Lors de cette 57 ème édition du plus grand festival de films fantastiques d’Europe, votre envoyée très spéciale n’a pu visionner « que » 30 films en neuf jours. Et encore, estimons nous heureux, nous journalistes. Un programmateur du PIFF (Paris International Fantastic Film Festival qui aura lieu cette année du 4 au 10/12, https://www.pifff.fr) croisé à une séance m’apprend que cette année, les accrédités Industrie (programmateurs, distributeurs…) n’ont droit qu’à 15 films, soit moitié moins qu’avant 2020 et un certain Covid. Si la sélection est moins enthousiasmante que l’an passé, nous pouvons néanmoins faire  un constat euphorisant : les films de genre s’invitent de plus en plus dans des festivals prestigieux et plus classiques » comme Cannes, la Berlinale… Preuve avec nombreux films présents à Sitgès cette année. 


Autant la cuvée 2023 était de haut vol – sur 30 films visionnés seuls deux étaient à jeter et des pépites à la clef (notamment Monolith, Riddle of Fire, Les Chambres rouges, Dream Scenario, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, Tiger Stripes, The Funeral, Superposition, You’ll Never Find Me, La Ermita, Mad Fate…) autant en l’an 24, le cru s’est considérablement tari. Il est vrai qu’il est fort difficile d’entrer en compétition sur le plan dramatique avec une Réalité qui s’est déchainée dernièrement, entre le super gore conflit au Moyen-Orient, le procès Mazan qui concurrence de façon déloyale une horde de revenge movies et l’avancée de l’I.A, thème d’ailleurs très présent cette année. Est-ce pour ça mes collègues et moi, avons trouvé la programmation nettement moins bonne que l’an passé ?
Voici un bref panorama d’une proposition pantagruélique : pas moins de 368 films à l’affiche durant dix jours ! Ils sont projetés dans 4 salles dont un auditorium garantissant des diffusions high tech et un splendide théâtre à l’italienne, le Prado, décor rêvé pour un film d’Argento. D’ailleurs l’an passé un documentaire sur le maestro y fut programmé créant une belle mise en abyme.

(copyright Xanaé Bove)


La réalité plus forte que la fiction ? Partant d’un fait historique, le documentaire espagnol Exorcismo a été un de mes plus gros coups de cœur. Preuve que la Réalité a parfois plus d’imagination que la fiction -pour citer Truffaut. Narré ni plus ni moins que par Iggy Pop, le passionnant documentaire d’Alberto Sedano revient sur la vague des films dits « S ». Soit, quand la mort de Franco en 1975 ouvre la porte à la possibilité d’un cinéma non censuré. Après deux années d’assouplissement, la censure est totalement abolie en 1977 et la classification « S » est créée pour protéger les spectateurs des films susceptibles de « heurter leur sensibilité ». La classification « S » est attribuée lorsque le contenu est particulièrement violent, sexuel ou politique, créant ainsi un fourre-tout pour toutes sortes de films inclassables. En vigueur de 1978 à 1983, cette classification s’est avérée être un grand attrait commercial pour une société qui avait souffert de quatre décennies de dictature et de répression nationale-catholique. Il y avait 37 points de censure : divorce sexe, drogue etc… Des projections test étaient parfois effectués avec des prêtres comme spectateurs ! Les films ne pouvaient se dérouler en Espagne ; ils y étaient souvent tournés, mais les producteurs certifiaient que l’action se déroulait en Suisse ! Parmi les témoins interviennent des grands du cinéma de l’époque : Eloy de la Iglesia, homo et communiste, le premier à traiter frontalement des gays comme dans le bien-nommé et génial Plaisirs occultes. Exorcismo revient aussi sur le génial Jess Franco, ou encore le passionnant José Ramón Larraz auteur du surréaliste érotique Coming Of Sin et qui fit voyager la perversité espagnole dans les cottages anglais (Vampyres, Symptoms). Quant au très allumé León Klimovsky, il ne faudrait pas le réduire à ses collaborations avec le cultissime Paul Naschy. Réalisateur, scénariste, acteur et producteur argentin, exilé en Espagne, il questionna le corps dans l’Espagne franquiste en 1974 avec un film d’exploitation Odio mi cuerpo (je hais mon corps) et devint culte avec People who own the Dark (en V.O Ultimo Deseo) un thriller post-apocalyptique de 1976, soit une orgie d’hommes d’affaires qui est interrompue par une guerre nucléaire… Ou encore, des cinéastes fameux y firent leurs premières armes comme Vicente Aranda ou Isabel Coixet. Certains titres de ces films « S » sont éloquents : Bacchanales en direct, Collégienne violées, Macumba sexual, Les rites sexuels du diable,  Sexo cannibale… Souvent le choix du titre garantissait 50 % du succès.


Qu’en est-il de la fiction ? Son contenu, ses tendances ? Comme un club de joueurs de scrabble sous acides, à peine les séances achevées, cinéphiles et nerds se ruent pour composer des mots comptent triple. Voici un medley des phrases types entendues tout le long du festival : « It’s a typical sci-fi movie meets a coming of age ». Ou bien :« j’ai kiffé ce slasher un poil domestic horror » ; « Moi j’ai été plus sensible au body horror mâtiné d’horror folk», etc…
Moi aussi je me suis amusée à relever les 5 grandes tendances thématiques. Outre les classiques : gore, slashers et films de vampire (dont la côte baisse), cinq tendances se taillent la part du lion cette année :
– AI, réseaux sociaux, réalités parallèles
– Sorcière, animalité, satanisme
– Apocalypse, virus, fin du monde, secte
– Onirisme, romantisme
– Faits divers, serial killers

Évidemment, le genre « Coming-of-age » ou film d’initiation ou d’ados – à la mode depuis plus d’un demi-siècle- est omniprésent, croisant toutes ces tendances. Et le « body horror » cher à Cronenberg confirme sa puissance, notamment avec l’hilarant The Substance de Coralie Fargeat qui a électrisé le festival. 


Depuis quelques années, un nombre croissant de femmes sont les héroïnes plus ou moins complexes de ces films. La tendance féministe donne au mieux Devil’s bath et The Substance dont c’est le sujet ; au pire, des tentatives avortées comme Par amour avec Cécile de France en maman en burn-out qui tente de comprendre pourquoi son fiston passe plus de temps dans l’eau qu’en famille ou la wanna be toreradore d’Animale

La tendance réalité parallèle donnera un bijou comme Infinite Summer de l’espagnol Miguel Llansó basé en Estonie où se déroule le film. Durant l’été, trois lycéennes découvrent une technologie similaire au Métaverse mais si avancée qu’il est impossible de la distinguer de la magie… ou de la drogue. Mâtiné de body horror inspiré des mangas japonais et parodiant le cyberpunk, cet été infini est un délice psychédélique, de surcroit joyeusement amoral tout en proposant une réflexion intelligente sur les aléas de l’Intelligence Artificielle.


Ce qui n’est pas le cas de Love me de Sam and Andy Zuchero romance post-apocalyptique qui nous apprend que les réseaux sociaux trichent et que Insta n’est pas la vraie vie, à l’instar de 2073 du décidément très peu inspiré d’Asif Kapadia (auteur notamment du docu voyeuriste sur Amy Winehouse). Pourtant présenté à la Mostra de Venise, le film accumule les clichés embarrassants, nous expliquant que les réseaux sociaux c’est mal, surtout quand ils sont le fruit de Musk, Zuckerberg ou Besos. Au cas où nous vivrions dans un igloo, le documentariste croit utile de nous rappeler le 11 septembre, la guerre au Moyen-Orient, en Ukraine, la situation cauchemardesque des ouïgours. Toutes ces images (d’archives ou filmées par des drones) sont saupoudrées de violons et d’une voix off sentencieuse qui se voudrait hypnotique, mais vire au ridicule.


A l’inverse, certains partent de faits divers et le transcendent : ainsi, le belge Fabrice de Welz revient dans Maldoror sur l’affaire Dutroux qui l’a bouleversé 30 ans auparavant. Il y évoque les ravages pas seulement du réseau pédophile mais des dysfonctionnements du système policier, en se focalisant sur un flic bad boy, obsédé par l’affaire. Incarné par Anthony Bajon (vu et aimé dans Suprêmes), celui-ci confirme son intensité. Un film noir, poisseux et tendu dont les deux heures passent à toute allure.

Pas comme le faussement malin, vraiment creux Strange Darling de J.T. Mollner où le prédateur n’est pas celui qu’on croit… Très bien filmé, il sera récompensé de la meilleure photo. Cuckoo de Tilman Singer boxe dans la même catégorie, celle des psychopathes, mais ne convainc pas, copie de bon élève manquant d’imagination qui aurait mal digéré Dario Argento et Stanley Kubrick.
De l’autre côté de l’arc poisseux des faits divers, cette année, le Festival propose aussi une tendance onirique, romantique . Ainsi, Your Monster premier long de Caroline Lindy est une comédie romantique indie à l’humour vache qui fait mouche. Comme si Todd Solondz (période Happiness) adaptait la belle et la Bête. L’interprétation drôle et touchante de de la « scream queen » (reine des films d’horreur), Melissa Barrera profite considérablement au film.


Par contre, le sympathique, mais trop prévisible Daniela for ever lorgne du côté Eternal Sunshine of the Spotless Mind, mais vire gentille sitcom de luxe faute à un scénario sur-programmatique : un « héros » tatoué musclé aussi profond qu’un bidet convoque en « songes lucides » son amoureuse défunte. Feu Daniela est caractérisée par des yeux bleus, ses mini-jupes et ses socquettes blanches. Bref, plus un rêve pédo qu’un grand amour onirique.


La tendance sorcière, animalité, satanisme confirme son grand retour. Déjà récompensé par l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique à la Berlinale, Devil’s bath des autrichiens Severin Fiala et Veronika Franz a obtenu trois prix amplement mérités à Sitgès : meilleur film, ainsi que le prix de la critique et le prix du jury jeunesse. Devil’s Bath évoque des femmes mises au ban de la société, des sortes de sorcière mais surtout, il subvertît brillamment les classifications et les attentes. Brûlot féministe mêlé de « folk horror », il traite avec un inouï talent visuel et de mise en scène, un thème pas évident : la dépression mitan XVIIIe siècle en Haute Autriche paysanne, un âge où la religion ne permet pas le repli du suicide. 


Dans la catégorie satanisme secte, Apartment 7A de Natalie Erika James (déjà remarquée avec Relic son premier film) est une très bonne surprise. On n’aurait pas parié d’emblée sur cet enjeu casse-gueule : faire un prequel de Rosemary’s Baby de Roman Polanski. A l’arrivée, la cinéaste opère une fascinante relecture de la fin des 60s et du sort réservé aux aspirantes vedettes, comme Terry, sa danseuse blessée dans tous les sens du terme, bientôt recueillie par un couple étrange, les mêmes voisins que Rosemary dans le tragiquement fameux Dakota building…


A l’inverse, Spirit in the Blood de Carly May Borgstrom et Mi Bestia de Camilla Beltran, se noient en surfant sur la vague coming of age#sorcières#mutation#animalité. On comprend qu’elles louchent du côté du beaucoup plus réussi Tigers Stripes (vu à Cannes et à Sitges en 2023). Mais trop d’hashtags et pas vraiment de fond. Ainsi, Borgstrom charge la mule en mixant société religieuse, puberté et animalité et Mi Bestia se pare d’un zeste d’Apocalypse, de façon très gadget.


L’animalier Pepe du dominicain Nelson Carlo de Los Santos Arias est autrement plus fascinant, soit un Sunset Boulevard version mammifère. Pepe est un jeune hippopotame déplacé de son pays natal en Afrique vers la Colombie pour résider dans le zoo privé du baron de la drogue, Escobar. Tué dans la jungle colombienne, il revient sous la forme d’un fantôme et « raconte ». Du reste, Nelson Carlos De Los Santos Arias a obtenu le prix de la mise en scène à la dernière Berlinale qui est décidément une pépinière de films de genre puisqu’elle a aussi primé Devil’s bath. C’est aussi la preuve que ce mélange hybride de thèmes et de genres est de plus en plus à l’œuvre et constitue un cinéma novateur et fascinant qui est enfin récompensé.



Si ça fait flop avec Mi Bestia le brésilien Marco Dutra figure en haut du panier de la hype Apocalypse, virus, fin du monde, secte avec son trippant et halluciné Bury your Dead. Soit, un compte à rebours de l’Apocalypse mettant en scène deux chasseurs d’animaux accidentés sur la route, un prêtre défroqué aux allures de rock star et un monsieur tout le monde. Cependant, sa fiancée fait partie d’une secte Sorochore dont les spots publicitaires montrent une fillette médium qui a baptisé sa poupée apocalypse puisque chez les Grecs c’est un nom féminin ! Idées démentes, invasion de délires visuels : la caméra rentre dans le breuvage de la secte et tourne trois fois dans sa substance sanglante et pailletée jusqu’au vertige et s’incruste dans votre psyché bien après la vision du trip brésilien.


Autre réjouissante fin du monde, si je peux me permettre cet oxymore- Else est une réussite dans cette catégorie que Thibault Emin explose intelligemment en mixant également comédie romantique trash, humour, anticipation, film politique. Else propose une inspection à la loupe littéralement, bourrée d’humour et d’invention sur la vision du couple et du monde en général quand il vire catastrophe. Cathy dit à son chien « Les maîtres sont faits pour être quittés » ce qui pourrait être une bonne métaphore du cinéma de Thibault Emin tant il est à la fois sous influence est totalement libre. On sent l’empreinte de David Cronenberg et John Carpenter que le cinéaste cite régulièrement.
Le film passe d’une couleur flashy quasi fluo à un noir et blanc hyper stylisé. La contagion se transmet par le regard dans ce monde futur, c’est tout dire. Le premier long de Thibault Emin se verra à juste titre récompensé du prix des meilleurs effets spéciaux et maquillage et du prix Citizen Kane, récompensant l’originalité d’un nouveau venu. Le jeune quadra français a mis 17 ans pour réaliser un film zéro concession. Ça en valait la peine. D’autant qu’il vient également de recevoir le prix du meilleur réalisateur au Screamfest de Los Angeles (record de longévité des festivals de films d’horreur aux USA puisqu’il existe depuis 2001 mené par la passionnée et engagée Rachel Belofsky) .


  1. Je laisse Emin conclure car avant d’être un cinéaste c’est un amoureux du Genre :
    J’ai l’impression que cette fois on peut vraiment dire que ça y est, le film de genre d’auteur en France s’est installé, il y a une production qui s’étoffe.A Sitgès, j’ai découvert Planète B d’Aude Léa Rapin, mi  Animale d’Emma Benestan. Je ne m’étendrai pas ici sur ce qui peut me séparer (en tant que spectateur) de ces films ; ce qui me semble important est leur qualité d’abord, leur originalité ensuite, et puis la présence d’un propos, d’une pensée. Et bien sûr le fait que ce sont des femmes qui réalisent, qui produisent et qui constituent même l’essentiel de l’équipe. Certaines font le choix de tourner en anglais à l’étranger comme Coralie Fargeat, Fleur Fortuné avec The Assessment ..Mais les films de genre d’auteur produits en France sont clairement en train de passer du stade d’exceptions à celui de tendance installée. Noémie Merlant s’y est mise également avec Les Femmes au Balcon ; David Moreau (Ils, The Eye, Seuls) revient avec MadS. Marina de Van, Claire Denis, Lucile Hadzihalilovic, Yann Gozlan, Julia Ducournau, Bertrand Mandico, Yann Gonzalez, Just Philippot, Arnaud Malherbe, les frères Boukherma, Thomas Cailley, Guillaume Nicloux, Coralie Fargeat, Jérémie Périn étaient tous des exceptions.C’est en train de changer.Après le rachat d’OCS par Canal, le paysage du financement est plus imprévisible et angoissant que jamais.Mais j’espère de tout coeur que la tendance perdurera. Avec des films les moins formatés possibles.

    Sitgès est un reflet exceptionnel de cette vitalité avec une programmation aussi généreuse. On espère que la cuvée 2025 sera aussi savoureuse que celle de 2023.




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