L’Etrange Festival 2019 démarre bien, propageant du plaisir mêlé d’effroi. De cette première salve, j’ai retenu trois documentaires réjouissants et  trois fictions sur des maisons toxiques.
En tête du baromètre du plaisir :


Blood & Flesh : the reel life & ghastly death of Al Adamson, est un portrait d’Al Adamson, un des rois de la série Z, réalisé par David Gregory (déjà auteur de The Doomed Journey of Richard Stanley’s Island of Dr. Moreau, présenté à l’Etrange festival). Dave Gregory a découvert à 9 ans, Adamson, attiré par la jaquette de Dracula versus Frankenstein. C’était l’âge d’or des VHS d’exploitation movies -en VF, séries Z. Quand le film est sorti en Blue-Ray, Gregory a interviewé l’auteur d’un livre sur Adamson pour les bonus et la réalité dépassant la fiction -déjà démente- des films d’Adamson, la nécessité d’un film a germé.
De ses propres mots, Gregory a plongé dans son enquête comme dans le terrier d’Alice. Enquête au sens propre, car Adamson a connu une fin tragique et Gregory a même engagé un détective privé pour démêler l’épilogue funeste. Il estime aussi que les personnes rencontrées sont le plus beau casting de tous ses films.
Du reste, trois sont décédées depuis, ce qui rend leurs témoignages encore plus précieux, derniers Mohicans du cinéma indépendant fin 60 et de la série Z. Beaucoup moins connu qu’Ed Wood et Roger Corman, Adamson a pourtant réalisé plus de 30 films avec des stars prématurément mises à la retraite par les studios comme John Carradine, Lon Chaney, Yvonne de Caro et surtout, Russ Tambyn, héros de son film le plus connu Satans Sadist dont Tarantino connaît les dialogues par coeur. Ce documentaire, du moins la vie d’Adamson, a sûrement été source d’inspiration pour Once upon a time même si l’auteure de ces lignes, trouve le documentaire dix fois plus inspiré et inspirant que la fiction de Q.T.
Avec sa frénésie des titres et de la comm’ – Adamson allait jusqu’à utiliser 5 titres pour le même film et autant d’affiches aguicheuses pour donner plusieurs vies à la même série Z ; son appétence pour le sang : plus de six titres avec Blood : « Hell’s bloody devils, Five bloody graves, Brains of Blood, Blood of Dracula’s castle ; son génie marketing : le budget alloué aux affiches et à la pub était quasi supérieur à celui des tournages et sa légendaire pingrerie, Adamson est un personnage hautement romanesque et ses fidèles co-équipiers, une brochette de sacrés personnages : producteur chargé de trouver des araignées et de nettoyer le crottin de cheval, régisseur devenu cascadeur et figurant…
Une ode galvanisante à un monde disparu, celui de la série Z quand elle caracolait au sommet du box office.

Passons d’un monde disparu à un monde réémergent, celui des satanistes, croqués par la talentueuse Penny Lane dans Hail Satan?  Une plongée intelligente dans le Temple de Satan, aux Etats Unis, qui est passé de 3 membres à 50 000.
Le documentaire revient sur l’historicité du satanisme moderne aux US : l’Église de Satan d’Anton La Vey, très médiatisée dans les années 60, la panique satanique des 80s 90s où de nombreux(ses) innocent(e)s furent condamné(e)s.
L’actuel Temple de Satan est avant tout, comme le dit son charismatique porte-parole, Lucien Greaves,, « une rebellion contre la tyrannie de l’état » et un refus d’une religion dominante. Riche de multiples entretiens effectués au sein du temple, de rituels et actions édifiantes, le documentaire crée la surprise, nous mettant en présence de groupes engagés politiquement et dont les performances forcent la sympathie. Ainsi, la « messe rose », organisée sur la tombe de la mère d’un homophobe notoire, le happening où divers membres du Temple sont déguisés en bébés géants pour dénoncer la fétichisation du fœtus chez les réacs anti avortement…
Bourré d’humour, le documentaire pourrait être résumé par cette tirade hilarante : à la bigote qui lui dit « Vous irez en enfer ! C’est tout ce que vous méritez. », le satanique réplique : « j’espère bien ! »

Le plaisir est également au rendez-vous avec VJ Diaries où Merrill Aldighieri, première VJ (vidéo jockey) d’un club culte de New York, Hurrah, a rassemblé ses visuels et ses précieuses archives : concert du groupe de John Lurie et Jim Jarmush, Del Byzanteens, premier live de New Order, The Revillos, Bush Tetras, Delta 5, Liquid Liquid… Un an d’effervescence où toute la scène no wave défila sous la caméra attentive de Merrill Aldighieri qui portait la double casquette de VJ et de captatrice de concerts. Elle a même filmé pendant qu’un musicien jouait sur sa tête!… Au total, la cinéaste a rassemblé plus de 200 heures d‘archives uniques et des interviews indispensables de tous ceux liés à Hurrah et à la scène underground musicale. Le documentaire galvanisant démarre sur ces mots de la cinéaste : « Au début, la nécessité était mère d’invention ». Un réjouissante compilation du DIY à son sommet, quand il est énergisant et donne envie de faire des films libres et à l’arrache et autant de concerts. De plus, la B.O est époustouflante et nous fait découvrir de nouveaux groupes.

Hasard du calendrier, plus que zeitgeist, d’autant qu’un de ces films date de 1973 : Par trois fois, la thématique de l’appartement toxique ou intoxiqué, voire les deux -revient .

La Chute d’un Corps est une rareté de 1973, réalisée par Michel Polac. C’est la carte blanche de Gaspar Noé qui le présente comme « un film d’horreur sur une secte et la société civile, vue comme un secte. Un Polanski en puissance ».
L’héroïne Marthe (Marthe Keller dans une de ses meilleures interprétations) est témoin d’une défenestration, venant de l’immeuble au-dessus de chez elle. En enquêtant sur ses voisins, elle va tomber sous l’emprise de leur secte dont le gourou est incarné par Fernando Rey et son inquiétant bras droit, par la comédienne de théâtre, Tania Balachova, parfaite dans le rôle de la prescriptrice sadique du bonheur.
La Chute est partiellement inspiré d’un fait divers de 1971: l’affaire Lemire, la fille d’un ambassadeur était tombé sous la coupe d’un soi-disant maître soufi.
Film intérieur au possible : dans la psyché tourmentée de Marthe, dont la géniale et entêtante musique de Terry Riley se fait la bande-son mentale et dans cet immeuble inquiétant, dont elle devient l’otage consentant, n’en sortant que pour partir dans une retraite du groupe mené par Rey, plus effrayante encore.
La justesse de la mise en scène de Polac impressionne : plans oniriques de mains s’agrippant à la fenêtre, renvoyant à la chute de ce corps, immeuble filmé comme un complot, punchlines qui font mouche : « Le zen c’est plus facile à manier qu’une mitraillette, plus difficile à trouver » dit le gourou à un de ses adeptes. Une grande découverte qu’on espère voir ressortir au minimum en DVD.

Complot immobilier également au sein de Vivarium qui tient à la fois de La Quatrième dimension et surtout de l’allégorie. Ce second opus de Lorcan Finnegan a été très remarqué cette année à Cannes, lors de la Semaine de la critique.Un film étonnant, un huis clos au carré. Il est difficile de raconter l’histoire sans la spoiler, tout en sachant que le film joue sur une forme de frustration, d’attente d’un switch qui viendra-ou pas ….
Un jeune couple, Gemma et Tom, à la recherche d’un logement, sont entraînés par un agent immobilier un poil psychorigide, dans un lotissement désincarné et vide. Et quand l’agent disparaît, impossible pour les deux amoureux de quitter les lieux….
Le réalisateur a malicieusement logé Gemma et Tom au lotissement numéro neuf, identique à toutes les maisons vertes de Vauvert, surplombés de nuages tous similaires . Comme un clin d’œil à l’expression anglaise « to be on Cloud Nine » , équivalent de notre septième ciel français. Dans ce décor à la Magritte tendance dépressive, la livraison d’un bébé dans un carton, ne va pas aider le jeune couple à aller mieux…
Vivarium est à la fois épuré et sophistiqué, comme un Vol au-dessus d’un nid de coucous hyper normal, trop normal, pour ne pas être questionné. La scène d’ouverture nous montre un coucou chassant l’autre oiseau de son nid. Le film fascine, questionne, étonne. Imogen Poots est, comme à l’accoutumée, irrésistible.

Last not least sur l’enfermement, Bliss de Joe Begos. irrite et happe à la fois. Certes, Dezz la peintre en manque d’idées, quitte son appartement pour aller se fournir en came : Bliss est le nom de la poudre noire qu’elle sniffe ou faire des virées destroy en club, mais son petit studio de L.A est le cadre récurrent de ses crises, la toile de fond pour son tableau monstrueux.
Begos a voulu rendre hommage aux exploitation movies des annes 70, tournant son film en 16mm. L’image est belle, Tru Collins alias Dezz, est présente dans tous les plans et réussit une sacrée performance qui constitue l’armature principale du film. A la fois fascinant et boursouflé, Bliss est un gloubi boulga -parfois indigeste – du Portrait de Dorian Gray, L’Enfer de Dante et des Prédateurs. C’est dommage que le scénario pêche par son côté What the Fuck et qu’il n’y ait pas une plus grande ambiguïté entre la réalité et les hallucinations dues à la drogue. Le côté atemporel du film, voulu par Begos, façon les premiers Ferrara, a du charme et est souligné par l’absence de marqueurs temporels : absence de téléphone portable, on fume dans tous les bars…

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A propos de Xanaé BOVE

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