De Fabrice Blin l’on connaissait déjà son excellent documentaire Super 8 Madness !, présenté au Festival de Gérardmer en 2014. Une déclaration d’amour à ces bandes analogiques qui permirent à de nombreux passionnés de fantastique, de merveilleux et d’horreur de fixer dans une bobine toutes les histoires qu’ils avaient en tête. Un bel hommage, également, à la débrouille et au système D, aussi bien en termes de réalisation que de maquillages ou d’effets spéciaux, ou quand l’inventivité est la seule à même de pallier un budget oscillant entre plus que serré et inexistant.

C’est un réel plaisir de retrouver Fabrice Blin dix ans plus tard avec son premier long-métrage, La Chose derrière la Porte, jolie réussite qui a l’intelligence de miser sur la modestie et la qualité pour ficeler un film d’horreur mâtiné de folk horror, capable de faire de son budget modeste une force.

© Extralucid Films

Après une mystérieuse ouverture mettant une femme enceinte aux prises avec un danger surnaturel, nous découvrons Adèle, jeune paysanne acceptant difficilement de laisser son mari repartir après sa brève permission. Nous sommes en 1918 et Jean doit retourner se battre, lui promettant de revenir auprès d’elle. Mais Jean est tué au front, et Adèle poursuit sa vie à la ferme avec un goût de mort dans la bouche. Assaillie par la peine et la folie du monde extérieur, elle se lève en pleine nuit, son errance la menant jusqu’à un vieux grimoire enfoui près d’un arbre, qui lui laisse entrevoir la possibilité de faire revenir son Jean…

© Extralucid Films

En quelques scènes et grâce à une imagerie très travaillée (le générique du film présente parfaitement bien ce rite d’invocation lié à la terre et à la nature), le réalisateur nous fait adhérer à ce folklore capable de faire revenir un être cher, de convoquer des forces ancestrales défiant la mort, de donner une suite au cycle de la vie en faisant fi de l’au-delà. Las, le recours au rite exige bien plus qu’un peu de sang coulant d’une entaille à la main. Jean revient, certes, comme il l’avait promis, mais pour Adèle commence non pas une vie commune reprise là où elle s’était arrêtée, mais un combat contre un faux Jean, un époux duplice, dépossédé de lui-même.

© Extralucid Films

On pense aux Body Snatchers lorsqu’Adèle – amoureusement – libère Jean de sa cosse visqueuse pour le chérir à nouveau. Mais il lui faudra plusieurs rencontres, d’autres échanges, pour réaliser que Jean n’est plus et que cette copie est en fait dénuée de vie et de tout ce qui faisait son mari. Le nouveau Jean n’est pas agressif, pas intrusif, mais son mutisme dissimule plus qu’un traumatisme, et au cours d’un enchainement des séquences admirablement mené, Adèle n’aura de cesse, dans une extériorisation de plus grande de sa colère et de sa peine en forme d’acharnement, de détruire cet être qui tout en se régénérant à l’infini ne sera toujours qu’un mort-vivant. Le poignant parallèle avec les gueules cassées de la « Grande Guerre » traverse d’ailleurs le film comme une comète tragique, tandis que cette belle et éprouvante partie évoque avec force sensibilité le travail de deuil qui est l’un des sujets du film.

© Extralucid Films

Dans la mise en chair de ces visions, Fabrice Blin a trouvé un compagnon hors pair en la personne de David Scherer, qui réalise un travail d’effets spéciaux de maquillage absolument magnifique, qui renforce encore le propos du réalisateur et se révèle un régal pour les yeux, jusqu’à un final estomaquant de beauté. Poétique, tragique et organique, le destin d’Adèle clôt de fort belle manière un film au récit remarquable de fluidité, rendant hommage à ses modèles sans les copier, et porté par la sobriété et la justesse de ses deux interprètes principaux, Séverine Ferrer, que la foi dans ses aspirations rend à la fois forte et fragile, et David Doukhan, dont la forte présence et la corpulence cinématographique apportent au hiératisme et au silence de son personnage une profondeur assez émouvante, tous ces aspects contribuant à faire de La Chose derrière la Porte une vraie réussite dans le domaine du fantastique horrifique français, que l’on peut désormais découvrir grâce à l’éditeur Extralucid Films. Le fourreau cartonné est du plus bel effet, avec sa reprise de l’image phare du rite et sa proposition d’une affiche alternative (la première étant déjà très belle) et d’une illustration dessinée issue de l’une des scènes du film. Quant aux bonus, ils proposent, outre le making-of, de très intéressants entretiens avec le réalisateur, les interprètes, le responsable des effets spéciaux de maquillage susnommé et Raphaël Gesqua, le compositeur de la bande originale du film, par ailleurs très réussie. Enfin, le visionnage des trois courts-métrages de Fabrice Blin permet de s’approcher un peu plus de sa démarche. Un film et une édition plus que recommandables si vous aimez le mystère et les contes horrifiques.

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A propos de Audrey JEAMART

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