Deuxième et dernière partie de ce compte-rendu de la trentième édition du festival Chéries-Chéris.

BLACK AS U R de Micheal Rice

BLACK AS U R

Réalisé par Micheal Rice, le documentaire BLACK AS U R interroge à grand renfort de témoignages, d’exemples historiques et d’entretiens le problème majeur que constitue la lgbtphobie au sein de la communauté noire américaine. Non contente d’entraîner de graves violences à l’encontre des LGBT+ noirs américains – dont elle favorise aussi la précarité – cette haine provoque en effet la désunion (et donc la perte de puissance) de ladite communauté noire américaine face aux discriminations, les LGBT+ victimes de racisme ne pouvant pas compter sur le soutien d’lgbtphobes pourtant eux-mêmes victimes de racisme…

Donnant la parole à des personnes victimes de discrimination, rappelant le rôle des activistes LGBT dans les luttes sociales à travers l’Histoire et sollicitant des intervenants de toutes les générations, Micheal Rice, déterminé à disséquer les racines de l’intolérance, mais également à mettre en lumière l’espoir incarné par une jeunesse se voulant plus ouverte, signe un film nécessaire, humaniste et engagé. 

Te Revoir (The Writer) de Romas Zabarauskas – Copyright Optimale Distribution

TE REVOIR (THE WRITER)

Côté fiction, Te Revoir (The Writer) du lituanien Romas Zabarauskas – réalisateur de Tomber pour Ali, film de clôture du festival en 2020 – s’impose par la simplicité de son dispositif. Dans ce huis clos où deux anciens amants ayant servi ensemble dans l’armée soviétique se retrouvent à New York après des années de séparation, le coeur du récit tient à leur conversation. D’abord timide, celle-ci ne tarde pas à devenir plus personnelle, poussant les protagonistes à revenir ensemble sur leurs souvenirs, leurs regrets, leurs aigreurs mais également leur vision du monde moderne et leur philosophie de vie. Autant de sujets que le film aborde avec une même sensibilité, dans une mise en scène élégante et immersive. 

Le Visiteur (The Visitor) de Bruce LaBruce – Copyright Apolitcal

LE VISITEUR 

Dans un style radicalement différent, cette édition était également l’occasion de découvrir le tout nouveau film de Bruce LaBruce, sobrement intitulé Le Visiteur, dans lequel un homme venu d’un autre monde séduit une famille riche et couche avec tous ses membres. 

Satire sociale assumée évoquant, sans crainte de la caricature, le patriarcat, la bourgeoisie, l’art, la religion, la décadence de l’occident et bien sur la révolution (sexuelle et sociale) le film – qui comporte un certain nombre de scènes de sexe non simulées, additionnées de toutes sortes d’expérimentations formelles – rend également hommage à L’Exorciste mais aussi – pour le meilleur et surtout pour le pire – aux premiers films de John Waters. 

Visuellement soignée et rythmée par une musique électronique renforçant largement sa narration, cette fable paillarde s’avère donc savoureuse. Dans un registre similaire mais pour un résultat d’un intérêt moindre, on notera également la présence, en compétition, d’Amusement Park, récit pornographique d’une nuit de cruising dans un parc d’attraction brésilien mais dont les scènes, certes filmées selon une recherche esthétique évidente, s’avèrent assez décevantes, la faute à un trop grand nombre de personnages, une insuffisance de plans explicites et la quasi-absence de dialogues menant vite le film à tourner en rond. Dommage : la promesse était alléchante. 

UNE HISTOIRE TRANS, 60 ANS DE COMBATS POUR EXISTER

Encore dans un autre style, le documentaire Une histoire trans, 60 ans de combats pour exister, réalisé par Pascal Petit pour Histoire TV, retrace avec brio l’évolution des droits et de la représentation médiatique des personnes transgenres depuis soixante ans. 

Ponctué d’interventions de Bambi, Olivia Chaumont, Roselyne Bachelot, Mireille Dumas, Marie Cau et bien d’autres, le film, extrêmement pédagogique, détaille sans détour les difficultés – fût-ce sur le plan social ou légal – rencontrées, des décennies durant et jusqu’à aujourd’hui, par les personnes transgenres pour faire valoir leurs droits dans une société demeurée longtemps aveugle… et dans laquelle beaucoup de progrès restent à faire. Un film humaniste passionnant et voué à combattre tous les préjugés.

Big Boys de Corey Sherman

BIG BOYS

Fiction consacrée à l’adolescence, Big Boys de Corey Sherman est de loin l’une des plus belles découvertes de cette cuvée 2024. 

Le spectateur y fait la connaissance de Jamie, un garçon de 14 ans en surpoids s’apercevant que le nouveau compagnon de sa cousine ne le laisse pas indifférent… 

Écrit et mis en scène avec une infinie précision, le film s’illustre d’abord par la justesse de son ton et l’empathie qu’il suscite chez le spectateur à l’égard de Jamie. Mal dans sa peau et en pleine découverte de lui-même (ce qui donne lieu à un tas de situations gênantes telles que la plupart des ados en auront vécues) ce garçon – brillamment interprété par Isaac Krasner – s’avère profondément touchant, un effet allant crescendo à mesure que les expériences qu’il traverse durant le film le poussent à grandir et quitter définitivement le monde de l’enfance. 

Sensible et agrémenté d’une bande originale particulièrement accrocheuse, le film est également tendre et constitue une ode à l’acceptation de soi et au vivre ensemble. À voir absolument. 

Concerning My Daughter de Lee Mi-Rang

CONCERNING MY DAUGHTER

Sur une note plus mélodramatique, Chéries-Chéris aura également proposé cette année le long-métrage sud-coréen Concerning My Daughter de Lee Mi-Rang, relatant l’histoire d’une mère peinant à accepter l’homosexualité de sa fille prénommée Green. 

Portrait d’une femme forcée de faire face à ses préjugés mais aussi à ses désillusions, dans sa vie privée – le regard d’autrui et le désir de descendance s’avèrant prépondérants pour elle – comme dans sa vie professionnelle – où son travail d’aide-soignante l’amène à se rendre compte que sa patiente, atteinte d’Alzheimer, est de plus en plus mal traitée dans son Ehpad – Concerning My Daughter est également un film sur les relations intergénérationnelles et le lent rapprochement entre Green et sa mère, dont le spectateur voit plus vite qu’elles combien leurs points communs sont plus importants que leurs désaccords…

Récit sensible et intimiste d’une remise en question lente mais bien réelle, le film s’avère d’autant plus fort qu’il brosse un portrait des plus fidèles de la Corée du Sud contemporaine, où la question LGBT demeure un sujet tabou malgré le désir de changement que revendique la jeune génération. 

Egoist (Egoisuto) de Daishi Matsunaga

EGOIST (EGOISUTO)

Enfin, choisi pour clôturer cette édition 2024, Egoist (Egoisuto) du japonais Daishi Matsunaga est un film dont on ne sort pas indemne.
Ce long-métrage relate l’histoire d’amour torride entre Kōsuke, éditeur de mode à qui tout semble réussir, et son jeune coach sportif Ryūta, qu’une suite d’événements imprévus va venir bouleverser… 

Évoquant aussi bien les rapports de pouvoir ou de milieu que les sentiments, la famille et l’altruisme, filmé avec une élégance rare et réussissant l’exploit d’être successivement érotique, tendre, tragique, surprenant, philosophique et extrêmement touchant, Egoist – que servent des comédiens exceptionnels et une mise en scène incroyablement chaleureuse – est très certainement l’un des plus beaux mélodrames et l’une des histoires d’amour les plus émouvantes de ces dernières années. 

Une merveille comme on aimerait en voir plus souvent, venant conclure une édition 2024 mémorable, témoin de la vivacité – et de l’exceptionnelle diversité – des cinémas LGBT+ à travers le monde, ainsi que de l’exceptionnelle qualité de ce festival auquel on souhaite une nouvelle fois un très joyeux anniversaire !

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A propos de Alexandre LEBRAC

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