Resnais abordé sous l’angle de l’audace : la proposition intrigue, que l’on considère l’immense cinéaste comme une figure hiératique après laquelle le cinéma ne pouvait plus être le même (et dont la timidité vis-à-vis des médias a même été interprétée par certains comme de l’austérité, précise le documentaire) ou qu’on l’envisage davantage à la lumière de l’excentricité bonhomme du second pan de sa filmographie, d’autant plus que le parcours du réalisateur semble se scinder en deux recherches distinctes a priori difficiles à réunir sous un même épithète. En cela, l’entreprise de Pierre-Henri Gibert, infatigable portraitiste du Septième Art à qui l’on doit déjà des travaux sur Buñuel, Henri-Georges Clouzot ou encore David Lynch, n’est elle-même pas tout à fait exempte d’une certaine témérité. Il a toutefois pu s’appuyer – pour retracer, à travers le prisme d’un sagace décodage de sa quête profonde, la manière dont s’est déployé le geste unique de l’auteur de L’Année dernière à Marienbad et d’On connaît la chanson – sur des archives personnelles de Resnais pour beaucoup inédites jusque là (photos, carnets de notes, correspondance) qui éclairent l’ensemble de l' »aventure » (ainsi nous est-elle annoncée) de l’intérieur, d’une lumière chaleureuse et passionnée.
Le documentaire honore très gracieusement la proposition du portrait de cinéaste, c’est-à-dire que ce qu’il cherche à faire n’est pas raconter dans l’ordre sa vie son oeuvre, mais discerner la teneur même de son élan, d’une intégrité et d’une vitalité sans pareilles. Resnais, l’audacieux s’articule entièrement autour d’un raisonnement bien mené qui épouse finement les différents mouvements du parcours du cinéaste (dans l’ordre chronologique, certes, mais sans faire « défiler » systématiquement toute son oeuvre) et ne retient que les éléments biographiques les plus captivants, ceux qui permettent de mieux analyser le geste (celui, par exemple, de quelqu’un qui a fait « l’expérience de la différence très tôt », vite perçu que « l’essentiel est ailleurs », compris quelque chose sur le rôle de l’artiste quand Hitler et Mussolini ont mis au ban Mickey et Flash Gordon…). Les différents archives et témoignages réunis ici (certains extraits d’archives, comme celui de Marguerite Duras, qui loue sa méticulosité hors du commun comme une traduction de l' »attention extravagante, extraordinaire » qu’il portait au monde ; d’autres récents, ceux de ses collaborateurs – Jaoui, Bruno Podalydès, Pierre Arditi et André Dussollier – filmés par Gibert dans un théâtre) permettent petit à petit, avec une douce justesse, d’appréhender l’humanité sensible et fougueuse de Resnais et la manière dont elle a traversé ou plutôt porté son oeuvre des deux côtés du moment de « bascule » du début des années 1970, de la solennité et l’implacable recherche formelle de l’époque Marienbad/Hiroshima à l’exubérante fantaisie des films suivants. Il y a du désir dans le cinéma de Resnais (celui, formulé par le réalisateur lui-même, de « faire ressentir de l’émotion au spectateur », qu’il vive une « expérience », ou du désir tout court). Gibert a choisi le mot d’audace pour nous montrer ce cinéma toujours en train de se faire, jusqu’au bout, et en rendre toute l’excitation, et il tient parole. Vous n’avez encore rien vu.
Durée : 53min
Diffusion sur ARTE le 12 septembre 2022, à 22h50
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