En novembre 2024, Chéries-Chéris aura fêté ses trente ans.
Pour cet anniversaire pas comme les autres, le plus connu des festivals de films LGBT+ de la place parisienne n’aura pas manqué à sa réputation et nous aura gratifié d’une sélection passionnante, ayant à coeur de célébrer la diversité et le droit à la différence.
En voici un bref aperçu.
MIKA EX MACHINA
Film d’ouverture de cette trentième édition, Mika Ex Machina (co-réalisé par Mika Tard et Déborah Saïag) aura lancé les festivités sous le signe de l’audace.
Récit chronique d’une heure et demie, ce long-métrage relate plus de six mois de la vie de Mika Tard. Trouvant régulièrement et depuis des semaines sur sa moto des serviettes rouges, des pièces de monnaie et des cadenas, celle-ci, aidée de sa co-réalisatrice (et colocataire à la ville) commence à filmer son quotidien de manière quasi-ininterrompue : on la voit ainsi demander conseil à ses amis, filmer sa moto en permanence afin d’identifier la personne responsable du phénomène, affronter le regard d’une ex un temps soupçonnée et même manquer de devenir folle…
Véritable docu-fiction évoquant par sa structure le cinéma-vérité, le film séduit avant tout par la réussite de son montage et le potentiel comique de ses protagonistes. Occasion pour les réalisatrices de brosser mutuellement leur portrait mais aussi celui de leur entourage haut en couleurs dans des conditions inédites, cette enquête permet l’émergence d’un film rafraîchissant et hilarant sur la nature humaine, les préjugés, la paranoïa et par-dessus tout l’importance de l’amitié.
ACT UP OU LE CHAOS
Autre proposition marquante de cette édition, le documentaire Act Up ou le chaos, signé Pierre Chassagnieux & Matthieu Lère, revient pour la chaîne Histoire TV sur le parcours de la célèbre association.
Nourri d’archives télévisuelles et privées – proposées dans une qualité irréprochable – le film détaille chronologiquement le contexte dans lequel naît Act Up (d’abord à New York, puis en France) mais également son mode de fonctionnement souvent proche de l’anarchie, ses happenings les plus marquants et son impact non négligeable sur la lutte contre le sida.
De facture classique mais très efficace, ludique, solaire et, selon la volonté de ses créateurs, extrêmement pédagogique, le film – que viennent enrichir les témoignages de survivants des « années sida », du militant Didier Lestrade ou de l’ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy – s’avère ainsi une excellente introduction à l’Histoire de cette association et de son combat.
LES AMANTS ASTRONAUTES
Présenté hors compétition, le dernier-né de Marco Berger (grand habitué du festival) relate l’histoire de deux amis d’enfance, Maxi et Pedro.
Alors qu’ils ne se sont pas vus depuis des années, Maxi – désireux de rendre son ex-petite amie jalouse – demande à Pedro, ouvertement gay, de se faire passer pour son compagnon.
S’illustrant par la qualité de son écriture et ses images d’une très grande beauté, Les Amants astronautes permet à son auteur de conter une très belle histoire, romanesque et universelle, sur la jeunesse et la multitude de questionnements dont elle s’accompagne.
GO FISH
Côté séances spéciales, la ressortie en Blu-Ray du cultissime Go Fish (1994) de Rose Troche aura été l’occasion pour Chéries-Chéris de proposer une projection spéciale du film, suivie d’une rencontre avec sa réalisatrice.
Célébration de l’amitié féminine, de l’amour et de la liberté sexuelle, posant les bases de ce que les critiques appelleront le « new queer cinema » Go Fish porte sur un groupe d’amies lesbiennes – et tout particulièrement sur l’histoire d’amour naissante entre deux de ces jeunes femmes – mais brille d’abord par la créativité de sa mise en scène. Filmé dans un noir et blanc superbe et ponctué d’effets visuels cartoonesques se mélangeant à une narration inspirée par le documentaire, le film (tourné sans argent dans des conditions proches de l’amateurisme) est en effet servi par l’inventivité de ses cadrages et de son montage et brille enfin par l’humour politiquement très engagé de son écriture, abordant sans détour sexualité, clichés sur les lesbiennes et place des femmes dans la société. Un film drôle, tendre et créatif.
ANAPIDAE (APPELLE-MOI)
Créatif également, le moyen-métrage Anapidae de Mathieu Morel (grand habitué du festival) relate par un savant mélange de scènes bucoliques, de visuels surréalistes et d’imagerie expérimentale l’histoire d’un jeune gardien de cimetière veillant la tombe de son ami le plus proche sous le regard protecteur d’une araignée géante. Allégorie sensible et onirique du deuil dans toute sa douleur et hymne passionné à la vie, ce film à la fois tendre et déjanté – où le sexe et l’appel de l’au-delà côtoient le soleil et la douce voix de Jeane Manson – s’avère à la fois drôle et extrêmement touchant.
MAMANTULA
Plus sulfureux mais tout aussi déjanté – et relié à Anapidae par la présence d’araignées dans son intrigue – le moyen-métrage Mamántula de l’espagnol Ion de Sosa suit le parcours à travers Berlin d’une tarentule extraterrestre ayant pris forme humaine et se nourrissant du sperme de ses victimes. Lancées à la poursuite de ce séduisant serial killer, deux policières mènent l’enquête…
Entraînant le spectateur au coeur d’un Berlin queer hispanophone où la mort n’a sans doute jamais eu plus belle allure, le film, parodique et volontairement scabreux, frappe très fort, proposant un hommage explosif au cinéma de genre où semblent se rencontrer Fassbinder et Alex de la Iglesia. Un spectacle horrifique 100% assumé, aussi immonde que jubilatoire.
LA VIE EST UN FILM (UNA PELÍCULA BARRATA)
Autre révélation venue d’Espagne, La vie est un film (Una Película Barrata), première réalisation d’Osama Chami – connu pour être l’assistant personnel de Pedro Almodóvar – s’avère une très belle réussite.
On y fait la connaissance de Federico, trentenaire en pleine crise existentielle qui renoue par hasard avec Iván, un ami d’enfance quelque peu excentrique mais au contact duquel il va progressivement retrouver un sens à sa vie…
Servi par une narration aussi précise qu’inventive – le scénario comporte notamment quelques blagues méta très bien placées – et un humour pince-sans-rire faisant souvent mouche, cette très belle histoire d’amitié, dont les protagonistes se retrouvent plusieurs fois au coeur de situations improbables, offre un spectacle tendre, ludique et d’une grande drôlerie dont la mise en scène, si elle ne s’interdit pas quelques touches fantaisistes, brille d’abord et avant tout par sa sobriété. Un film à voir.
SI JE MEURS CE SERA DE JOIE
Documentaire sur des seniors militant pour une meilleure acceptation du désir des personnes âgées dans la société, Si je meurs ce sera de joie d’Alexis Taillant – dont le titre cite la chanson Prohibition de Brigitte Fontaine – est sans doute l’un des documentaires les plus percutants de cette édition.
Mettant en vedette des activistes aussi hauts en couleur que Micheline, 81 ans, qui assume son désir avec un aplomb et un répondant inimaginables, mais aussi Francis, 70 ans, qui lutte depuis longtemps contre les préjugés sur la vieillesse ou encore Yves, 68 ans, toujours à la recherche de l’amour, le film questionne les préjugés et soulève la question du rapport des occidentaux au temps (tout particulièrement au sein des communautés LGBT+) et profite de cette occasion pour brosser le portrait de ces individus passionnés et débordants de vitalité, qui nous rappellent que l’âge n’est pas un ennemi.
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