30e Étrange Festival www.etrangefestival.com

La voilà, la 30e édition de L’Étrange Festival ! Du courage, il en a fallu sacrément jusque-là pour continuer à proposer des films autres, des formes hybrides, des personnages non-communs, des pépites du passé et les nouveaux talents de demain. Après une soirée d’ouverture avec les on-ne-peut-plus dissymétriques Sanatorium under the Sign of the Hourglass et Kill, les deux jours suivants de la Compétition internationale ne se sont pas gênés pour donner un coup de pied dans la fourmilière de la représentation du cinéma de genre. En route pour Hong-Kong, la Corée du Sud et le Japon, où les fantômes ne sont pas toujours ceux qu’on croit…

Peg o’ My Heart – Copyright L’Etrange Festival

Peg o’ My Heart invite à la bizarrerie dès le générique. Une fillette fait de la balançoire dans une geôle décrépite, au-dessus de flaques de sang, alors qu’une poupée à taille plus qu’humaine assiste à la scène et semble vouloir troubler la fête. Cette vision, comme toutes les suivantes, à différents degrés de (sur)réalisme trash, grâce à une expérimentation formelle assez bluffante des rêves, peuple la mise en scène de Nick Cheung comme des images subliminales pour aider à comprendre la psyché des personnages. Il faut dire qu’entre le docteur Man, psychiatre rompu aux cas difficiles, et Choi, chauffeur de taxi dont le sommeil permanent met en péril ses passager, les traumas du passé ont bien fait leur chemin. Le grand attrait de ces parenthèses cauchemardesques – qui digère de nombreuses sagas d’horreur, telles que Ring ou Insidious – est justement d’intégrer de nouveaux éléments de l’intrigue alors que le patient tente de recouvrir la mémoire sur ce qui fait de son existence présente une errance. Le médecin commence à son tour à trouver dans ses songes des bribes de vécu de Choi. C‘est dans une savoureuse confusion mentale un peu lynchienne qu’avance le film.

On peut également saluer un talent d’écriture en cadavre exquis, qui enchaîne des scènes (pas toute utiles de prime abord) sans forcément de logique directe, ainsi que des longueurs sciemment infusées, pour pouvoir trier soi-même ce qui importe ou non au fil de l’intrigue. L’assistante de Man cherche-t-elle juste son attention ou est-ce une amitié sincère ? Ce personnage secondaire qui sait lire dans les rêves est-il responsable des révélations qui s’offrent à Man et à Choi ? Le réalisateur et co-scénariste Nick Cheung cherche malicieusement à inonder Peg o’ My Heart d’indices et de chausse-trappes, même si la deuxième partie s’avère de facture plus classique, avec son lot d’explications (partielles), et ses face-à-face médecin-patient. Mais ce Hong Kong filmé d’en haut, selon le tracé de ses rues, ou au ras du sol, dans des locaux et appartements à la lumière blafarde, symbolise aussi les extrema du cerveau : un lieu ordonné où se rangent les souvenirs, autant qu’un dépôt sauvage de regrets et de frustrations, matière première d’un film conscient de son inconscience.

Exhuma – Copyright The Jokers Films

Les rituels chamaniques coréens et le passé colonial du Japon (en Corée) se retrouvent en filigrane original d’Exhuma, de Jang Jae-Hyeon. Lorsqu’un bébé est menacé par une malédiction familiale héréditaire, une équipe de chamans et géomanciens est appelée à la rescousse pour revenir à l’origine du mal : une tombe au milieu de nulle part, à déplacer pour rendre l’âme du défunt en paix. Et comme d’habitude, rien ne se passe comme prévu. Un esprit maléfique s’enfuit, laissant la place à d’autres forces plus terribles encore… Le film joue à fond la carte du folklore pour arriver à ses fins. De ce fait, les scènes de chamanisme vont droit au but, dans la fureur, la transe et le bruit, dans le mouvement et la puissance des corps, dans la mise en espace des éléments réunis. Malheureusement, le film s’enfonce dans du blabla encombrant – pour un résultat abusif de 2h14 –, et cesse de laisser planer le mystère autour de la terreur que peuvent inspirer ces spectres dans la culture coréenne. La construction en six chapitres témoigne d’une louable méthodologie de scénario, mais les péripéties trop prévisibles et la critique à la truelle de l’annexion de la Corée par le Japon enfoncent le long-métrage dans une torpeur insoluble. Le fantôme ultime et allégorie de la confrontation avec le passé, censé glacer d’effroi, pourrait être tout droit sorti d’un nanar dur à assumer, ce qu’Exhuma n’est pas. Il se ferme juste de lui-même les portes qu’il avait ouvertes, malgré la puissance de son postulat de départ.

House of Sayuri – Copyright L’Etrange Festival

Les fantômes de House of Sayuri sont quant à eux bien imprégnés de tradition japonaise : aussi bien solides que gazeux, visibles par des happy few (principalement des personnes âgées et des jeunes collégiens intelligents) et bien décidés à garder leur territoire. Dix ans après un tragique incident, une maison accueille comme nouveaux habitants une famille de trois enfants, deux parents et trois grands-parents. Il ne fait aucun doute que la maison est hantée. Or, une fois les habituels ombres et bruits suspects placés en norme, l’étape suivante est le contrôle des êtres sous ce même toit pour qu’ils s’entretuent. Kôji Shiraishi possède une arme de taille : la rupture de ton. Car il est capable de se faire garant d’une terreur, pourtant déjà vue, mais ô combien glaçante et sans concessions, avant de complètement changer son fusil d’épaule, d’une minute à l’autre. Si on peut penser initialement à la précise frontalité d’Ari Aster dans Hérédité, puis aux fantaisies horrifiques d’Edgar Wright (toujours avec quelques exagérations salutaires dans le scènes de repas), la seconde partie du film prend un tourant complètement inattendu, dans une dérision décapante. On n’arguera pas que toutes ces sorties de route du genre codifié fonctionnent ; quel plaisir, toutefois, de ne pas savoir où le prochain quart d’heure mènera ! En plus d’horreur pure à la généreuse hémoglobine, soutenue par des plans millimétrés dans une maison très cinématographique, se chevauchent sans relâche le teen movie, la comédie noire, le drame familial et la chronique sociale. Plutôt que de subir les esprits, les personnages se fixent pour objectif de les apprivoiser. Et derrière la farce de façade se cache une émouvante tranche de vie mue par la reconstruction personnelle. Pour une surprise, c’en est une !

House of Sayuri – Copyright L’Etrange Festival

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