JOUR 1

The-darkness-critique3The Darkness de Daniel Castro Zimbrón
D’emblée, The Darkness s’inscrit sur une registre ambitieux, voire opaque –fidèle à son titre : ouverture sur  L’Obscurité de Byron  et sur des plans chargés : oisaux massacrés dans la forêt, collection d’insectes dans des bocaux, bucheron patibulaire ne sortant jamais sans son masque à gaz, bande-son sourde et menaçante à l’instar des plans brumeux et vertigineux. L’opacité vire du métaphorique au littéral : trop de mystères tuent le mystère. De surcroit, si le fait qu’on ne puisse pas localiser la région, ni l’époque joue au départ en faveur du film, ce temps hors du temps finit pas se retourner contre lui-même et devient une coquetterie, un problème de rythme. Sinon un sentiment de déjà vécu (le film n’est guère incarné), on a un sentiment de déjà vu, comme un remix chichiteux du magnifique Château de la Pureté de Ripstein où là aussi, un homme coupait sa famille du monde. La question de l’apocalypse devient subsidiaire, c’est tout dire !… (X.B)

antiporno-sono-sion-e1473422420677Anti-Porno de Sono Sion
Anti-porno fascine et rassemble au point de mettre d’accord deux rédacteurs, soient deux interprétations différentes du film, complémentaires et non opposées qui n’en n’excluent pas d’autres-bien, au contraire !- tant ce sublime opus expérimental convoque mille et un fantasmes et perceptions, à l’image du maelstrom visuel qu’il propose.

Comme un fil rouge Sion n’a jamais cessé d’interroger la place de la femme dans une société d’hommes ou même le concept de « liberté » est masculin. Plus que jamais il réfléchit dans Anti-porno à la nature de sa rébellion et à ses moyens d’évasion, la sexualité et le rapport à son corps étant au centre de cette thématique. En cela Anti-porno est une forme d’annexe éblouissante de Guilty of Romance et Kyoko une bouleversante petite soeur d’Izumi.
Il en ressort une sacrée violence, un pessimisme rageur. Le titre est à la fois programmatique et ironique s’attaquant surtout à l’emprise d’une culture par l’homme et pour l’Homme dans laquelle la femme n’est qu’un objet de plus. Dans son processus de mise en abime vertigineuse, aucune réalité n’est palpable. A n’importe quel moment le monde peut se transformer en scène de théâtre ou en plateau de cinéma et l’héroïne ne parvient elle même plus à se raccrocher au moindre signe de réel. Il n’existe plus de repère rassurant. C’est cet égarement, cette dérive d’une femme en quête d’elle même, en quête de son identité, de sa liberté, une femme en lutte contre l’étouffement que lui impose le système, le choix d’être pure ou pute, que capte Sono. Et au centre, cette sexualité essentielle, cette revendication de la femme à accéder à ses désirs.
Cette victoire du chaos, s’empare à la fois de l’héroïne perdue tentant de rassembler ses propres morceaux identitaires et de la forme, l’enfer de la psyché provoquant l’hystérie visuelle, corps se débattant dans l’espace, couleurs primaires se libérant de toutes parts, jusqu’à la folie. On pourrait parler pendant des heures de l’incroyable performance – au sens propre – d’Ami Tomite, qui se jette à corps et à cris dans son rôle, dans une prestation pulsionnelle presque zulawskienne. Sa façon d’être théorique sans jamais être désincarné fait offre un Anti-porno plein de chair et de douleur. Le décor de huis-clos, les quatre murs de cet appartement où l’héroïne ne cesse d’aller se cogner , c’est l’essence même de sa condition, sa prison. Une boîte. Forme et fond s’unissent alors pour un même  » where’s the exit » : pour un film qui n’a pas de fin au service d’un destin sans issue.
 (O.R)

img_antiporno2Anti-porno est à la fois un film de commande de la chaine japonaise Nikkatsu sur le roman porno ; un trip conceptuel évoquant l’AntiTeather de Fassbinder ; une bombe pop rappelant Araki cinéastes et photographes ; un brulot expérimental très germanique, louchant du côté des deux plus grands esthètes période 70-80 : Werner Schroeter et surtout, la trop injustement méconnue, Ulrike Ottinger ; un manifeste post-féministe tordu et sûrement d’autres choses encore.
Le film s’ouvre sur un plan large de la ville saturée de sirènes de police. Cut. Chambre éclairée aux bougies, silhouette d’une femme nue, la plantureuse Kyoko, dansant sur un air d’opéra. Parmi les ombres chinoises, celle de Schroeter n’est pas loin. La douceur surannée de la scène implose : feu d’artifice de couleurs : la même femme est allongée sur un lit de satin bleu électrique, dans sa chambre jaune, puis va –à tour de rôle – méditer, hurler, pisser, vomir dans ses toilettes rouge sang. Elle serait une « top model », une romancière renommée, une peintre recherchée ou/et une actrice ratée ? Une « it girl » très actuelle qui semble brasser sur du vide et fulmine quand on l’interviewe sur le thème de son prochain roman : Pourquoi y aurait-il un thème alors que la vie des gens n’a pas de thème ? Arrivée de son assistante austère et élègante, Nuriko, qui sera rapidement humiliée par sa patronne, et ne cachera pas son plaisir immense :  être une pute, tel est son crédo. Les jeux SM très Fassbinderiens du duo sont suivis avec gourmandise par un quatuor sur-sophistiqué : l’équipe féminine d’une forme de Vogue nippon, venue pour une shooting. Du shoot au shot, il n’y a qu’un pas: toutes se battent pour donner de leur sang à cette vamp air du temps. Une relecture 2.0 délicieusement jouissive des Larmes amères de Petra von Kant. Puis, les rôle semblent s’inverser : Kyoko serait une starlette godiche de seconde zone et Noriko, une actrice expérimentée et sûre d’elle ? Ou encore ?… On vous laisse découvrir les mille et une variations autour des jeux de role et de mise en abyme que propose ce film si inventif, si libre : une gageure pour une commande d’une chaine TV ! On ne se lasse pas de découvrir et de jouir de ce système de poupées russes ultra stylisées. Le chœur des femmes enroulées dans des sortes de draps noir, rouge et blanc, graffités sur des décors à l’identique rappelle la virtuosité esthétique du cinéma de l’allemande Ulrike Ottinger : Superbia, Madame X… : des armées de femmes sophistiquées dans des décors inouïs. Des scènes d’opéra comme chez le cousin germain, Werner ou le parent japonais. Jamais aucun film de Sono Sion n’aura autant convoqué l’Allemagne queer des 70s !… Hyper femme hystérique au possible, Kyoko est la femme fatale, la victime, la pute, la vierge, l’adolescente, la star, le Vide, le Chaos… (X.B)

TheLureThe Lure de Agnieszka Smoczyńska

A quoi rêvent les sirènes, et comment s’intègrent-t-elles parmi les humains ? C’est un peu la question à laquelle tente de répondre l’ambitieux premier long métrage de la réalisatrice polonaise Agnieszka Smoczyńska, The Lure exhibant fièrement son mélange des genres, comme on relève un défi. Fascinant sur beaucoup de points, The Lure a néanmoins les défauts de ses ambitions. La moins bonne idée de The Lure est l’argument qui interpelait pourtant le plus initialement, soit son aspect « comédie musicale », qui se révèle d’autant plus une erreur qu’elle-même est très hétéroclite, hésitant de manière plus ou moins heureuse entre le disco, le punk et la variété – à la fois dans son esthétique visuelle et dans ses choix musicaux. Les numéros s’avèrent musicalement et visuellement très inégaux, offrant tantôt de vrais moments oniriques et décalés singuliers d’autres fois des numéros de cabaret plutôt tocs. Ils viennent surtout méchamment briser le rythme du film et son essence même, celle d’un très envoûtant conte de fée cruel ou le mythe de la sirène se confond à celui du vampire. The Lure mêle le fantastique à la chronique sociale, en tentant de la faire cohabiter, intégrant la mythologie des sirènes au milieu noctambule des boites de nuits, avec ce soupçon d’excentricité bohême et rock à la Kaurismaki. On sent ce désir d’Agnieszka Smoczyńska de faire se rencontrer ce portrait d’une population noctambule et un peu nomade, un monde de perdants à l’imaginaire du conte. The Lure est superbe lorsqu’il privilégie la vision la plus dérangeante et la plus noire des sirènes, plonge en effet régulièrement avec bonheur dans le fusionnement du charnel et de l’épouvante, imposant parfois une atmosphère très sensuelle. Son fantastique du chaos et du foisonnement, entre féérie et morbide renvoie parfois à l’univers de Wojciech Has, en particulier dans le choix de certaines couleurs à la fois vertes et scintillantes. Ce sont des sirènes, pulsionnelles et animales, plus proche des vampires que de l’héroïne d’Andersen, confrontant primitivité et féminité. The Lure mérite d’être vu, pour l’étrange beauté qu’il impose parfois. Pour la découverte des sirènes seins nus, mais aux sexes effacés, avant que l’eau ne leur fasse pousser la queue. Pour une splendide séquence d’opération terrifiante et érotique où Srebrna sacrifiera sa part animale contre une autre moitié de femme. Ou pour une ultime étreinte amoureuse arrêtée dans l’hésitation entre dévorer l’être aimé ou s’effacer dans la douleur. Et puis pour ses deux magnifiques interprètes, dont Michalina Olszanska qui était déjà l’incroyable interprète du film tchèque Moi, Olga. Lorsqu’elle s’attarde réellement à l’installation de son imaginaire, qu’elle évoque la détresse amoureuse d’une sirène à tomber amoureuse, son désir de devenir humaine pour l’une ou de s’accrocher à sa nature sauvage pour l’autre, Agnieszka Smoczyńska laisse imaginer ce qu’aurait pu être The Lure en privilégiant l’unité au foisonnement des genres, vers une mélancolie fantastique qu’elle n’aurait jamais du abandonner. (O.R)

girl-asleep_poster_goldposter_com_2JOUR 2… teasing…
Girl Asleep de Rosemary Myers
O.R : Il faudra vous faire votre propre idée sur le film car la rédaction est partagée. J’ai trouvé ça gentillet et anodin, en mode excentricité- sous Wes Anderson et onirisme – sous Donnie Darko, et surtout je trouve le traitement de l’adolescence in fine très archétypique et illustratif dans la mise en avant de son « originalité » et de ses écarts imaginaires vintage. Mais Xanaé Bove, qui a aussi bon goût que moi, a trouvé le film d’une fraicheur émouvante et en est sortie avec un sourire radieux ! Ce sera d’ailleurs elle qui défendra le film sur Culturopoing. A vous de voir !

XB : Immense joie, plaisir coupable avoué: J’ai savouré Girl asleep comme si je dégustais un « psychocandy » comme diraient Jesus & mary Chain ». Dans un genre plus radical et absolument incontournable, excellent documentaire tant par son contenu que par sa forme sur « The Weather Underground », activistes américains qui explosent les conventions (et .. pas qu’elles!..) entre 1965 et 1975. Il passe encore ce samedi 10 à 14H30. Une page d’histoire

A VOIR:

Article à suivre pour ce cocktail-Molotov ou pas. Critique à 4 (petites ) mains de Girl Asleep, solitaire de Weather Underground et autres à suivre…

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A propos de Xanaé BOVE

A propos de Olivier ROSSIGNOT

1 comments

  1. Pierre

    Heula on se calme les adeptes de Sono Sion !!
    Content d’appendre qu’il faut que je creuse un peu Ottinger, je n’en suis qu’aux prémisses. J’en profite pour vous recommander en complément l’excellent « Weather underground » du grand Emile de Antonio, excellent film politique centré sur leur parole au moment où le groupe est menacé de disparition.

    Bon festival heureux duo de rédacteurs !

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