De toute la sélection de la 29è édition de l’Etrange Festival, Moon Garden fut sans doute l’une des réalisations les plus bouleversantes dans son étrangeté et l’émotion qu’elle suscite. La mère de la petite Emma décide de la réveiller en pleine nuit en lui promettant une virée nocturne merveilleuse. Mi-terrifiée mi-émerveillée, la petite fille se laisse installer dans la voiture, serrant fort son doudou contre elle, les yeux à moitié clos et le cœur battant. Alors que la voiture démarre, sous les exclamations un peu trop enthousiastes de sa mère, son mari surgit, interrompant le délire, dans un brusque retour à la réalité —réalité d’une famille instable, dans le chaos d’un couple qui se délite dans une violence sourde. Emma joue seule dans les escaliers, s’inventant des univers merveilleux avec des petites figurines et son imagination d’enfant. Chaque soir, les murs grondent, les lumières crépitent, et des vibrations murmurent dans sa chambre. Chaque nuit, lorsque la nuit vient, la tempête des parents éclate, et Emma est pétrifiée de terreur. Jusqu’au soir où, la tempête est trop forte, et la petite fille se débat : c’est le drame. Dans sa chute, elle plonge dans un profond coma, dont personne ne pourra prédire le réveil.
Moon Garden fonde alors un univers noir, mystérieux et onirique, où l’obscurité règne, habitée par la peur. La petite Emma navigue entre les ronces, ses souvenirs, et fuit un monstre à la tête vide en plongeant dans un puits, comme une Alice dans la noirceur et un tunnel peuplé de frayeurs. Tourné avec une pellicule de photos recyclées, le film de Ryan Stevens Harris se teinte d’une esthétique où le noir paraît humide, suintant, et où les lumières donnent un côté Blade Runner. Au milieu de son périple, Emma rencontre un musicien jouant quelques accords carillonnants et stridulants, qui lui indique d’aller toujours « vers le haut ». Depuis la réalité des parents dans la tourmente, dans un hôpital glacial que la petite aperçoit à travers des vitres, leur implorant de ne pas pleurer, un haut-parleur portatif grésille au gré de la voix de sa mère : Emma en est persuadée, elle veut retrouver vers la vie — si affligeante soit-elle.
En s’immergeant dans un souvenir où on lui demandait d’imaginer son « jour parfait », elle répond « Mes parents seraient très, très heureux ». Ryan Stevens Harris infuse ses images d’une profonde mélancolie, teinté de l’espoir merveilleux de l’enfance. Au milieu de séquences terrifiantes de courses-poursuites avec la mort, monstre de néant, une infinie poésie se dégage de ces rencontres solitaires et obscures, de ces larmes qui gouttent et emplissent cet univers funeste. Une image convoque à merveille l’immensité de cet entre-deux-mondes : Emma qui referme une porte derrière elle, se retrouvant alors face à un désert nocturne que le vide imprègne de sa lueur. Moon Garden se déploie comme une poésie d’un monde féerique que la noirceur inonde comme une lancinante symphonie, où les souvenirs et les rêves s’entremêlent dans un chagrin coloré d’espoir. L’un des plus beaux films du festival.
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