Prendre ses marques
Il est toujours touchant d’assister à la naissance d’un nouveau festival, qui plus est lorsqu’il s’annonce particulièrement passionnant dans son concept et l’agencement de ses thématiques. Nous observons ses premiers pas, ses premiers mots, ses balbutiements, nous le regardons s’exprimer et déjà grandir ; il affirme son identité propre en devenir, sa singularité. Dans cette période on ne peut plus compliquée, il est rassurant de vivre l’arrivée d’un nouveau-né dans le paysage culturel. Voici donc la première édition du Festival du film de Société de Royan.
Nous sommes habitués aux compte-rendus dans lesquels nous enchainons les chroniques de films, mais cette inauguration est l’occasion pour nous d’évoquer l’importance des coulisses, du making of, et de l’humain qui se mobilise afin qu’un festival ait lieu. On ne dira jamais assez à quel point la valeur d’un festival tient non seulement à sa programmation mais aussi à son accueil. A Royan nous avons rencontré dès les premiers jours une équipe royannaise mobilisée, toujours à l’écoute, aux petits soins, extrêmement chaleureuse, avec cette excitation stimulante des débuts, une peur émouvante de la maladresse. Ils viennent nous raconter l’histoire de la station balnéaire, ses changements architecturaux, sa reconstruction après la guerre, et leurs mots révèlent un amour de leur ville qui nous donne envie d’y rester.
On sent à chaque instant combien ce festival existe également pour la faire rayonner et c’est réussi. François, responsable des bénévoles, parle d’une découverte de chaque jour pour une équipe qui s’est montée en deux semaines et combien l’aventure est neuve et excitante pour chacun. Après s’être excusé pour les tâtonnements – que nous trouvons émouvants – il nous révèle combien le festival est important dans une ville dont la population comprend énormément de retraités. « Entre les bénévoles et le personnel du cinéma, la synergie s’est faite naturellement. Les bénévoles se sont rencontrés sur place, quasiment, et du coup ils vous ont rencontrés aussi en même temps, et tout le monde avait envie de partager ces moments » confirme Guillaume Mousset. « Le fait d’être une ville comptant 60% de retraités est vu comme un inconvénient, mais en fait cela peut être une force. Du côté des bénévoles, cela représente de la disponibilité et un incroyable réservoir de compétences » poursuit-il.
Il y a l’espoir quelque part de lui injecter du sang neuf, de la pousser vers le haut, et au vu de la fréquentation des salles par les habitants durant cette édition, c’est une victoire. Plusieurs séances affichent complet, au point d’ouvrir une seconde salle, ce qui augure du meilleur pour l’année prochaine. « On a dû batailler avec certains distributeurs parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi on avait mis leur film à la première séance du jeudi ou du vendredi. Ils pensaient que ça ne marcherait jamais, mais je leur avais assuré que si. Et de fait, par exemple, on a mieux marché le vendredi après-midi que le vendredi soir. On a ce potentiel-là. A partir du moment où on accompagne les séances, on travaille très bien l’après-midi en semaine. C’est ce que nous observons depuis des années. »
Qui plus est, les spectateurs ne se contentent pas de regarder les films passivement : on perçoit durant les débats et les conférences leur bonheur d’être là, d’intervenir, de dialoguer, le plaisir non seulement d’assister à un événement mais aussi d’en être les acteurs. « Je n’avais pas conscience à quel point c’était important d’accompagner tous les films. Dans l’idéal je voulais le faire, puis en préparant le festival, on s’est dit qu’il était indispensable d’avoir quelqu’un avant et après le film. C’est ce qu’on a mis en place, quitte à trouver à la dernière minute des gens pour faire la présentation. On a improvisé, et c’est ça qui a fait que le public s’est senti accompagné du début jusqu’à la fin. On ne les lâchait jamais, ils savaient toujours ce qui allait se passer. »
L’échange avant tout
Une des plus belles idées du festival : la programmation de conférences reliées aux thèmes des films. C’est là, vraiment, que le sous-titre du festival, « Et l’humain dans tout ça ? », prend toute sa dimension, et que la notion d’accompagnement des films revêt une forme concrète et participative, à même de réunir les spectateurs dans l’échange, la réflexion et l’ouverture. « L’idée, c’était surtout de proposer une passerelle entre deux de mes passions : les sciences humaines et le cinéma. D’où ce principe de les concilier en apportant un regard croisé sur la société, avec des experts des sciences humaines et des cinéastes. »
Pour cette première édition, deux conférences, gratuites, étaient organisées. Dans l’avenir, nous n’en doutons pas, leur nombre sera amené à s’étoffer, tant cette alliance de projections et de conférences nous est tout de suite apparu comme l’ADN du festival. On s’étendra peu sur la conférence du vendredi, ayant pour thème la dépendance affective et menée par le psychiatre Olivier Dubois, car le film lui servant de « support », Vous ne désirez que moi de Claire Simon, ne nous avait pas du tout convaincus, et que nous n’avons pas trouvé dans la conférence matière à notre réflexion.
Le lendemain, en revanche, le doublé constitué par la projection de Compagnons de François Favrat, puis par la conférence du sociologue François Dubet sur le thème de l’égalité des chances dans le système éducatif, s’est révélé formidable. Le film fait partie de nos coups de cœur (voir notre développement plus bas) et la conférence fut passionnante, enrichissante, conduite par un spécialiste à la fois très pointu et en même temps parfaitement compréhensible même lorsque l’on n’est pas familier du sujet. François Dubet, anciennement directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et professeur à l’université Bordeaux II, a dressé des constats, pointé des limites, présenté un panorama de la situation, autour des notions de mérite, de compétition propres à la France, de manière très claire. Les interventions du public par la suite témoignèrent d’un réel intérêt pour la question, entre interrogations et témoignages, de plusieurs professeurs ainsi que d’une lycéenne de première, qui illustra par ses propos le désarroi de sa génération vis-à-vis notamment du classement constant dont elle fait l’objet. Un vrai moment de partage qui a réuni l’ensemble de la salle dans une prise de conscience commune. Il y a tant à faire et à dire sur notre société bien malmenée, et le cinéma peut s’en faire si pertinemment le reflet, que nous avons hâte de savoir de quelles thématiques le festival s’emparera l’année prochaine, surtout avec un tel niveau parmi les intervenants.
Demandez le programme
La programmation de cette première édition est peut-être un peu sage, mais joue clairement la carte de la prudence, pour un festival qui n’a pas obtenu les subventions d’un CNC et d’une Région attendant les premiers résultats avant de se prononcer et de proposer des aides pour une deuxième édition qui semble gagnée d’avance, au vu des premiers résultats de fréquentation. En témoignent le nombre de sponsors municipaux qui ouvrent chaque séance, entre le spa, les restaurants, agences immobilières.
Les festivités se sont ouvertes avec deux films parmi les plus forts de la sélection. Hors Compétition, Ouistreham, dernière réalisation d’Emmanuel Carrère, est une œuvre remarquable et engagée dans laquelle Juliette Binoche rayonne, en écrivaine renommée s’insérant dans une équipe de femmes de ménage près de Caen afin d’écrire un livre sur le travail précaire. Comme elle avait pu le faire auparavant dans Camille Claudel de Bruno Dumont, l’actrice s’insère de manière fabuleuse parmi les comédiennes non professionnelles, avec une émotion croissante installant une harmonie insoupçonnée. Après le coup de poing Une vie Violente, Thierry de Peretti poursuit dans la même veine sulfureuse et confirme sa capacité à métamorphoser le réel en objet cinématographique palpitant et à faire du cinéma le meilleur outil politique possible. Cette confrontation entre un ancien infiltré des stups et un journaliste de Libération, menant à la révélation d’un trafic d’Etat, est vertigineuse, avec un duo Pio Marmaï / Roschdy Zem particulièrement percutant. Très belle surprise également que le documentaire de Marie Amiguet et Vincent Munier, La Panthère des Neiges, qui évoque l’aventure de Sylvain Tesson qu’entraine Vincent Munier dans sa quête de la panthère des neiges. Bien qu’il n’ait pas l’ambition d’un Dersou Ouzala voici une superbe célébration d’une harmonie perdue entre l’homme et la nature, ode à la beauté panthéiste et au vivant. Bien qu’un peu anodin, Presque reste une agréable virée entre potes, un modeste road movie à hauteur de corbillard, rehaussé par la présence des sympathiques Bernard Campan et l’écrivain et philosophe suisse Alexandre Jollien qui d’œuvre en œuvre érige la notion de joie en principe essentiel de la pensée. Les Promesses constitue quant à lui une remarquable plongée dans l’enfer de la politique, dans ses compromissions, exposant à travers le personnage d’une maire très engagée pour sauver les quartiers défavorisés approchée pour être ministre, les tentations de se renier par ambition. Plus que jamais actuel, encore plus à l’approche des présidentielles, Les Promesses est porté par les interprétations exceptionnelles d’Isabelle Huppert et Reda Kateb et observe parfaitement la manière dont l’arrivisme politique conduit à une forme de schizophrénie, de renversement des valeurs, de l’exemplarité au mal.
Comme nous l’évoquions précédemment, c’est l’ennui profond qu’a surtout provoqué Vous ne désirez que moi de Claire Simon, dont le dispositif en fascinera peut-être certains mais peine surtout à donner une apparence cinématographique à la reconstitution de son dialogue entre Yann Andréa et Michèle Manceaux. Suivant de très près le livre Je voudrais parler de Duras, Claire Simon se contente d’enchainer péniblement les champs/contrechamps, insérant de temps à autre, comme une conscience de sa monotonie et un aveu d’impuissance, quelques visions d’esquisses érotiques, des séquences d’archives, et de maladroites sorties hors de ce huis-clos, que ce soit par une irruption de la vie de couple de la journaliste, ou de petites séquences en forêt. Le plus intéressant ? Les moments où s’exprime la vraie Duras – parfois presque terrifiante – et les extraits de ses films qui démontrent une recherche de la gestion de l’espace que la tentative de Claire Simon n’impose définitivement pas. C’est d’autant plus embarrassant que cette aliénante relation passionnelle où l’un s’oublie dans les désirs de l’autre est fascinante, et que la prestation de Swann Arlaud, qui s’approprie génialement le texte, est éblouissante. Une représentation théâtrale aurait suffi car l’intérêt cinégénique est proche de zéro.
Une grande famille
Si fil rouge il y a dans la programmation, c’est celui de l’enfant et de sa place au sein de la famille. Famille de sang (En attendant Bojangles, Mes frères et moi) ou d’adoption (C’est toi que j’attendais, Compagnons) avec un film faisant le pont entre les deux (La Vraie Famille).
Dans La vraie Famille Fabien Gorgeart suit Simon, un petit garçon de six ans qui a trouvé sa place au sein de la famille d’accueil qui s’occupe de lui depuis qu’il est bébé, au moment où son père biologique entreprend les démarches destinées à lui faire retrouver sa garde. C’est un déchirement pour Anna, partagée entre son rôle, dès le départ possiblement transitoire dans la vie de Simon, et son amour pour lui. Avec une grande sensibilité, le réalisateur, qui s’est inspiré de son propre vécu – il occupa dans la réalité la place d’Adrien, frère aîné de Simon dans sa famille d’accueil – retranscrit le processus, douloureux pour tout le monde mais inévitable, visant dans un même mouvement la séparation de Simon d’avec sa famille d’accueil et sa construction d’une nouvelle vie avec son père. Très émotionnel sans être facticement tire-larmes, La vraie Famille réussit à laisser une place à chaque protagoniste, aux sentiments, aux doutes, aux failles de chacun dans une étape particulièrement déstabilisante. C’est un film sans réponse à son titre, ou plutôt si, la « vraie famille » se révélant in fine être constituée de toutes les personnes qui aiment l’enfant. Pragmatiquement, légalement, les services sociaux oeuvrent dans l’intérêt premier de l’enfant, faisant en sorte, lorsque cela est possible, de privilégier son retour dans sa famille biologique. A ce titre, la classification de la fonction de famille d’accueil en termes de « métier » aurait presque quelque chose de choquant, tant il est évident que Anna dépasse largement cela et ne fait aucune différence entre ses fils et Simon. Ainsi, sa difficulté à s’éloigner du petit garçon ne saurait être une faute professionnelle, mais une réaction totalement humaine, ici interrogée mais pas jugée. La formidable Mélanie Thierry incarne magnifiquement cette maman et l’ensemble de la distribution, enfants comme adultes, se révèle juste et émouvant. Fabien Gorgeart leur donne la réplique avec une mise en scène partagée elle aussi entre la réalité – le quotidien dans ce qu’il a de plus naturel – et la bulle qui refuse cette réalité – ce sont tous ces moments suspendus, de jeux, de rires, saisis par une caméra flottante, comme dans un rêve. Cet instantané du lien, de l’amour filial, parental, fraternel, aura beaucoup fait monter l’émotionnomètre du festival.
La famille d’adoption et de cœur est également au centre du très beau documentaire de Stéphanie Pillonca, C’est toi que j’attendais. La réalisatrice suit quatre parcours mis en images dans une forme très classique, mais parfaitement apte à saisir les émotions des protagonistes, entre espoir, douleur, attente et joie. Il y a deux couples souhaitant adopter un enfant. L’un des deux en est au stade des entretiens visant à leur octroyer ou non l’agrément, sorte d’autorisation à devenir parents adoptifs, même si cela n’est pas une garantie, car certains couples ne sont jamais appelés pour remplir ce rôle. L’autre couple a obtenu cet agrément, et après une longue attente, se voit annoncer qu’une petite fille de quelques mois va leur être confiée. Outre le fait de nous montrer concrètement les différentes composantes du processus d’adoption, le film dresse de très beaux portraits d’hommes et de femmes qui livrent ici, avec un mélange de pudeur et de sincérité, l’une des parties les plus intimes de leur être, ce désir d’enfant, cette volonté d’être parents. Comme en miroir, les deux autres volets sont consacrés à Sylvian, qui à l’approche de la cinquantaine entreprend des recherches pour retrouver sa mère biologique, et à Alexandra, qui trente ans après avoir accouché sous X à un très jeune âge, recherche son fils. L’espoir est ce qui les unit tous. Espoir d’élever un enfant, de connaître ses origines, de recréer un lien, de ne pas en rester à ce que la vie leur a donné, mais d’aller encore au-delà, d’aller provoquer le destin pour se sentir accompli, entier. Tous les participants sont bouleversants d’humanité, transmettant chacun à leur manière leur souhait intime, que la réalisatrice recueille avec une profonde empathie, et une juste distance, marquée par les moments choisis au montage comme fin de séquences : impliqués sans être intrusifs. Il en ressort une grande douceur, qui nous a bercés durant toute la projection.
En attendant Bojangles exploite des thématiques passionnantes autour d’une conception anticonformisme de la vie, et de la manière de mener une existence hors des contingences du monde, en en refusant les règles, y compris celles de la « norme ». Mais lorgnant tout autant du côté de la fable du John Irving de Hotel New Hampshire que de l’excentricité teintée de douce folie de Wes Anderson, il n’a ni la profonde subversion de l’un ni la puissance inventive de la mise en scène de l’autre. Plongé dans une esthétique colorée de vintage-numérique, En attendant Bojangles cherche tellement à séduire son spectateur qu’il en devient manipulateur, plongeant allègrement dans un sentimentalisme sucré et violoneux, étouffé par des dialogues insipides à la poésie aussi toc que du Jeunet. Un tel sujet, évoquant la folie comme mode de vie, aurait nécessité un traitement déstabilisant qui joue jusqu’au bout la carte du fantasque. Malheureusement, en adaptant le bestseller d’Olivier Bourdeaut, Régis Roinsard cherche tellement à rester gentil qu’il en devient douteux. Pour traiter de la folie comme d’une possibilité d’évasion des codes et du conformisme, il aurait fallu ne jamais la montrer comme telle et persister dans un troublant entre-deux. Or, Roinsard rate notamment le virage du drame y compris dans des saillies d’humour assez embarrassantes. Qu’une telle esbroufe de mise en scène chromo puisse faire illusion chez les plus jeunes (le film a obtenu le Prix des Lycéens), nous pouvons le comprendre, mais qu’il ait remporté le Prix de la meilleure mise en scène auprès du jury professionnel nous laisse un peu perplexes. On sauvera néanmoins de cette confiserie indigeste une Virgine Efira toujours parfaite et un Grégory Gadebois formidable.
Portraits de la jeunesse
Parmi les bonnes surprises de la sélection, nous retiendrons deux œuvres d’insertion, de solidarité, de parcours intime, très ancrées dans la réalité sociale et sa violence, mais qui l’exorcisent par la fable, le conte. Qui dit conte dit parcours individuel idéal dans un monde qui ne l’est pas, constituant une « exception » à la règle de l’injustice à travers de beaux récits d’émancipation dans lesquels domine la figure du passeur providentiel. Qu’il s’incarne dans la figure de l’artisan ou de la professeure d’art lyrique, il permet aux portes de s’ouvrir et à un être de prendre son envol et d’exercer son altérité, ce qui signifie obligatoirement s’extraire de son milieu d’origine, partir, fuir des communautés qui montre la différence du doigt.
Dans Compagnons, Naëlle, 19 ans, est une jeune fille désœuvrée de la banlieue nantaise. Participant à un chantier d’insertion, elle se laisse convaincre par la responsable (excellente Agnès Jaoui) d’intégrer une formation de vitrailliste dans la Maison des compagnons de Nantes. Animal blessé, plein de colère et de sauvagerie, Naëlle est partagée entre son désir d’avancer et ce qui la relie encore à son quartier d’origine, notamment le fait qu’elle doive une grosse somme d’argent aux dealers qui la terrorisent parce qu’à cause d’elle ils ont perdu une grande quantité de drogue. Elle découvre tout un conception de la vie qui donne un sens à la sienne, apprend à travers le fonctionnement extrêmement strict de la confrérie (qui accueille des femmes depuis 2004 seulement) tout le sens de la solidarité, de la rigueur, du travail et de la transmission. Si le récit d’initiation peut paraître utopique dans son exemplarité, il est essentiel dans cet esprit de dialogue qu’il instaure, cette idée que les désignés perdants peuvent parfois s’en sortir. Le film de François Favrat adopte justement le ton juste, entre la fable et la réalité. Il est porté par le jeu incroyablement spontané de Najaa (couronnée par le Prix d’interprétation) et celui d’un Pio Marmaï en passeur taiseux, qui décidément s’améliore de film en film. En plus d’être également un remarquable film d’immersion au sein d’une institution très secrète (la plupart des acteurs sont non professionnels), sans en être jamais dupe non plus (il n’élude pas la misogynie de cet univers) Compagnons fait également l’éloge bouleversant du travail manuel, de l’intelligence et de la spiritualité de nos mains, bien trop souvent méprisées.
Mes frères et moi entretient de vraies similitudes dans sa tonalité, ses objectifs et sa narration avec Compagnons. Nous y suivons cette fois, dans une ville du Sud de la France dont le nom n’est jamais révélé (même si l’on croit reconnaître les paysages sétois de Mektoub my Love, dont Mes frères et moi partage le chef opérateur) les aventures de Nour, 14 ans, qui s’ennuie à mourir pendant les vacances d’été, cadet d’une fratrie conflictuelle, entre l’ainé extrêmement dur et les deux autres, une boule de haine et de désespoir ayant sombré dans la délinquance, et le plus attentionné des trois, entre la drague et la sagesse, qui se prostitue. Participant à des travaux d’intérêt général dans la cour de son collège, Nour croise la route d’une chanteuse lyrique qui va lui ouvrir la porte des cours d’été qu’elle anime. Librement inspiré de la pièce de théâtre Pourquoi mes frères et moi on est parti… de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, le film de Yohan Manca, lui-même acteur de théâtre, propose une œuvre extrêmement juste, entre le réel et l’utopie, ne jugeant jamais ses personnages, entre leur coups de violence et leurs coups d’amour. A la différence de Compagnons, la plupart des acteurs – tous meilleurs les uns que les autres, comme une petite famille faisant écho à celle du film – sont issus du théâtre, et pas seulement la formidable Judith Chemla dont nous ne connaissions pas les talent lyriques. Nous ne sommes pas près d’oublier le visage de Maël Rouin, d’une justesse incroyable, découvrant à travers la beauté du chant la beauté du monde, et développant graduellement un sourire radieux. Les quelques réserves que l’on pourrait émettre font aussi la force du film : face à l’extrême violence du décor, de la vie, ce sont les portes du rêve qui semblent s’ouvrir parfois de façon un peu trop évidente. La beauté du film de Yohan Manca, ce qui le rend précieux, tient aussi à cette fragilité et à cette capacité d’évoquer des faits pouvant être a priori sordides (le marché du sexe auprès des touristes étrangers notamment) de manière dédramatisée, parfois presque légère, en rendant à chacun le droit d’assumer son choix de vie, sans culpabilité ni dramatisation.
Et pour finir, nous abordions avec méfiance la mise en image de la BD génialement absurde de Fabcaro, tout simplement parce qu’il était évident qu’elle ne pouvait être que papier, qu’il nous semblait impossible de métamorphoser ces cases au graphisme si particulier, faites de lignes et de vide. Force est de constater que Zaï Zaï Zaï Zaï, sans pousser au chef-d’œuvre, est une excellente surprise. Adoubée par Fabcaro lui-même (qui fait ici une brève apparition comme dessinateur de portrait-robot pour la police), l’adaptation de Desagnat parvient à respecter le monde si particulier de l’auteur de la bande dessinée, faisant du réel lui-même une absurdité globalisée où toutes les situations les plus décalées semblent les plus banales, où il semble par exemple tout à fait normal qu’un poireau brandi par une personne soit considéré comme une arme létale. Et le film d’enchaîner les situations absurdes comme des perles comme le faisait la bande dessinée, donnant presque l’illusion de l’inconséquence et de la gratuité. Illusion seulement : derrière les allures anodines de Zaï Zaï Zaï Zaï se dessine un portrait en creux de nos sociétés de consommation finalement assez mordant. Film aussi léger qu’intelligent, d’une drôlerie un rien flippante, avec un Jean-Paul Rouve qui nage comme un poisson dans l’eau, Zaï Zaï Zaï Zaï est une comédie réussie et enlevée, à laquelle il manquerait juste une vraie patte formelle, notamment une utilisation plus régulière du plan fixe qui, en reprenant le style artistique de Fabcaro, donne lieu à certaines des scènes les plus hilarantes du film. Mais ne boudons pas notre plaisir face à cette belle comédie et cette belle clôture.
Le magnifique paysage côtier de Royan se trouvant désormais derrière nous, nous ne pouvons que souhaiter bon vent à ce festival des plus prometteurs et nous joignons aux 5000 personnes – l’objectif sur quatre jours, atteint au bout de deux seulement – qui ont fréquenté cette première édition pour en souhaiter une deuxième la plus exaltante possible. Se confiant sur ses aspirations, Guillaume Mousset déclare : « Il y a plein de choses que j’imagine pouvoir mettre en place, mais je ne sais pas si ce sera possible dès la deuxième édition. En fonction du budget, aussi, on verra ce que l’on peut ajouter, mais il est certain que je veux faire évoluer le festival. Dès que le contexte le permettra, par exemple, on s’ouvrira aux cinématographies étrangères. On va aussi développer la partie consacrée aux scolaires. Quand on a eu 1800 inscrits pour le festival, je me suis demandé comment on allait faire. Organiser les séances sur deux matinées et trouver des intervenants pour chacune, j’ai cru que je n’allais jamais y arriver. C’est presque un deuxième festival ! »
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