C’est l’une des tendances qui s’est le plus développé au cours des dernières éditions du Festival Lumière, la programmation d’avant-premières plus ou moins attendues, de films amenés à sortir en salles ou sur plateformes. Cette quatorzième édition en a été une nouvelle confirmation. Les nouveaux opus de Steven Spielberg, Alejandro González Iñárritu, James Gray, Jerzy Skolimowski, Guillermo Del Toro ou encore la dernière série de Nicolas Winding Refn, pour ne citer qu’eux, étaient au programme. Nous avons assisté à certaines de ces séances, sur lesquelles nous revenons à travers cette première partie de compte-rendu.

Bardo, fausse chronique de quelques vérités d’Alejandro González Iñárritu (Mexique, 2022)

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Bardo, fausse chronique de quelques vérités – Copyright Limbo Films, S. De R.L. de C.V. Courtesy of Netflix 2022

Révélé dès son coup d’essai, le puissant Amours Chiennes, Alejandro González Iñárritu, avec la complicité de son co-scénariste d’alors Guillermo Ariaga, s’est ensuite enfermé dans une formule progressivement déclinante jusqu’au pompeux et pénible Babel. Cela avant de commettre un sommet de misérabilisme opportuniste avec l’atroce Biutiful qui nous conduisit à ne plus attendre grand-chose du cinéaste. Pourtant, une demi-décennie d’absence et de possibles réflexions sur son art lui ont permis de revenir en force au milieu des années 2010 en signant consécutivement ses deux meilleurs films, Birdman et The Revenant, se plaçant ainsi comme un metteur en scène accompli et sûr de sa force. Multi récompensé et couronné de succès, le réalisateur mexicain s’est de nouveau fait discret, si l’on excepte Carne y Arena un court-métrage en réalité virtuel (qui lui a valu un nouvel Oscar) et une présidence du Jury à Cannes plébiscitée, puisqu’il fit sacrer Parasite de Bong Joon-ho. Six ans après son Western Survival et vingt-deux ans après Amours Chiennes, il est retourné sur ses terres natales, au Mexique, pour mettre en images Bardo, fausse chronique de quelques vérités, une autofiction à peine déguisée. Distribué par la plateforme Netflix, tourné en pellicule 65 mm, le parallèle avec l’un des chefs-d’œuvre de son compatriote Alfonso Cuarón, Roma, n’a pas tardé à brûler les lèvres des observateurs. Présenté en septembre dernier à la Mostra, le film est reparti bredouille du palmarès en plus des diviser les journalistes et spectateurs présents. Même son de cloche du côté de Telluride et San Sebastian dans les jours qui ont suivi. Loin d’être obtus sur ses positions, Iñárritu est repassé par la case montage afin d’affiner son septième long-métrage et le raccourcir sensiblement, de vingt-deux minutes. Avant une sortie mondiale, le 16 décembre prochain, cette nouvelle et définitive version était projetée en avant-première lors de la quatorzième édition du Festival Lumière, en présence du réalisateur, qui s’est ensuite prêté à un échange avec le public venu massivement à sa rencontre. Silverio (Daniel Giménez Cachio), journaliste et documentariste mexicain réputé vivant à Los Angeles, doit recevoir un prix international prestigieux, celui-ci rentre dans son pays d’origine, sans savoir que ce simple voyage va le confronter à une terrible crise existentielle. Ses souvenirs et ses angoisses resurgissent à cette occasion jusqu’à l’obséder et à le plonger dans un état de confusion et d’émerveillement. Avec émotion et humour, Silverio affronte des questions à la fois universelles et intimes sur l’identité, la réussite, la mortalité, l’histoire du Mexique et les liens profonds qui le rattachent à sa femme et à ses enfants. En d’autres termes, à la raison même d’être de l’espèce humaine en ces temps si particuliers…

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Bardo, fausse chronique de quelques vérités – Copyright Limbo Films, S. De R.L. de C.V. Courtesy of Netflix 2022

Bardo, fausse chronique de quelques vérités confirme dès ses premières secondes la mue opérée par Alejandro González Iñárritu depuis Birdman et The Revenant, passé du statut de commentateur moralisateur et contestable du monde à celui de formaliste souverain. Il hisse désormais l’expérience cinématographique au-dessus des considérations analytiques, sans pour autant délaisser une approche symbolique de l’image. Le plan-séquence inaugural, une ombre courant et sautant dans le désert, éblouit et interpelle. Un homme seul face au vide et à l’immensité fonce implicitement vers l’essentiel et l’existentiel. Note d’intention brève et précise, Iñárritu entend tomber le masque, parler de lui, de son art, de son pays et ses préoccupations politiques. Autre indice quant à la nature du long-métrage, la signification de la première partie de son titre (la seconde est assez explicite), Bardo est un terme tibétain qui fait référence au concept bouddhiste d’un état transitoire flottant, entre la mort et la renaissance. Iñárritu entend nous faire pénétrer dans son intimité par le biais d’un alter ego à la ressemblance troublante et un prisme onirique, empreint de fantasmagorie, où la réalité sera régulièrement déformée et interprétée à des fins poétiques et sensorielles. Il opte pour une narration déstructurée accentuée par montage hermétique et cryptique qu’il faut prendre le temps d’appréhender, au sein duquel l’allégorie et l’hyperbole priment sur la linéarité des péripéties, la sensation précède le sens en plus de chercher à l’étoffer, le densifier. Une volonté de cinéma total salutaire qui ne convainc que partiellement ou du moins par intermittence. C’est d’abord l’impression de trop-plein qui domine, entre visions fulgurantes (fruits du travail somptueux de Darius Khondji qui prend brillamment la relève d’Emmanuel Lubezki) et démonstration de force ostentatoires (dont la vulgarité sans recul rappelle au Sorrentino des mauvais jours, celui de Youth), comme si le cinéaste ne savait pas exactement sur quel pied danser ou plutôt se refusait à affronter son réel sujet : lui-même. Frénésie des images, tour à tour clinquantes et sidérantes, le film épuise tout en nous maintenant extérieur au parcours de son héros, les prouesses formelles ayant tendance à tenir le spectateur à distance. De plus, le réalisateur qui s’essaie pour la première fois de sa carrière à des pures scènes de comédie, oscillant entre le grotesque et le potache, provoque davantage la gêne que l’hilarité, celles-ci se greffant très hasardeusement au sérieux général. Longtemps, Bardo, fausse chronique de quelques vérités nous partage entre le sabordage insuffisamment volontaire et l’exercice d’autosatisfaction narcissique. Une séquence de discussion où son alter-ego à l’écran est violemment pris à partie, donne à entendre un florilège de reproches qui pourraient parfaitement se prêter à son long-métrage. L’ambiguïté est de mise, est-ce une pirouette hypocrite visant à se prémunir des critiques inévitables qui l’attendent, ou une lucidité totale quant à l’entreprise à laquelle il se livre ? Réponse indécise, si l’on ne saurait louer ce « Iñarritu Best-of littéral » superficiel à bien des égards (les échos et clins d’œil à ses précédentes réalisations ne font l’objet d’aucun approfondissement véritable), c’est paradoxalement dans l’épure et la sobriété qu’il parvient à nous intéresser en route et progressivement nous cueillir.

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Bardo, fausse chronique de quelques vérités – Copyright Limbo Films, S. De R.L. de C.V. Courtesy of Netflix 2022

Un banal dialogue entre un père et son fils dénué d’afféterie, une conversation à bâton rompu rendue captivante par sa simplicité inédite, vient ouvrir de nouvelles perspectives. Elle amorce un point de bascule du long-métrage vers une seconde partie autrement plus fascinante. Plus concis, moins déséquilibré, Iñarritu tend, en dépit de quelques réminiscences de ses tares précédemment évoquées, à resserrer son propos, recentrer ses enjeux autour de deux grands axes, la redécouverte du Mexique et la réconciliation familiale. Il s’éloigne ainsi de l’autofiction égocentrique pour (enfin) toucher à quelque chose d’universel et laisser affleurer une sensibilité sans artifices. Dès lors, la sophistication formelle assurément virtuose dans son exécution, que les détracteurs n’auront aucun mal à qualifier d’emphase ou d’esbroufe, finit par emporter la mise. Une sensation de vertige s’établit entre des problématiques « simples », intelligibles, et un regard attestant de la surpuissance du septième art, usant de prouesses techniques stupéfiantes, pour donner à contempler l’essentiel : un échange au bord d’une piscine, une marche solitaire dans les rues de Mexico… Autant d’images démentes qui impriment durablement la rétine et nous émeuvent d’un même geste. Comme d’autres avant lui, le cinéaste panse ses plaies par la fiction, se soigne, en même temps qu’il nous émerveille, registre dans lequel il s’avère autrement plus impressionnant, que dans l’introspection sentencieuse, la pseudo philosophie mystique ou le pensum politique. Le changement de paradigme constaté sur Birdman et The Revenant, allait finalement déjà dans ce sens, en allégeant narrativement son cinéma, Alejandro González Iñárritu a pris une envergure insoupçonnée, délaissant la démonstration pour l’expérience visuelle et sonore, transcendant ses matériaux par ses talents de mises en scène hors normes. Pour le meilleur et pour le pire, Bardo, fausse chronique de quelques vérités constitue une œuvre somme, mêlant les différentes facettes de son travail, des plus irritantes aux plus étourdissantes. Insupportable et sublime, ce septième long-métrage ne réconciliera pas réfractaires et laudateurs, en revanche, il rappelle le caractère profondément inégal de la filmographie d’un artiste néanmoins majeur. Accessoirement, une fois n’est pas coutume (Okja et Da 5 Bloods pour ne citer qu’eux souffraient du même mal), les pleins pouvoirs manifestement accordés au réalisateur par Netflix ne sont pas synonymes d’épanouissement, ils occasionnent surtout un film en roue libre qui aurait certainement bénéficié de davantage d’encadrement créatif. (V.N.)

Disponible sur Netflix dès le 16 décembre

The Wonder de Sebastián Lelio (USA / Royaume-Uni, 2022)

The Wonder – Copyright Christopher Barr/Netflix

Révélé sur la scène internationale avec Une Femme fantastique, son sixième long-métrage qui remporta l’Oscar du Meilleur Film en langue étrangère en 2017, le Chilien Sebastián Lelio poursuit depuis sa carrière aux États-Unis. Une évolution jusque-là en demi-teinte, entre un drame maîtrisé mais trop sage (Désobéissance) et un auto-remake dispensable (Gloria Bell, relecture américaine de Gloria, sorti en 2013), qui semble avoir refroidi l’engouement autour du cinéaste. Comme beaucoup de réalisateurs attirés par les sirènes hollywoodiennes, il paraît trop étriqué dans des conventions de studios qui ne lui permettent pas de s’épanouir pleinement et ses nouveaux projets ne génèrent qu’une excitation relative. C’est sur Netflix qu’il trouve asile en signant l’adaptation d’un roman d’Emma Donoghue (autrice de Room, transposé au cinéma en 2015) qu’il mène aux côtés d’Alice Birch, à la plume sur la série Succession ainsi que sur l’excellent et méconnu The Young Lady, déjà avec Florence Pugh. L’actrice britannique incarne ici Lib Wright, une infirmière anglaise appelée dans la campagne irlandaise par une communauté dévote pour passer quinze jours au chevet de l’une des leurs, Anna O’Donnell (Kíla Lord Cassidy). La jeune fille de onze ans prétend ne rien avoir mangé pendant quatre mois et avoir survécu par miracle à force de prières. Dans cette société croyante de la fin du XIXème siècle, la recherche de vérité de la jeune femme terre-à-terre ne peut que bousculer les mœurs. Venu au Festival Lumière pour présenter ce nouveau film, le metteur en scène en a profité pour échanger chaleureusement avec le public lyonnais à propos de sa vision du septième art et de son rapport à la foi, quelle qu’elle soit.

The Wonder – Copyright Christopher Barr/Netflix

The Wonder s’articule entièrement autour de la question de la croyance. Religieuse tout d’abord, à travers la peinture de cette région d’Irlande engluée dans un obscurantisme mortifère alors qu’elle vient de connaître la tragédie de la Grande Famine. Le poids de l’Église, écho, du propre aveu du réalisateur, à son très pieux Chili natal, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée de cette femme qui n’aborde la mort que par son versant le plus cartésien. Infirmière de retour du front de Crimée, Lib, incarnée par la toujours excellente Florence Pugh, va se heurter aux institutions dogmatiques dirigées par des hommes. Une figure féminine forte qui s’oppose aux carcans sociétaux et rappelle au bon souvenir des films antérieurs de Lelio, de l’héroïne trans d’Une Femme fantastique, à la quinquagénaire libre de Gloria, en passant par les deux amantes luttant contre les pressions de leur milieu juif orthodoxe dans Désobéissance. Le film traite de la foi comme d’une pensée magique à même de redonner espoir (les États-Unis ou l’Australie, nations encore en construction perçues comme des eldorados utopiques) ou servant à cacher voire à exorciser une vérité abjecte sous un vernis de fiction. Car la révélation du récit ne viendra pas de la supercherie qui sous-tend, ou pas, le miracle de la survie d’Anna (Kíla Lord Cassidy, révélation à suivre) mais du terrible secret que cette affaire sert à dissimuler. Tout le monde a besoin de croire, qu’il le veuille ou non. Chacun des personnages possède ses propres superstitions, ses histoires enfantines, ses incantations, voire ses rituels (les scènes de prise de laudanum ravivant les blessures du passé de la protagoniste) qui leur permettent de supporter la réalité. Cette croyance, c’est également celle que l’on place dans le pouvoir de la fiction, et a fortiori, du cinéma, que le réalisateur illustre d’une très belle manière à travers l’image du thaumatrope (également au cœur de Sleepy Hollow de Tim Burton, diffusé à l’occasion du festival). Dans ces conditions, pourquoi Lelio choisit-il de ne pas faire confiance à sa mise en scène pour plonger le spectateur dans son récit, et opte pour une introduction et une conclusion en forme de mise en abyme ? Certes, montrer à quel point cette intrigue est intemporelle et pourrait tout aussi bien se passer de nos jours est louable, mais le recours à une narratrice omnisciente (Niamh Algar, aperçue dans la série Raised by Wolves) relève plus du gimmick artificiel et hésitant, que de la véritable réflexion méta.

The Wonder – Copyright Christopher Barr/Netflix

Ce bémol mis à part, The Wonder frappe par la puissance évocatrice de ses images. Constamment à la frontière du surnaturel, sentiment renforcé par l’anxiogène bande-originale de Matthew Herbert (compositeur attitré de Lelio depuis Une Femme fantastique), le film se mue en une histoire de fantômes allégoriques, sous forte inspiration de la littérature gothique. Oscillant entre intérieurs en clair-obscur et paysages brumeux évoquant un no man’s land spectral, la photo d’Ari Wegner multiplie les partis pris discrets mais audacieux. La talentueuse chef opératrice de The Power of the Dog, The Young Lady ou In Fabric, parvient à matérialiser le trouble, en fondant par exemple la silhouette d’Anna allongée, dans une chaîne de montagnes qui domine le panorama traversé par Lib. Une image fugace, presque imperceptible, qui accentue davantage la sensation d’un long-métrage hanté, fantastique. Dès lors, comment savoir où commence le rêve et où s’arrête la réalité ? Les deux se mêlent, se contaminent, bouleversent les croyances et les certitudes des uns et des autres. De discrets travellings avant isolent les personnages, renforçant ainsi la claustrophobie dans cette maison perdue au milieu de nulle part. Enfin, les nombreuses scènes de repas solitaires finissent de lier l’héroïne à sa jeune patiente dans un effet de miroir. Une dualité qui fascine le cinéaste et qui trouve ici, une superbe illustration. La science et la foi, le cartésianisme et l’imaginaire, finissent par se confronter jusqu’à une ultime séquence où les frontières sont définitivement brouillées, laissant le spectateur choisir ce qu’il préfère y voir, comme le sous-entend le superflu dernier monologue de la narratrice. S’il n’est pas exempt de défauts, et qu’il gagnerait à appliquer sa profession de foi dans la force du mythe, à sa seule mise en scène, The Wonder demeure un long-métrage formellement superbe et hypnotique, qui marque un certain retour en grâce pour son auteur. (J-F.D.)

Disponible sur Netflix dès le 16 novembre

The Fabelmans de Steven Spielberg (USA, 2022)

The Fabelmans – Copyright Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

Peu de cinéastes peuvent prétendre à une popularité comme celle dont jouit Steven Spielberg. Du Nouvel Hollywood aux premiers pas du blockbuster, des trucages bricolés à la révolution des effets numérique, du grand spectacle à l’introspection, il infuse notre imaginaire depuis cinquante ans. Pour bon nombre de spectateurs de la génération Y (dont fait partie l’auteur de ces lignes), son œuvre fut une porte d’entrée vers le septième art, que ce soit par ses propres mises en scène, ou son activité de producteur via sa société Amblin (Gremlins, Retour vers le futur). Que l’on préfère une période de son œuvre à une autre, que l’on soit plus touché par son approche du merveilleux durant les 80’s (E.T., les Indiana Jones) ou par son désenchantement post 11 septembre (La Guerre des mondes, Munich), il demeure un storyteller de génie, et une figure majeure de l’industrie hollywoodienne. Il est ainsi parvenu à concilier la plupart des cinéphiles exigeants (n’écoutons pas les esprits grincheux, qui se font de plus en plus rares au fil des années) et le grand public. Peu importe ses ratés et ses faux-pas – inévitables dans une filmographie aussi riche -, chacun de ses nouveaux projets continue de provoquer l’excitation. Lorsqu’il annonce la mise en chantier d’un film centré sur sa propre jeunesse, pointe en creux la volonté d’un bilan qui ne peut qu’aiguiser la curiosité. Coécrit par le réalisateur lui-même (une première depuis A.I. Intelligence artificielle) et son fidèle scénariste Tony Kushner (Lincoln, West Side Story), le long-métrage narre donc la découverte par le jeune Sammy Fabelman (Gabriel LaBelle), double « fictionnel » de Spielberg, de sa passion pour le cinéma et à quel point celle-ci va influer sur sa famille dysfonctionnelle. Véritable triomphe lors de sa présentation au Festival de Toronto en septembre dernier, The Fabelmans fut ajouté en dernière minute et par surprise à la programmation de cette édition du Festival Lumière. Une avant-première qui fit salle comble, et écopa d’une standing ovation qui se poursuivit pendant toute la durée du générique de fin. Trois mois avant sa sortie sur les écrans français, que vaut ce nouvel opus tant attendu ?

The Fabelmans – Copyright Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

Sous des atours de récit autobiographique et initiatique, le film permet à son réalisateur de faire le point sur les thématiques qui ont toujours sous-tendu son œuvre. Projet de longue date, sa sœur Anne, scénariste de Big mais aussi de l’un des premiers courts métrages de Steven Spielberg, Escape to Nowhere, devait écrire un premier jet en 1999. Le moment n’était alors probablement pas venu pour ce dernier de se pencher d’une manière aussi intime sur sa jeunesse. Le long-métrage prend la forme d’une chronique adolescente (comme le fut Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson), allant même, par moments, braconner sur les terres d’American Graffiti de son ami George Lucas. Les mois et les années s’enchaînent sous nos yeux grâce au fantastique travail de montage du fidèle Michael Kahn et de Sarah Broshar, sa collaboratrice depuis Pentagon Papers. Lors de transitions fluides et inventives, le spectateur se retrouve propulsé dans les affres de la vie d’un teenager issu du baby boom, entre premiers amours et racisme banalisé. Sans être hermétique ou autocentré, The Fabelmans plonge au cœur de cette famille nourrie par la publicité, pur produit de l’Amérique triomphante des années 50. Les parents Spielberg divorcèrent en 1964 lorsque Steven avait 18 ans. Un traumatisme qui parcourt toute sa filmographie, souvent à charge contre la figure du père, probable écho au ressenti du cinéaste qui reprocha longtemps au sien de l’avoir abandonné. Qu’ils soient absents (E.T.), sévères (Indiana Jones et la dernière croisade), ou capables de tout quitter pour partir à l’aventure et explorer l’inconnu (Rencontres du troisième type), ceux-ci héritent toujours du mauvais rôle. Les mères, à l’inverse, sont courageuses, fortes, et portent l’éducation des enfants à bout de bras. Une constante qui durera jusqu’au tout début des années 90 et Hook. C’est dans ce qui est probablement l’un des plus mauvais films de son auteur (ou l’un de ses moins bons, question de point de vue), que la bascule va s’opérer. Maladroit, trop rationnel, obsédé par son travail, Peter Banning a, pour la première fois, droit à une rédemption lorsqu’il retrouve son patronyme de Pan. Ici, Burt Fabelman (Paul Dano, tout en sobriété), suit le même parcours. Ingénieur en informatique très terre-à-terre, il prévoit même l’avènement des ordinateurs domestiques (préfiguration de la victoire de l’image de synthèse sur les effets pratiques dès Jurassic Park). Il se ment à lui-même et préfère se cacher la vérité sur la dislocation de la cellule familiale pourtant à l’œuvre. Face à lui, Mitzi, campée par une formidable Michelle Williams, avec qui le metteur en scène souhaitait absolument travailler depuis sa prestation dans Blue Valentine en 2010. Artiste dans l’âme, rêveuse, frustrée par sa vie de femme au foyer, son envie de liberté est perçue par le protagoniste comme de l’égoïsme. Première figure de mère « indigne » depuis Arrête-moi si tu peux, en apparences tout du moins, le récit dévoilant subtilement ses failles, ses regrets et son mal-être. Elle se révèle peu à peu touchante et provoque même les moments les plus drôles, à l’instar de ce running gag à propos de la vaisselle en carton ou l’arrivée inopinée d’un singe dans la maison. Aucune rancœur ne se dégage du film. Dans le privé, l’homme s’est rabiboché avec son père, depuis décédé en 2020, drame qui a probablement motivé la mise en production du projet. C’est apaisé qu’il décide d’ausculter son enfance. Une scène en particulier illustre l’opposition irréconciliable du couple. Au chevet d’une grand-mère moribonde, Mitzi entretient un lien organique, charnel, en tenant la main de cette dernière. Burt garde, quant à lui, les yeux rivés sur l’électrocardiogramme, ne percevant de la mort qu’un banal pixel sur un écran. Deux rapports différents que Sammy synthétise inconsciemment, fasciné par le pouls qui bat lentement sous la peau au rythme du bip électronique. Les deux facettes du cinéaste y sont synthétisées : un goût prononcé pour l’imaginaire, et un ancrage solide dans les réalités techniques et technologiques de son art.

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Depuis quelques années déjà, Steven Spielberg est entré dans une démarche d’hommage aux grands maîtres qui l’ont inspiré. Le Pont des espions reprenait la figure chère à Frank Capra de monsieur Tout-le-monde propulsé héros d’une affaire bien plus grande que lui, West Side Story réinterprétait la comédie musicale culte de Robert Wise, quant à Ready Player One, il rendait un superbe hommage au Shining de Stanley Kubrick. Ici, c’est John Ford qui se retrouve célébré comme « le plus grand cinéaste de l’histoire » à travers une anecdote que l’auteur de Duel a souvent évoquée et qu’il met ici en scène. Incarné par David Lynch, pour lequel cette description est peut-être adressée en filigrane, il donne des conseils au jeune Sammy, aboutissant à un ultime clin d’œil ludique. D’une manière plus autoréférencée, nombreux sont les renvois à la filmographie de Spielberg, de cette bande d’ados à vélo, préfiguration des gamins d’E.T. (depuis inlassablement repris par la vague de revival 80’s), à cette séquence de tornade filmée comme le tout premier monstre de la vie du réalisateur, bien avant les effrayants camions, requins ou autres T-Rex. Le tournage du court-métrage Escape to Nowhere (1961) est même dévoilé et avec lui son amour des effets spéciaux, non tel un gadget qui permet la démesure, mais comme un véritable outil. Des astuces qu’il réutilisera pour l’introduction d’Il faut sauver le soldat Ryan sont notamment expérimentées ici. Plus encore, c’est à cette occasion que l’apprenti metteur en scène théorise la fameuse « Spielberg Face ». Ce plan signature, que beaucoup ont essayé de copier, consiste à filmer le visage d’un personnage découvrant quelque chose d’extraordinaire hors-champ, avant de cadrer l’objet de son émerveillement ou de sa terreur. Le procédé est ici utilisé à un instant décisif, de la plus bouleversante des manières, se focalisant sur le regard de Michelle Williams de longues minutes durant. Une réflexion sur sa propre œuvre, loin de toute tentative d’autocélébration mais en décortiquant sa mécanique et sa grammaire. Lors de l’une des premières séquences, une mère s’approche d’une porte close d’où émane une étrange lumière et derrière laquelle son fils s’est cloîtré. Une image qui n’est pas sans rappeler l’un des moments les plus célèbres de Rencontres du troisième type. Ici, rien de surnaturel (quoique), ce dernier découvre ce qui constituera l’essentiel de sa vie : le cinéma. L’enfant a été « enlevé », pris dans les filets d’une force supérieure, aussi fascinante que terrifiante. Des formes de vie extraterrestre pour l’un, une passion dévorante pour l’autre. L’auteur se confie même sur sa difficulté à se livrer intimement, préférant, dans sa jeunesse, le pur divertissement, avant de se tourner vers des récits plus engagés (Empire du soleil, La Couleur pourpre) jusqu’à l’aboutissement et au triomphe du très personnel La Liste de Schindler. La question du judaïsme est d’ailleurs au cœur de l’un des points forts de The Fabelmans, à savoir ses dialogues. Étonnamment construit autour d’échanges verbaux, sans tomber dans le bavardage stérile, le long-métrage parvient, à travers quelques répliques cinglantes (« – Comment peut-on vivre sans Jésus ? – On le fait depuis 5000 ans et on s’en sort bien »), à aborder la question religieuse avec un certain humour. La foi du héros se situe pourtant ailleurs, dans des images animées et projetées sur un écran. Paradoxalement incapable de s’exprimer autrement qu’à travers ce qu’il filme (l’incommunicabilité est au centre du long-métrage), Sammy découvre qu’il peut également appréhender le monde à travers le septième art, loin de la perspicacité et de la compréhension des rapports humains affichés par sa sœur.

The Fabelmans – Copyright Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

Pour le jeune homme, seul le cinéma peut exprimer des émotions, dévoiler des vérités (magnifique scène entièrement muette, simplement accompagnée de notes de piano, peut-être l’une des plus belles de son auteur), voire révéler des personnalités. Celui qui ne comprend pas vraiment le monde qui l’entoure, ne songe qu’à figer des instants joyeux ou tragiques (telle la demande de divorce) à l’aide de sa caméra. Symboliquement, des trous creusés à même une pellicule (le film est tourné en 16 et 35mm) permettent à la lumière de passer. Peut-être moins immédiatement virtuose que son précédent West Side Story, The Fabelmans se plaît à décortiquer la force de la mise en scène, la puissance évocatrice des images. Ainsi, un premier dialogue avertit le héros, encore enfant, que l’expérience qu’il s’apprête à vivre pour la première fois dans une salle obscure pourrait bien changer sa vie. Une mise en garde qui ne tarde pas à se concrétiser devant une séance de Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. Demille, autre figure majeure vénérée par Spielberg. Car la passion n’est pas juste libératrice, elle contamine, obsède, voire détruit les individus. L’oncle Boris (excellent Judd Hirsch) l’avait pourtant prévenu. L’ancien artiste de cirque (évocation des racines foraines du cinématographe) parle de l’art comme d’un monstre qui exalte autant qu’il dévore. L’hommage à Rencontres du troisième type prend tout son sens. Le vaisseau alien qui emporte l’enfant est ici un projecteur Super-8 qui diffuse un film à même la paume de sa main. Le jeune Sammy / Steven choisit dès lors de ne plus exister qu’à travers son objectif, quitte à se perdre. Ce n’est pas tant de filmer qui l’importe mais de trouver l’angle de vue qui donnera tout sa force au plan. Le regard est essentiel dans le film. Ce sont les yeux de l’enfant qui font d’une simple maquette de train, une séquence spectaculaire, ou ceux de sa mère qui trahissent le désespoir auprès de son père et l’amour secret pour son amant. Le regard est le seul à même de saisir des moments de grâce, à les immortaliser, à l’instar de cette danse improvisée dans la lumière des phares. Voir, montrer, faire surgir les vérités dissimulées, comprendre l’autre à travers une caméra, un véritable credo et une profession de foi pour ce Steven Spielberg majeur. Un long-métrage intimiste et sublime, qui fuit l’enfermement égotique au profit de l’universel, probablement une pièce maîtresse dans une carrière d’une richesse miraculeuse. (J-F.D.)

Sorti en salles le 25 janvier 2023

Guillermo Del Toro’s Pinocchio de Guillermo Del Toro et Mark Gustafson (USA, 2022)

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Guillermo Del Toro’s Pinocchio – Copyright Netflix 2022

Protagoniste incontournable de cette année cinématographique 2022, Guillermo Del Toro a déjà frappé très fort au mois de janvier avec Nightmare Alley. En parallèle, comme d’autres de ses compatriotes (Alfonso Cuarón, Alejandro González Iñárritu), il a accepté de collaborer avec Netflix. Une association en deux temps, le premier correspond à la série anthologique Guillermo del Toro’s Cabinet of Curiosities, sur laquelle il officie en tant que créateur, producteur exécutif et scénariste de deux épisodes. Le second, ni plus ni moins qu’à un nouveau long-métrage, la concrétisation d’un rêve de longue date : Guillermo Del Toro’s Pinocchio. Deux titres « vendus » sur son nom qui témoignent de l’envergure prise par le cinéaste mexicain depuis le sacre de La Forme de l’eau, enfin (définitivement) reconnu à sa juste valeur. Double particularité de ce douzième film, il s’agit d’une coréalisation et il s’essaie pour la première fois au cinéma d’animation. Il n’est cependant pas totalement un néophyte en la matière, puisqu’il a par le passé officié en qualité de producteur délégué sur plusieurs Dreamworks tels que Kung Fu Panda 2 et 3, Le Chat Potté, Les Cinq Légendes mais aussi une entreprise plus modeste, La Légende de Manolo de Jorge R. Gutierrez. Il fait ici équipe avec Mark Gustafson, spécialiste du stop motion, qui fut notamment le directeur de l’animation sur Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson. Cette troisième adaptation de Pinocchio de Carlo Collodi en deux ans après celles de Matteo Garrone et Robert Zemeckis, n’a rien d’opportuniste dans la mesure où Del Toro l’évoque depuis de nombreuses années, il avait annoncé le projet dès 2008. La mise en scène est d’abord confiée à Gris Grimly, connu pour ses illustrations de romans graphiques tels que The Legend of Sleepy Hollow de Washington Irving ou Frankenstein, mais aussi une réédition des Aventures de Pinocchio dont les dessins ont inspiré le graphisme de cette nouvelle transposition filmique, déjà en binôme avec Mark Gustafson. En 2012, l’auteur du Labyrinthe de Pan remplace l’illustrateur, de nombreux rebondissements vont suivre, couplé à une volonté affirmée de mener l’affaire sans le moindre compromis, rallongeant sa gestation, jusqu’à l’entrée dans la boucle de Netflix et sa concrétisation définitive. Une coproduction au sein de laquelle s’associent The Jim Henson Company , ShadowMachine et sa propre structure Double Dare You Productions, qui réunit un prestigieux casting vocal : Ewan McGregor, Ron Perlman, Tilda Swinton, Christoph Waltz, Cate Blanchett ou encore John Turturro. « Je veux vous raconter une histoire. Une histoire que vous croyez connaître, mais que vous ne connaissez pas. Pas vraiment. Vous voyez, moi, Sebastian J. Cricket, j’étais là. En fait, je vivais, je vivais vraiment dans le cœur du garçon en bois. » Ainsi, par la voix d’un insecte, commence l’histoire du menuisier Geppetto, qui ayant sculpté un petit garçon en bois, découvrit un matin que celui-ci avait pris vie, rêvait de découvrir le monde et de devenir humain…

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Guillermo Del Toro’s Pinocchio – Copyright Netflix 2022

Une histoire que vous croyez connaître, mais que vous ne connaissez pas, telle est la promesse inaugurale explicitement formulée. Si Matteo Garrone cherchait à ressusciter l’idée d’un grand spectacle populaire purement transalpin et que Robert Zemeckis s’est mis en retrait pour proposer un copié/collé du dessin animé Disney, Guillermo Del Toro ouvre quant à lui une autre voie. Transposées au temps du fascisme italien, Les Aventures de Pinocchio s’inscrivent d’emblée dans une filiation avec L’échine du Diable (la guerre civile espagnole) et du Labyrinthe de Pan (le franquisme) où le conte de fées est mis à l’épreuve du réel et plus particulièrement des heures sombres de l’Histoire. La différence ici, étant que la trame préexiste au cinéaste mexicain, qui en propose une adaptation à la fois fidèle et très personnelle, en plus de constituer son œuvre la plus la plus accessible au grand public. Un prologue déchirant ouvre Guillermo’s Del Toro Pinocchio, comme un court-métrage inclus au sein d’un projet plus vaste, cette introduction marquée par le deuil et la perte d’un être cher, rappelle l’incroyable intensité émotionnelle du début de Là-Haut de Pete Doctor. Principal ajout au texte original de Carlo Collodi, cet épisode place immédiatement le récit sous l’angle de la douleur et de la gravité mais aussi d’un ancrage partiellement réaliste, à l’intérieur duquel Del Toro va progressivement inviter le fantastique. En dépit du drame terrible qui survient, la recherche de l’extraordinaire dans un contexte historique, chaotique, est déjà palpable, à l’image de cette séquence dans l’Église, jouant sur le contraste entre le regard émerveillé de l’enfant et celui d’une bombe s’écrasant. Le réel et le merveilleux cohabitent, se confrontent, le cinéaste laisse toujours de l’espace pour la seconde notion, intimement convaincu qu’elle est salvatrice. Peinture d’une époque âpre et intolérante, ne laissant aucune place aux marginaux, regardés avec crainte et méfiance. La place de la religion (dans la continuité de critiques perceptibles sur Nightmare Alley) allié tacite du fascisme, appuie une vision binaire du monde alors dominante, les êtres différents sont de possibles envoyés du mal, des créatures maléfiques à éradiquer ou dans le meilleur des cas à dompter par la force et l’autorité. Il convient de prêter allégeance, montrer patte blanche afin de se fondre dans le moule, se renier pour avoir le simple droit d’exister. Le parcours de Pinocchio en est l’illustration, il doit aller s’instruire à l’école s’il veut espérer devenir un petit garçon comme les autres. Ce personnage hors normes ayant miraculeusement pris vie, est d’abord rejeté de tous, y compris par son père Gepetto qui n’arrive pas à l’accepter, incapable de faire le deuil de son fils biologique. Innocent et naïf, il se transforme à ses dépens en objet de convoitise par des individualités malfaisantes, conscientes qu’il pourrait leur permettre d’arriver à leurs fins. Un forain aux dents longues le manipule dans l’espoir d’en faire l’attraction centrale de son spectacle de cirque (univers également dépeint dans Nightmare Alley sur un autre mode) pour ainsi se refaire une santé financière tandis que son apparente immortalité attire l’attention d’un militaire, persuadé qu’il peut servir la cause guerrière du régime fasciste de Mussolini. Avec une étonnante limpidité, cette histoire déjà connue à force d’adaptations, trouve alors un écho et un sens nouveaux, sans jamais trahir sa substance originelle.

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Guillermo Del Toro’s Pinocchio – Copyright Netflix 2022

« Enfant, je me sentais proche du personnage de Pinocchio », expliquait le réalisateur en 2018. « Non pas tant le bon garçon obéissant. Ce qui m’intéressait c’était de savoir si Pinocchio pouvait être aimé en étant lui-même. Doit-il se transformer en vrai garçon pour être aimé ? Pourquoi ne peut-il pas être aimé exactement comme il est ? Pourquoi ne pouvons-nous pas être les enfants imparfaits de parents aimants ? La beauté de Pinocchio pour moi est qu’il n’est pas une créature parfaite. C’est un enfant très difficile. Il ressemble beaucoup [au monstre de] Frankenstein : c’est une créature créée par des moyens contre nature par un père dont il s’éloigne et qui doit apprendre le fonctionnement du monde par l’échec, la douleur et la solitude. ». Résolument sombre et macabre, Guillermo’s Del Toro Pinocchio n’en demeure pas moins saisissant de beauté et fréquemment aéré par des numéros chantés tour à tour émouvants ou hilarants (la chanson à forte teneur scatologique injuriant le dictateur italien laissera des traces). Guillermo Del Toro avec la complicité de Mark Gustafson, s’écarte d’une animation lisse pour réinventer en trois dimensions les dessins de Gris Grimley dans un stop motion techniquement à la pointe tout en suintant l’artisanat. Un métrage également humanisé par les différents acteurs et actrices qui prêtent leurs talents vocaux, mention particulière pour la douceur de la voix d’Ewan McGregor, en narrateur servant parfaitement les facultés de conteur hors pair du metteur en scène. Le regard profondément humain et empathique de ce dernier se montre (une fois n’est pas coutume) bouleversant, tant par son intelligence et son refus de la facilité, que sa capacité à surprendre comme lorsqu’il révèle in fine la bonté enfouie d’un singe (Spazzatura) jusque-là cruel et malmené. Récit initiatique retravaillant plusieurs de ses thèmes chers (la nécessité de trouver une famille, le prix de la vie, la valeur du temps, les « monstres » humanisés confronté à la monstruosité humaine) sous une forme nouvelle, ce Pinocchio ouvre une lecture doublement intime. Ce texte qu’il a découvert dès son plus jeune âge, contant la naissance d’une créature fictive miraculeusement devenue vivante, peut apparaître telle l’essence de son art, l’une des origines de sa vocation. Dans le même temps, le choix d’une technique d’animation en volume vieille de plus d’un siècle, soit l’un des « trucages » fondamentaux du cinéma pour retranscrire cette histoire, induit un désir de rejoindre les pionniers, les premiers inventeurs, et se rappeler à leurs découvertes dans une optique de transmission. En résumé, c’est tout simplement magnifique. (V.N.)

Disponible sur Netflix dès le 9 décembre

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