Dès son ouverture, Kid affirme une mise en scène très tranchée, aussi frontale qu’exempte de concessions : des longs plans peu dialogués, contemplatifs quand il s’agit d’extérieurs, ankylosés en intérieur, une fixité quasi photographique, un découpage en champ contrechamp, un absence de mouvements de caméra pour accompagner celui, très raréfié, des personnages. Dans Kid, à l’image des pesants non-dits qui minent la famille, les plans, au lieu de s’articuler par un jeu de raccords, se cognent littéralement les uns contre les autres. Ce qui fait office de raccord entre les scènes, ce sont davantage des effets de recadrage qui découpent et encadrent toujours plus le plan et surtout, un monde de sensations, porté par les bruits extérieurs et les variations de luminosité. Le son et la lumière sont donc des composants essentiels. Ils soulignent l’ancrage des personnages, en premier lieu celui des enfants, dans un environnement naturel qui leur tient lieu d’échappatoire. Mais à mesure que la dramaturgie avance, ce papillonnement sensoriel s’assèche, ne laissant plus à sa surface que la froide grammaire d’un montage aux découpes accentuées. Le bocal semble se refermer autour des enfants à l’image de cet écrin stérile qu’est le pavillon de banlieue. Billy se résigne dans une absence distraite tandis que Kid est de plus en plus débordé par son tourment intérieur. La musique, sorte de troisième personnage du film, n’arrivera qu’après-coup. Il s’agira de textures électroniques agissant dans le hors champ à l’instar du mal-être ambiant (musique originale de Senjan Janssen) et d’hymnes sacrés russes, entonnés par des chœurs a capella, qui finissent par s’intercaler le long de la progression dramatique. La photographie sublime du film, toute en lumière et ombre naturelles, rappelle à la fois la riche iconographie de la peinture flamande renaissante, Memling et Van Eyck en tête, et plus subtilement le symbolisme de Léon Spillaert.
Œuvre imposante et déjà largement primée, Kid ne sera pas certainement du goût de tous, surtout du fait de l’exigence que sa mise en scène, aussi statique que solennelle, requiert du spectateur. Pourtant, on serait peu avisé de s’arrêter sur "l’arythmie" de cette chronique familiale ou sur un mélange de mutisme et de dépression accablant. Kid comporte aussi sa part de beauté et d’allégresse contemplative, voire des moments de franche espièglerie qui revitalisent le film d’un élan comique. Un bon camarade d’école turbulent et gaffeur, sait réveiller, par une volée de gros mots, l’atonie générale dans laquelle menacent de sombrer les deux enfants mélancoliques. Le laconisme des vignettes sait même susciter par endroit quelques bulles de burlesque. Kid, au delà de son particularisme régional, dépeint avec grande justesse l’ennui provincial et banlieusard ainsi que le manque de communication entre les générations. On lui reprochera parfois son approche très esthétisante entre picturalité et photographie contemporaine, tout comme un rigorisme et surtout un mysticisme, d’un catholicisme très appuyé. Néanmoins, on ne pourra pas s’empêcher de voir là, un très grand accomplissement cinématographique qui entre en résonance avec l’œuvre de Robert Bresson ou celle plus contemporaine de Bruno Dumont. Pour autant, la réalisatrice Fien Troch affirme une identité cinématographique très singulière qui, on l’espère, saura se préserver d’un trop grand formalisme. En attendant, on ne saurait que trop conseiller ce film élégiaque, en espérant toutefois qu’il soit distribué très prochainement en France.
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