JANE PAR CHARLOTTE de Charlotte Gainsbourg
(Cannes Premières)
Un nouveau film sur Jane Birkin? On se souvient du beau portrait d’Agnès Varda consacré à la star, Jane B. par Agnès V. Mais l’approche de Charlotte Gainsbourg se distingue ici par une approche plus clairement intime, plus « home-movie ». D’emblée, elle confie avoir toujours ressenti une certaine réserve entre elles deux, espérant sans doute pouvoir se rapprocher de sa mère et de mieux analyser les sentiments qu’elles éprouvent chacune pour l’autre. Faisant la part belle aux confidences et à la transmission maternelle, voilà un essai pudique et sensible sur l’amour entre une mère et sa fille, prenant soin de ne pas tomber dans le nombrilisme sans jamais cacher qu’elles appartiennent à la légende (la visite de la maison de Serge restera dans les mémoires). Et ces deux-là s’aimeront bien plus longtemps que le temps d’une chanson.
TOUT S’EST BIEN PASSÉ de François Ozon
(Compétition)
En adaptant le livre d’Emmanuèle Bernheim, qu’il a bien connu puisqu’elle a été la co-scénariste de certains de ses films, François Ozon lui rend un très bel hommage avec ce drame familial sur le suicide assisté qui ne tombe jamais dans le pathos, ni dans le film à sujet. Ce qui rend le cinéma d’Ozon si vivant et si attachant, c’est sans doute son bonheur absolu de pouvoir diriger des acteurs profondément aimés, de trouver le bon tempo, l’efficacité narrative, mais toujours avec cette douce perversité et cette bienveillance malicieuse qui fait tout le sel de sa mise en scène que beaucoup reprochent à tort d’être trop sage et académique, sans réaliser la chance d’avoir un cinéaste français pouvant à la fois être populaire et intime, qui n’a jamais cherché l’épate ou la facilité tout au long de sa carrière.
LE GENOU D’AHED de Nadav Lapid
(Compétition)
Un cinéaste israélien, sans doute alter ego de Nadav Lapid lui-même, est invité à une projection dans un village du désert mais se rend vite compte de l’hypocrisie du Ministère de la Culture qui voudrait exercer un contrôle sur ses sujets traités. Voilà un film absolument énervé, aussi fou et incontrôlable que Synonymes, revendiquant pleinement sa veine autobiographique et sa colère désespérée contre la politique de l’Israël et sa censure insidieuse. Si le film cherche parfois à impressionner et à risquer l’épate avec ses effets de montage, ses inserts musicaux bien punchy et ses mouvements de caméra traduisant une vraie nervosité, cela fait au moins corps avec le propos du film, toujours sur la corde raide du pétage de plomb, avec cette volonté brutale et douloureuse chez Nadav Lapid de faire à la fois le deuil d’un pays et celui de sa propre mère (qui fut également sa monteuse, décédée pendant la post-prod de Synonymes). L’une des propositions formelles les plus stimulantes de ces dernières années.
I COMETE de Pascal Tagnati
(sélection ACID)
Une chronique estivale de la Corse, à travers un portrait choral de ses habitants dans toute sa richesse et sa complexité, et évitant le côté carte postale, tout était pourtant réuni pour que I COMETE soit une vraie merveille, magnifiée par les accents de la langue corse si rarement entendue au cinéma. Voilà un film que j’aurais aimé adorer mais qui me donne un certain sentiment de gâchis. La faute surtout à un dispositif incompréhensible : une succession monotone et paresseuse de plans fixes, certes souvent bien composés, mais dont la distance semble trop forcée et auteuriste, empêchant du coup une vraie empathie pour les personnages (mais peut-être que d’autres spectateurs seront moins gênés que moi par ce parti-pris). Pourtant, il y avait un potentiel magnifique dans cette peinture de la Corse, ses tensions sous-jacentes, avec tous ces personnages, notamment celui interprété par Jean-Christophe Folly, qui semble être le seul personnage noir vivant sur cette île et qui gagne de l’épaisseur à chaque scène. La comète aura trop vite traversé le ciel.
COW d’Andrea Arnold
(Cannes Premières)
Même si on a aimé les films précédents d’Andrea Arnold, on ne peut qu’être consternés devant ce machin qui se voudrait audacieux en faisant le pari de suivre le quotidien d’une vache, croyant sans doute y voir du radicalisme chic. Pourtant, il suffit de quelques minutes pour comprendre que ce soi-disant « essai mineur » n’aura aucune véritable forme novatrice ou expérimentale à proposer, qu’Arnold se contente de filmer des vaches avec béatitude, jusqu’à un final forcément prévisible dans son effet choc. Quand on songe à la puissance émotionnelle de la scène d’accouchement de la brebis dans Mektoub my Love de Kechiche, alors qu’ici la scène de mise bas est d’une platitude, la comparaison est assez cruelle. Un vrai faux-pas qui donne envie d’écrire Meh plutôt que Meuh (pardon).
UN MONDE de Laura Wandel
(Un Certain Regard)
Le harcèlement scolaire à l’école, voilà un sujet bien plombant qui avait de quoi rebuter. D’autant plus que la mise en scène choisit un dispositif immersif assez casse-gueule, ne suivant que son personnage principal sans jamais le lâcher. Seulement voilà, celui-ci n’est pas Abel, ce garçon souffre-douleur constamment humilié mais bien sa petite soeur Nora (l’impressionnante Maya Vanderbeque) qui assiste impuissante à ses lynchages à répétition. Cela permet une identification beaucoup plus forte, sans chantage émotionnel, et plus efficace pour révéler les failles du système éducatif et l’incompréhension des adultes qui croient pouvoir aider sans réaliser l’ampleur du problème. Le dispositif d’immersion s’avère maitrisé de bout en bout, nous ne verrons pas grand-chose mais nous comprenons tout, notamment sur l’évolution de la relation frère-soeur plongés dans un impitoyable terrain d’apprentissage. Un bon candidat à la Caméra d’Or.
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