77 ème festival de Cannes- Cérémonie d’ouverture/ Quentin Dupieux-« Le deuxième acte »

Fidèle à sa réputation, la météo cannoise s’était mise au pourri pour l’ouverture du festival. Fidèles à leur réputation, les starlettes ont monté les marches en robes minimales, dans lesquelles elles devaient se geler, mais ce n’est pas grave: un petit tour et puis s’en sont allées par une porte dérobée.

Quant à nous, nous avons assisté à un cérémonie d’ouverture bien plus alerte et sympathique que nous ne l’avions imaginée. Cent pour cent féminine:  Camille Cottin aux manettes; hommage en extraits bien choisis ( plus Frances Ha que de Barbie) à Greta Gerwig, impromptu chanté par Zaho de Sagazan.  Juliette Binoche émue face au monument Meryl Streep, dont la précédente visite à Cannes remonte à 35 ans!  C’était vaguement chorégraphié, accompagné d’un orchestre et #Metoo sans lourdeur. Contre la barbarie du monde, l’espace protégé et presque « saint » (Greta Gerwig) de la salle de cinéma: tel était le message consensuel de la soirée, auquel nous ne pouvions qu’adhérer.

Le deuxième acte s’est révélé une entrée en matière particulièrement pertinente, percutante et malicieuse : dans ce film hors-compétition, comme sans prétention malgré son quatuor de virtuoses (Léa Seydoux, Louis Garrel, Raphaël Quenard, Vincent Lindon), Quentin Dupieux s’en prend avec une clairvoyance pleine de fantaisie au petit milieu qui est désormais le sien. Le cinéma « ne sert à rien », c’est entendu. Les égos y sont démesurés, soit.  Autant s’en amuser et en épuiser les ressources: dialogues interminables dans de longs plans séquences, attaque au mortier du politiquement correct, jeux avec le son, ( les cuts musicaux sont un vrai régal comique), passages de la «  fiction »  à la « réalité » et de la réalité à la fiction dans une ronde façon « la vie est un songe » qui laisse indécis sur ce que l’on a réellement vu. Quelle histoire raconte-t-on finalement? Peu importe. Une hypothèse: peut-être est-ce celle des dessous du cinéma, de ce que l’on relègue au « deuxième acte », ce moment transitoire qui n’est ni apogée ni dénouement. Celle d’un figurant ( excellent Manuel Guillot), celle de l’écriture d’un scénario (prétendument confiée à une intelligence artificielle), celle d’un rail de 650 mètres, auquel la vedette est donnée in fine.

Un beau film posthume pour l’ouverture de La Quinzaine des Cinéastes : Ma vie, ma gueule de Sophie Fillières

Barberie Bichette a 55 ans. On l’appelle parfois Barbie et à lui seul ce nom fait surgir en creux tout ce qui n’est pas ou n’est plus: gloire, amour et beauté. C’est au coeur du langage, de ses détours, de ses jeux, que beaucoup de choses se disent et se vivent dans ce beau portrait de femme vieillissante, d’une désarmante singularité. À la question posée par un médecin, « comment vous sentez-vous? », Bichette répond « moche ». Le langage, comme la femme, déraillent, se dérèglent, trouvent une expression poétique d’eux-mêmes alors qu’ils buttent contre un réel qui se fait trop dru. Agnès Jaoui embrasse avec tendresse ce personnage, qui fait des doigts d’honneur à son miroir et écrit des poèmes. Son corps, son visage, sont de ceux que l’on ne voit guère au cinéma. Ainsi le film fait-il advenir, au-delà de son propre récit -celui d’une cinéaste trop tôt disparue, très malade déjà lors du tournage – une belle émotion discrètement testamentaire, qui s’immisce avec pudeur et se laisse toujours déborder par la fantaisie.

Conversation avec Andrea Arnold
Après la projection de Red Road à la Quinzaine dés Réalisateurs, la conversation avec Andrea Arnold est venue éclairer son travail fait de corps et de sensorialité et où se mêlent désirs, rencontres amoureuses, enfermement et sentiments de revanche.
Le cinéma pour elle est «  un besoin », celui d’une personne «  très physique, très visuelle », cherchant à donner une sensualité à ses films. Convoquer les sens afin de donner à voir, entendre, ressentir. D’ailleurs Andréa Arnold, à l’image de ses personnages, là aussi, s’expose: elle avoue «  ressentir les choses à fleur de peau » et «  se laisser submerger jusqu’à pleurer à chaudes larmes ». Cinéaste instinctive, ce qui l’intéresse est de s’interroger sur la manière d’incarner une sensation. Aussi, de l’écriture au tournage, il s’agit de «mettre de la vie». Une vie qui s’exprime à travers les corps , la langue, les animaux, le souffle de l’air ou du vent. C’est alors aussi travailler avec l’imprévu, rechercher le désordre. Elle privilégie le travail avec les acteurs non professionnels pour cette spontanéité. «Mettre de la vie» c’est aussi parce que, lorsqu’elle tourne , «  elle vit quelque chose de réel ». Le choix de la pellicule d’ailleurs est  justifié parce qu’elle « donne une image plus vraie que la vraie vie ».
Au terme de cette discussion, c’est un regard profondément humain, féminin et singulier sur les êtres traversés de désirs et de douleurs qui s’affirme et qui dessine ce lieu où «  personne n’est personne ». Nous reviendrons un peu plus tard sur son dernier opus si attendu, Bird.

Divisées sur « Diamant brut »

Diamant brut est le premier film d’Agathe Riedinger, qui déjà avait réalisé un court-métrage autour d’une jeune fille dont le plus grand rêve était d’apparaitre dans une émission de télé-réalité.

L’ouverture est très belle : Liane s’entraîne au pole dance autour d’un pylône près d’un terrain vague. La lumière nocturne la nimbe, tout est alors dit de sa détermination, de ses aspirations, de son environnement.

Pour Maryline, Agathe Riedinger nous offre un diamant brut. Le personnage au départ brille de mille feux, enfermé dans un seul désir de «polissage», un personnage qui réfléchit en apparence une lumière toute artificielle. Mais le regard et la mise en scène progressivement la dépouillent et cette jeune femme retrouve sous nos yeux sa beauté nue: elle devient ce diamant brut. C’est un premier film magnifique.

Noëlle est sensible aux couleurs, à tout ce qui montre le dur « métier de fille »: mise en cheveux, destruction des pieds à coups de chaussures impensables, collage de brillants sur les escarpins… Influenceuse en devenir n’est pas de tout repos et le regard posé sur Liane n’est jamais surplombant. Il accompagne sa démarche, loin de tout préjugé classiste. Mais tant d’artifice provoque un sentiment de saturation et les personnages secondaires auraient vraiment mérité d’être développés. Le film est en compétition officielle et concourt donc pour la palme d’or.

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A propos de Noëlle Gires

A propos de Maryline Alligier

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