins que le scénariste… ) ou départ du good cop après une fumeuse idée de somnifères. C’est un peu triste à dire mais Morlando n’a pas su quoi faire de son échappée belle, divisant son couple sur une ligne politique épaisse ( arme contre conscience ) et amenant une chute ultra prévisible. La série B rentre dans le rang, l’école buissonnière n’est au programme. Mais de très beaux oripeaux le situent non loin d’un Jeremy Saulnier, en plus vibrant et moins rigoureux, il faudra donc tenir à l’œil ce canadien doué qui révèle qui plus est un Josh Wiggins, excellent dans le rôle de Jonas Ford et la très connue – au Québec car largement couronnée dès l’âge de 11 ans pour Monsieur Lazhar – Sophie Nélisse, qui à 17 ans fait preuve d’une belle maturité de jeu. On aimerait donc bien comprendre où est passée la sortie prévue initialement, plus aucune date n’étant désormais annoncée sur Allociné… Hallucinant pour un film de calibre et taillé pour le grand public français si l’on en croit le spleen du public à l’issue de ce film de clôture.
Parmi les traditions du festival qui me laissent d’habitude de marbre, l‘avant première surprise est une sorte de film des familles, souvent dévolu aux sujets de société. Cette année, le choix du palestinien Hany Abu-Assad, deux ans après Omar qui nous enseignait les diverses méthodes pour passer le mur israélien, était une vraie bonne surprise. Cet ancien résident hollandais emballe cette fois dans une presque comédie, Le chanteur de Gaza se déroulant d’abord selon le rythme effréné de la Vie majuscule d’un groupe de mômes, drivé par Nour, gamine espiègle et débrouillarde. Le cinéaste excelle à camper le décor et à le mettre en scène sous toutes ses coutures, notamment lors de deux courses poursuites autrement plus efficaces que bien des blockbusters américains. Ce qui change, c’est le ton à la limite du burlesque. Difficile de ne pas craquer pour cet orchestre juvénile dédié à la gloire de la voix en or de Mohammed. Avec le thème de la maladie ( les reins ), lié sans que cela soit dit explicitement au blocus israélien, il aurait pu verser direct dans le pathos. Il n’en est rien, même quand l’histoire recommence plus d’une dizaine d’années plus tard. La trame vaut comme métaphore. Tout se répète en Palestine, sauf que rien ne s’arrange. On construit des murs puis des tunnels, les checkpoints des religieux viennent y remplacer ceux des israéliens mais Gaza détruite survit. La mise en scène capte tous ces détails à la volée, sans jamais le moindre misérabilisme. Abu-Assad préfère ici le cinéma populaire au modernisme. Le film change de peau et se fait donc biopic, celui d’un chanteur gazaoui devenu une star du monde arabe grâce à la télévision et dont la moindre chanson vaut bien des poèmes d’un autre Mohammed, Darwich. Le film perd sans doute un peu de sa verve en se cantonnant au seul concours en Égypte, pour réinvestir des rails qui s’en iraient courir en droite ligne jusqu’à l’atroce Slumdog millionnaire s’il ne gardait son authenticité et ses qualités de cœur. Un succès qui confirme cette simple observation : Hany Abu-Assad est le plus doué des réalisateurs palestiniens après Elia Suleiman.
Derniers feux du show-biz avant de basculer dans la nuit profonde, celles des avant-premières constituant le climax de ces onze jours de festival. Peut-être parce qu’il était aussi très attendu, L’homme aux mille visages déçoit fortement. Ce n’est en définitive qu’un thriller vaguement politique ( beaucoup trop peu ), bavard et aseptisé qui nous éloigne de la réussite viscérale de La isla minima. Son rythme distille immédiatement un ennui puissant qui empêche d’adhérer à son propos. La logorrhée de sa voix-off monocorde expédie le plus éveillé des complotistes directement chez Morphée ( j’ai essayé trois fois ! ) En dépit de l’excellence technique, du style léché et froid de sa mise en scène, polie par le travail précis de son chef opérateur habituel ( Alex Catalàn ) pour coller au sujet et au look de ses élites, le film ne s’effondre jamais de l’intérieur. Peut-être que le sordide sied beaucoup mieux aux magouilles des GAL et que le journaliste d’investigation Manuel Cerdan s’est montré incapable d’adapter son livre à l’écran. L’écriture, trop cérébrale, achoppe sur une quantité de détails aussi passionnants que la lecture des cours de la bourse. Le film se voit en outre désavantagé par une interprétation un peu raide pour un résultat d’ensemble relevant du cinéma espagnol commercial le plus balourd à force de se vouloir contemporain. En exagérant un peu, ce n’est pas beaucoup plus excitant qu’un film de Garenq sur Denis Robert. Autrement dit, à l’échelle d’Alberto Rodriguez, c’est une demie-catastrophe.
En théorie, plus risqué sur le papier dans ce contexte de programme nocturne, Adieu Mandalay nous révèle enfin le Taïwano-birman Midi Z. A 34 ans, il a déjà l’expérience d’une pléiade de courts, de deux documentaires et trois fictions tournées dans la clandestinité avec de micro-moyens. Ce transfuge arrivé à Taïwan en 1998 et élève de HHH ou Ang Lee, accède pour la première fois à un budget conséquent, tout en continuant à s’attacher à dépeindre les parcours de migration. L’empreinte de Hou est sensible, particulièrement dans les travellings arrières où se dessinent les lignes de fuite de la Birmanie en lieu et place de la campagne Taïwanaise de Goodbye south goodbye. La lenteur, tranquille mais pas excessive et la douceur presque thaïe, compensent la fixité des plans, souvent composés avec goût et un sens de l’espace très bouddhique. L’arrivée de la jeune birmane Liang Qing est proche du documentaire et loin des caricatures de Loach ( Bread and roses ) ou Inarittu ( Babel ). Se tisse immédiatement avec Guo un rapport ambigu et complexe. Adroit dans la description du travail ( et parfois avec des plans stupéfiants comme ces fibres manipulées par la jeune fille qui s’en vont exploser dans le cœur de Guo comme un soleil, le film est moins réussi dans sa description, à dessein, du pays fait de lieux anonymes et peu attractifs, dont il extraie justement l’ennui d’une impossible vie normale. Les ellipses sont fréquentes ( descente de police ) et les mouvements filés. Le lien amoureux grandit tout aussi clandestinement et même à l’insu de la jeune fille. Pour le reste, Midi Z montre sans appuyer la dureté politique et sociale et la tragédie qu’elle génère. La scène de fête à coup de jets d’eau apporte même un temps un supplément d’humanité, une catharsis joyeuse déjà éprouvée dans Shara. Mais le glissement vers la prostitution entraîne le récit vers une dimension affabulatrice que vient brutalement rappeler à l’ordre le tranchant de sa fin, dénouement sauvage que d’aucuns pourront juger sévèrement. Une signature d’artiste qui tranche alors avec la retenue dont il a fait preuve tout du long.
Les fans de Jane Austen avaient devancé les hordes zombiesques alléchées par un titre un peu provocant : Orgueil et préjugés et zombies. Burr Steers, neveu de Jackie Kennedy ou Gore Vidal, d’abord reconnu comme acteur ( Pulp fiction ) change littéralement de registre pour son quatrième long-métrage. Il s’agit de jongler avec des codes dans un complet décalage et d’introduire des éléments annexes pour le moins improbables. Adaptation du roman de Seth Graham Smith parodiant Austen, son monde légendaire est une totale réussite avec en hors champ, l’histoire de cet entre-deux funèbre qui ramène le style victorien vers les rivages post-apocalyptiques romeriens ( pas les nuits de la pleine lune mais celles des morts vivants ). Le sombre Darcy est présentement un exterminateur de vampires jamais pris en défaut, au sein d’un monde où les convenances masquent -souvent- les façades décrépites d’une classe dominante au crépuscule de sa vie. Le scénario renouvelle brillamment le genre. Exit les démarches crapoteuses et le verbe limité. Les zombies de Steers s’expriment comme vous et eux et ne manquent pas de talents dans la plaidoirie. Quant aux filles de bonnes familles, elles ont tout des vipères tarantiniennes. Beaux restes gothiques qui n’ont cependant pas l’authenticité d’un Tim Burton, mais dans une mise en scène enlevée plus qu’efficace. La répétition des massacres nous ramène au Planète terreur, de Rodriguez sans en avoir tout à fait la liberté de ton. À trop fricoter avec les convenances, on finit par mettre un pied dans la convention. Reste un exercice de style soigné mais sans grand enjeu cinématographique. Ceci dit et curieusement, pour une sortie direct to DVD, c’est de loin la crème de la crème et d’une ambition peu commune.
La vengeresse marque un retour à un dessin plus brut pour une vision plus discordante – actualité oblige – de l’Amérique en période trump. Bill Plympton durcit le trait de son film de super héroïne anti Donald. Les perspectives se délitent, tout se barre en couille et notre œil fatigué à cinq heures du matin bat de la paupière. Pourtant la trame scénaristique se fond dans la série B tarantinienne – à la limite de l’hommage pur et dur et ce jusqu’à la bande son – et semble au premier degré ne pas avoir beaucoup d’intérêt. C’est par le dessin, tout en lorgnant vers un pan plus mainstream de la contre culture ( Beavis et Butthead ) que Plympton ( et son coréalisateur) peut se permettre d’exprimer dans la variation, ce point de vue unique qui est le sien. Exigeant et acide, il aurait gagné à être diffusé à une heure de plus grande écoute pour que nos yeux fatigués puisse jouir de ses merveilles ( ou au moins permuté avec Orgueil et préjugés et zombies, plus dynamique).
Bref si à ces extraits d’environ un tiers de la programmation, on ajoute les diverses expos, la table ronde sur le virtuel ( un gadget pour gamers, il m’a suffi d’une simple pichenette sous le nez d’un Hulk démesuré et vaguement menaçant pour qu’il s’évapore dans la dimension d’un retour forcé au monde réel avant même que toute interaction ait commencé. Bof ! ), les films des options cinéma, les différents concerts et la présence amicale de Gérard et Julien Camy venus dédicacer Sport et cinéma, il n’y avait que du beau et que du bon dans cette édition. Vous voilà prévenus pour l’année prochaine ! Mais plutôt que d’attendre tranquillement que ça se passe, vous pouvez pressionner les politiques, soutenir logistiquement et financièrement le festival pour être bien sur qu’il repousse au printemps prochain sous cette forme.
Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier, Julie Uski-Billieux et Eric Antolin. Photos: Alix Fort .
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Pierre Audebert
AuthorBonjour Alice ! alors c’est pas vraiment une critique juste un avis et l’argumentation n’est pas très développée. je modère un peu l’enthousiasme initial puisque je dis que la portée du film est quand même limitées vu qu’à trop faire original il tombe un peu dans la convention. mais globalement j’aime beaucoup, moins que la centaine de personnes présentes à 4h du matin cette nuit là qui pour beaucoup étaient dithyrambiques !
Alice
Je crois que c’est la première bonne critique que je lis d’Orgueil, Préjugés et Zombies avec des éloges qui me laissent un peu perplexes je dois dire, même si le film n’est pas déplaisant.