Jess Franco – Les immanquables

Quelques repères pour ne pas vous perdre dans la rétrospective … et vous faire une idée du large éventail d’inspiration de Franco… les immanquables en quelque sorte.

Le Franco classique : du cinéma d’épouvante populaire

Strip tease et pantomime avant Vampyros Lesbos dans Miss Muerte

 
L’HORRIBLE DOCTEUR ORLOF – 1961 – 86’

Le docteur Orlof est un film d’épouvante de docteur fou classique qui accumule les références artistiques, de Docteur Jeckyll à Mabuse, l’influence majeure restant Les yeux sans visage. C’est loin d’être le meilleur Franco bien que ce soit celui qui ait fait sa notoriété, mais il s’agit d’une jolie œuvre d’ambiance au noir et blanc très atmosphérique et qui bénéficie de la monolithique présence d’Howard Vernon qui deviendra son acteur fétiche. Les maîtresses du docteur Jeckyll et Le sadique Baron Von Klaus sont un peu de la même trempe.

 

DANS LES GRIFFES DU MANIAQUE (Miss Muerte) – 1965 – 87’

Connu également sous le titre Le diabolique Docteur Z, Miss Muerte est probablement le sommet de la période cinéma d’épouvante classique de Franco. Vengeance, femme fatale, savant fou, meurtres sous hypnose : tous les ingrédients sont présents pour faire de cette petite perle écrite par Jean Claude Carrière un équivalent des romans feuilletons à la Maurice Leblanc. Déjà percent les premières obsessions de Franco qu’il s’agisse d’une héroïne désespérément meurtrière telle qu’on pourra la retrouver dans She Killed in extasy, ou d’un magnifique strip tease glissant vers l’imagerie surréaliste et présageant celui de Vampyros Lesbos.

 

 

LES NUITS DE DRACULA – 1969 – 96’
Bien qu’avançant de manière parfois un peu chaotique, et n’ayant pas le budget de ses ambitions Les nuits de Dracula reste une belle adaptation du roman de Stoker, romantique et poétique, avec un Christopher Lee beaucoup plus proche du roman que chez la Hammer, et une sublime musique de Bruno Nicolaï.

Se réveiller du rêve : Marie Liljedahl dans Isla de la muerte

L’empire du rêve, de la folie et de l’abstraction

 

 

LES INASSOUVIES (Isla de la muerte, La) – 1969 – 81′
Le film se suit littéralement comme un rêve et agit comme tel sur un spectateur laissé dans une sensation d’apesanteur et qui en émerge comme s’il se réveillait. C’est probablement l’une des promenades de Franco qui restitue le mieux cette sensation de flottement continu auquel le paysage ensoleillé et marin ajoute sa touche de sensualité. Bénéficiant d’un budget moins étriqué, Isla de la muerte, esthétiquement somptueux prend la forme d’un voyage au pays des fantasmes refoulés. Il est l’un des films les plus hypnotiques de Franco et Marie Liljedahl y traverse le film comme une créature diaphane et irréelle…
 
CHRISTINA PRINCESSE DE L’EROTISME / UNE VIERGE CHEZ LES MORTS-VIVANTS – 1971 – 73′

Fantastique somnambulique : Une vierge chez les morts-vivants

Franco voulait appeler son film La nuit des étoiles filantes ce qui en dit long sur les objectifs d’Eurociné qui lui imposa ce titre stupide. Une vierge chez les morts vivants est une balade poétique au pays des morts, un ultime rêve transitionnel avant le passage de l’autre côté, sorte d’équivalent pour Franco du Lisa et le diable de Bava. Caviardé dans certaines versions de scènes de zombies grotesques réalisées par Jean Rollin, probablement pour appuyer le titre, Une vierge chez les morts vivants reste dans sa version originelle l’une des œuvres les plus personnelles de Franco, avec ses étranges dialogues mythologiques et littéraires, ses rencontres bizarres, ses éclairs surréalistes et quelques scènes iconoclastes anthologiques tout droit sorties d’un Bunuel. Déconcertant et envoûtant.

 

LE MIROIR OBSCENE – 1974 – 84’

Le miroir est par essence même la figure emblématique de la dualité : celle qui sépare l’imaginaire du réel, comme celle qui éloigne de la lucidité par la folie. L’œuvre navigue sur cette double interprétation du fantasme et de la réalité et Franco parvient une fois de plus à rendre cette sensation de frontière, et à matérialiser à l’image le paysage mental de l’héroïne. Ce qui frappe avant tout dans Le Miroir obscène c’est la tristesse qu’il dégage, et cette propension de Franco à mettre en scène de beaux personnages de femmes perdues en dedans d’eux mêmes et qui semblent toujours vouées à la folie ou la mort.

 

 

Douleur du fantasme : Doriana Grey

DORIANA GREY – 1976 – 76′
Avec Le Portrait de Doriana Grey on touche probablement à la dimension la plus expérimentale de Franco dans son approche du corps et de la pornographie. Pas de plaisir charnel ici, mais des scènes d’onanisme furieux qui dérangent, déstabilisent et dans lesquelles le gros plan devient macroscopique, à grand renfort de zooms avant-arrière incessants qui finissent par donner le vertige. Le corps y devient un paysage abstrait, le charnel une figure de répétition et de souffrance. Avec Doriana Grey on est souvent plus proche de la performance que du cinéma. Lina Romay y est impressionnante et se donne intégralement jusqu’à susciter le malaise. Il se dégage une véritable étrangeté de cette œuvre schizophrène et désespérée.

Se dédoubler dans un miroir : She Killed in extasy

Soledad forever

Prématurément disparue dans un accident de voiture à l’âge de 27 ans Soledad Miranda fut la muse de Franco durant trois de ses meilleurs films. On ressent dans chaque image la fascination que le cinéaste avait pour elle. Il la filme avec amour, réussissant à rendre ce mélange de sensualité et de fragilité de l’actrice (là où sa seconde muse Lina Romay fera véritablement figure de transition dans son animalité).

 

 

La sublime Soledad Miranda dans She Killed in extasy

 

CRIMES DANS L’EXTASE – 1970 – 73’

La version de Franco de La mariée était en noir est en réalité un hymne à l’amour fou. Soledad y incarne une jeune femme rendue folle de douleur par la mort de son mari et avide d’exterminer ceux qui en sont la cause. She Killed in extasy est parfois traversé du souffle du désespoir, avec certaines minutes, certaines échappées de regard, certaines traces de souffrance bouleversantes. Difficile d’oublier le regard triste et halluciné de Soledad pendant que monte en puissance la musique de Nicolaï .EUGENIE – 1970 – 84’ Adaptation d’Eugenie de Franval de Sade mettant en scène la relation meurtrière et incestueuse entre une jeune femme et son père, Eugenie a peut-être un peu plus vieilli que les deux autres. Mais Miranda y est phénoménale en femme enfant entraînée dans la perversité et le crime. Comme tous les films avec Miranda, au delà des archétypes du genre perce la tragédie. Et encore une victime-bourreau, incarnant dans un même visage l’innocence et la mort, décidément l’un des leit-motivs de Franco qui semble répéter dans chacun de ses films le même portrait de femme. A signaler que Franco joue le rôle légataire de la confession d’Eugénie, témoin impuissant et observateur de cette navrante histoire, sorte de substitut du cinéaste lui-même.

 

 

Le trip Vampyros Lesbos

 

VAMPYROS LESBOS – 1971 – 89’

Vampyros Lesbos est l’un des sommets de l’expérimentation formelle de Franco, jonction parfaite de l’esthétique psychédélique et de l’abstraction, porté par l’hypnotique bo de Siegfried Schwab et de Manfred Hubler devenue mythique. Franco laisse libre court à son art de l’improvisation, des associations d’idées, parfois proche de l’écriture automatique. Il en naît des plans inouïs et improbables qui dégagent une poésie des formes et des couleurs. Rarement le cinéma de Franco ne sera parvenu à une telle illustration du fantasme, portée par une seule icône : Soledad Miranda. La comtesse vampire devient une héroïne mélancolique sur laquelle pèse la malédiction de la solitude et dont la recherche des proies potentielles stigmatise celle de l’amour éternel.

Les amantes de Vampyros Lesbos

L’inspiration sadienne

 

 

Romina Power dans « Justine »

 

LES INFORTUNES DE LA VERTU – 1968 – 105’

Rien d’étonnant à ce que le cinéaste ait autant de pseudonymes, car il existe véritablement plusieurs Franco. Les rares fois où on lui donne les moyens de ses ambitions, il apparaît comme un cinéaste autre, peaufinant le visuel et la narration… sans pour autant renier ses obsessions. Alors qu’avec Justine, il aurait pu laisser libre court à ses fantasmes, il ne cède pas à l’imagerie érotique facile, soigne énormément la forme et suit les pérégrinations de son héroïne passant de main en main, de sévice en sévice. Visiblement très inspiré par la beauté lumineuse de Romina Power, il restitue parfaitement la sensation de roman d’apprentissage et de conte licencieux – voire picaresque – du 18e. La splendide photo aux teintes rouges et vertes rappelle parfois certaines œuvres de Bava. Bref, Justine est avant tout une œuvre haute en couleur, alerte, esthétiquement somptueuse qui frappe par la beauté de sa mise en scène.

 

QUARTIER DE FEMMES – 1972 – 91′

Là aussi, il est intéressant de voir ce que peut faire Franco en partant des conventions d’un sous-genre d’exploitation (ici le WIP, traduire Women in prison, film de prison de femmes). Sans pour autant négliger les archétypes attendus – tortures carcérales, humiliations, gardiennes sadiques, scènes saphiques etc – il livre une œuvre engagée, tragique, d’une noirceur déconcertante, tableau d’un monde de dominants et de dominés, répartis par caste et dans lequel l’injustice et l’iniquité règnent en maître. On peut voir dans cette vision d’une dictature imaginaire les réminiscences de l’ère franquiste.

 

Erotisme sadien dans « Lettres d’amour d’une nonne portugaise »

 

LETTRES D’AMOUR D’UNE NONNE PORTUGAISE – 1976 – 82’
Si Lettres d’amour d’une nonne portugaise est sensé s’inspirer du roman épistolaire du même titre, il appartient pourtant intégralement à l’inspiration sadienne de Franco qui signe probablement ici l’un de ses films les plus aboutis. Tout à la fois sobre et extrêmement soigné esthétiquement, il révèle un sens formel étonnant à mille lieues du cinéma d’exploitation. Lettres d’amour d’une nonne portugaise est un formidable film doloriste doublée d’une ode à la pureté qui restitue parfaitement la dichotomie – sensualité et violence – des œuvres les plus précieuses de Sade, tout à la fois morbide et érotique. Il met le spectateur dans la situation paradoxale et ambiguë de voyeur, nous laissant contempler la beauté charnelle et les affres qu’elle subit. On souffre avec sa très jeune héroïne face à toutes les humiliations inimaginables de la part d’hommes d’église prétextant leur caste pour assouvir leurs pulsions les plus inavouées, l’occasion pour Franco de laisser libre court à son anti-cléricalisme furieux. Curieusement, loin de tomber dans la gratuité, Lettres d’amour est une œuvre tout à tour érotique et tendue qui parvient jusqu’au bout à rester dans le beau jusqu’à en devenir lyrique.

 

LE SADIQUE DE NOTRE DAME – 1979 – 92′
Il s’agit probablement d’un des objets les plus curieux dans la filmographie de Franco, mais également l’un des plus fidèles à la démarche de Sade puisqu’il suit les pas du bourreau qui prend les traits d’un Homme d’Eglise (incarné par Franco lui-même) persuadé qu’il est investi d’une mission de d’extermination du Mal et de la perversité et qui, les observant un peu partout, torture et tue à tour de bras la moindre créature surprise dans sa nudité, ses ébats saphiques, ou autres … Il y a un effet de trompe l’œil déstabilisant dans Exorcisme et messes noires qui a d’abord l’air de se contenter d’aligner les orgies et autres scènes torrides et avant de nous dévoiler son vrai visage. Ce qu’on prend de prime abord comme un simple produit d’exploitation nous induit d’abord en erreur, en feignant de distiller un message puritain (combattons la perversité !) ; le spectateur est d’autant plus troublé par le Franco-héros qu’il l’identifie d’abord spontanément au regard de Franco-cinéaste. Exorcisme et messe noire pourrait s’imposer comme une relecture à contresens de L’exorciste de Friedkin, dans laquelle Max Von Sydow serait incarné par Franco lui-même et verrait un démon à détruire à chaque fois qu’une fille « s’envoie en l’air ». L’anticléricalisme sadien bat son plein dans cette prétendue mission divine d’un prêtre frustré, obsédé sexuel et psychopathe.

Le très curieux Frankenstein de Franco

Pastiches, mythes et classiques revisités, objets improbables

 

LES DEMONS DU SEXE – 1972 – 104’
Avec les démons Franco réalise sa version d’exploitation des Diables de Ken Russel et s’en donne à cœur joie dans l’attaque de la folie religieuse, en rajoutant niveau blasphème, provocation, à grand renfort de péripéties improbables, d’érotisme torride, de scène de torture et de musique anachronique. On retrouve l’habituelle équipe de Franco dont Britt Nichols et Howard Vernon en super méchant. Particulièrement jouissif et distrayant et avec quelques scènes désopilantes…
 
LES EXPERIENCES EROTIQUES DE FRANKENSTEIN – 1972 – 90′

Budget limite zéro pour cette variation érotique autour du mythe de Frankenstein. Ce qui est ahurissant c’est qu’au delà même de tout jugement objectif, le film atteint un tel délire qu’il se dégage une vraie poésie surréaliste de cet univers fauché avec sa femme-oiseau, son cagliostro, ses squelettes encapuchonnés dans des cérémonies rougeâtres. La liberté de ton qui se dégage de ce monde incongru dépasse tout de même très largement la pure série Z. Pour peu qu’on se laisse aller la vision peut-être assez fascinante.

 

LA COMTESSE PERVERSE / LES CROQUEUSES – 1973 – 72′

Une version érotique désopilante des Chasses du Comte Zaroff avec Vernon dans le rôle titre et une séquence d’anthologie hilarante de traque dans la « jungle » dans laquelle Alice Arno chasse Lina Romay à l’arc, toutes deux dans le plus simple appareil. De jolies répliques émaillent le film comme la comtesse cannibale déclarant face au cadavre d’une jeune femme : « Les seins sont superbes, c’est mon morceau favori ».

 

SHINING SEX / LA FILLE AU SEXE BRILLANT – 1975 – 92′

Voilà probablement une des œuvres les plus improbables de Franco, dont on ne sait s’il faut la conseiller ou non ; mais on se demande tellement à quoi on est en train d’assister que l’expérience reste unique… Le postulat sexuelo-fantastique en dit long sur ce qui attend le spectateur puisqu’il met en scène une jeune femme contrôlée par des hommes venus d’une autre planète qui, pour s’emparer de la terre lui enduise le sexe d’une matière extra-terrestre et huileuse qui a la capacité de décimer chacun de ses partenaires … Le contenu vaut le résumé, mais le délire absolu qui s’en dégage et l’obsession du sexe jusqu’à l’abstraction font de Shining Sex un curieux objet qui échappe au processus critique. Nanar ? Probablement. Expérimental ? Peut-être. Barré ? Incontestablement.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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