Après une première partie de compte-rendu consacrée aux œuvres les plus récentes, le moment est venu d’aborder les autres sélections de cette 14ème édition des Hallucinations collectives. Le traditionnel Cabinet de Curiosités a fait le plein avec pas moins de huit longs-métrages divers et variés, parmi lesquels des documentaires, du fantastique, de l’animation… Le Mysticisme par la face Est et Rêves en ricochets furent quant à eux, de belles occasion de découvrir des films rares ou méconnus (difficile de se remettre de La Puissance du feu sur grand écran) et des objets de culte qui trouvent toutes leur force dans une salle obscure (Dementia et Le Carnaval des âmes en tête).
Marée Nocturne de Curtis Harrington (1961) / Dementia de John Parker (États-Unis, 1953) / Le Carnaval des âmes d’Harold « Herk » Harvey (États-Unis, 1963)
Trois longs-métrages en Noir & Blanc réalisés entre 1953 et 1963 formaient l’ensemble de la section intitulée Rêves en ricochets, trois propositions indépendantes en rupture avec la narration classique, la linéarité, tutoyant une forme onirique parfois aux confins de l’expérimental.
Marée Nocturne premier long de Curtis Harrington (ancien collaborateur de Kenneth Anger) après plusieurs courts remarqués dont le superbe Picnic, s’inspire d’une nouvelle non publiée du réalisateur, The Girl from Beneath the Sea. Marin en permission à Santa Monica, Johnny Drake (Dennis Hopper) tombe sous le charme de Mora (Linda Lawson), qui gagne sa vie en tant que femme-sirène dans le cirque du possessif Capitaine Murdock (Gavin Muir), et dont tous les anciens prétendants ont fini mystérieusement noyés. Film noir flirtant suggestivement vers le fantastique lors de ses visions oniriques, Night Tide suit une structure codifiée de son récit qu’il trompe, trahit discrètement par sa mise en scène (cadrages aux airs de peinture ou photographies vivantes, transition de montage). Harrington parvient à façonner une atmosphère poétique (l’inspiration Cocteau est palpable) et mélancolique, en saisissant instinctivement le potentiel de ses décors (le travail sur les ombres est très beau, tout comme l’utilisation de la musique), avec une facilité étonnante. Atout non négligeable, le jeune Dennis Hopper illumine chacun des plans, transforme le héros en rêveur candide et émouvant. Nicolas Winding Refn qui n’a jamais fait mystère de son admiration pour le film (il le cite comme inspiration pour The Neon Demon, notamment dans la manière de filmer Los Angeles), a financé sa restauration (qu’il propose gratuitement sur sa plateforme ByNWR).
Inspiré d’un cauchemar que lui avait raconté sa secrétaire Adrienne Barett (qui interprète l’héroïne), John Parker, fils d’un exploitant de salles, tournait à partir de cette matière, en six jours, ce qui allait rester comme son unique réalisation, Dementia. Sortie dans une seule salle new-yorkaise en 1958, retiré de l’affiche au bout de deux semaines, le film ne bénéficia pas d’exploitation à l’international, poussant son auteur à l’abandonner. Récupéré par la suite par un producteur qui entreprit de le remonter afin de le rendre plus accessible (ajouts de voix-off, suppression de certaines séquences) sous le titre Daughter of Horror, le parcours chaotique du long-métrage explique en partie sa rareté. Présenté dans son montage original et en copie restaurée, nous nous sommes retrouvé face à un fascinant labyrinthe d’images où les sensations précèdent le sens, où l’expérience visuelle et sonore (pas le moindre dialogue, juste des ricanements) s’affranchit de toute velléité narrative. Cauchemar halluciné et hallucinogène, Dementia, nécessite qu’on s’y abandonne pleinement pour en goûter les nombreuses richesses. Déluge de motifs obsédants (cette Une de journal« Mysterious Stabbing », ce canapé au beau milieu d’un cimetière,…) soutenu par une bande-son grandiose de George Antheil (compositeur sur House By The River de Fritz Lang, Le Violent de Nicholas Ray), il s’agit d’une œuvre avant-gardiste (trop pour son époque manifestement), aussi angoissante qu’inspirante.
Matrice cinématographique des obsessions d’un certain David Lynch, Le Carnaval des âmes demeure le seul et unique long-métrage de Herk Harvey. Une jeune femme, Mary (interprétée par Candace Hilligoss), miraculeusement rescapée d’un accident de voiture, est assaillie de visions d’un étrange inconnu (Harvey lui-même) qui la mènent jusqu’à un parc d’attractions abandonné. Ce script simpliste fait office de prétexte au cinéaste pour plonger dans la psyché tourmentée de son héroïne, harcelée de toutes parts par des figures masculines (dont l’homme mystérieux), et ne souhaitant que trouver son havre de paix. L’introduction en forme de rodéo sauvage la montre d’ailleurs refuser le petit jeu viriliste qui semble amuser ses amies. Une dimension psychanalytique se dessine ainsi en creux (préfigurant Mulholland Drive, notamment) mais Carnival of Souls ne plonge pas pour autant dans l’abstraction trop théorique et offre au spectateur son lot de visions inoubliables. Parmi celles-ci, les visages blêmes et cadavériques sortant de l’eau (inspiration évidente de George A. Romero pour La Nuit des morts-vivants) ou encore cette valse infernale emportant Mary dans un tourbillon vertigineux au son d’une musique de carrousel. Véritable échec à sa sortie, il avait été vendu comme un pur divertissant de drive in, le film a fort heureusement été réhabilité avec le temps, jusqu’à encourager Wes Craven (autre grand fan) à produire un remake en 1998. Raté dans les grandes largeurs, celui-ci n’atteint pas la folie entêtante de son prestigieux modèle. (V.N. & J-F.D.)
Burroughs : The Movie d’Howard Brookner (USA, 1983) / Crumb de Terry Zwigoff (USA, 1994)
La cuvée 2021 des Hallus fut marquée par la place accordée aux portraits d’artistes au sein du Cabinet de curiosités, à travers la projection de documentaires consacrés à deux grandes figures américaines du XXème siècle : William S. Burroughs et Robert Crumb.
Le long-métrage signé Howard Brookner, Burroughs : The Movie, revient en détails sur la vie, le travail et les obsessions de l’auteur du Festin nu. Biographie tour à tour comique et touchante de l’écrivain, marquée par un véritable défilé de grandes figures de la littérature (Allen Ginsberg) et de la peinture (Francis Bacon), le film brasse des thèmes aussi variés que la filiation, les regrets, l’art, la politique. Burroughs y est perçu comme un génie de l’écriture, un véritable inventeur de forme qui peine à masquer sa grande sensibilité sous un cynisme de façade. Il revient sans détour sur son existence, jalonnée de drames, sur son rapport à son homosexualité, à la violence, à ses diverses addictions et au monde du spectacle. Le long-métrage, composé de moments de vie et d’entretiens sans filtre, fait sien la technique du cut-up, chère aux membres de la Beat Generation. Le cinéaste morcelle le tout en instants qu’il raccorde entre eux de manière aléatoire pour faire surgir une signification nouvelle. Ainsi, le témoignage de son fils, William Jr, poète junkie et gravement malade, prend une toute autre dimension lorsque l’assistant (et amant) de l’auteur se présente lui-même comme son enfant spirituel. Se dégage alors une dimension de tragédie antique, une opposition entre « frères ennemis », résumée en un simple regard faussement détaché d’un père apprenant la mort de l’un d’eux. Entre deux répliques cinglantes et souvent très drôles du « protagoniste », Brookner questionne ce dernier sur ses parts d’ombre et révèle des contradictions évidentes. Condamné pour avoir tué sa compagne lors d’un jeu absurde sous l’emprise de drogue, Burroughs aborde pourtant sa passion pour les armes de toute sorte, comme une fascination pour ce qui le plongea dans la pire période de son existence selon son propre aveu. Documentaire passionnant d’une figure iconoclaste, Burroughs : The Movie offre une approche formelle aussi ambitieuse que vectrice de sens, marquée par la collaboration de Jim Jarmusch (au son) et Tom DiCillo (à la photo). (J-F.D.)
En 1986, Terry Zwigoff signait un premier documentaire, Louis Bluie, consacré à un bluesman oublié, Howard Armstrong. Il témoignait déjà dès ses débuts d’un goût pour les figures marginales de la pop culture et surtout, détail amusant, l’affiche était conçue par Robert Crumb. Celui qui fut surnommé « le Balzac proustien de la bande-dessinée », satiriste cinglant de la société américaine, partage en effet avec metteur en scène, une passion pour le blues. Proches, les deux hommes entamèrent une collaboration qui accouchera en 1995 du deuxième long-métrage du cinéaste. Il a pu suivre l’artiste près d’une dizaine d’année et ainsi nous plonger deux heures durant dans son intimité, l’observant à l’œuvre, en conférence ou plus simplement en s’adressant directement à lui, tout en faisant intervenir plusieurs membres de sa familles ou certaines de ses anciennes compagnes. Il en résulte, un portrait dense et fourni d’une figure aussi culte que controversée. Crumb constitue un objet passionnant pouvant s’adresser avec le même intérêt aux néophytes et aux connaisseurs. D’une part, le réalisateur s’abstient de tout jugement à l’encontre d’un protagoniste qu’il ne cesse d’écouter, d’interroger, sans éluder ses zones d’inconforts (en ce sens pas la moindre complaisance n’est de rigueur), ses positions les plus polémiques (notamment les accusations de misogynie). D’autre part, à mesure que l’homme se dévoile, se voit mis à nu, soit frontalement soit par les témoignages de ses proches, son étude gagne en complexité, en ambiguïté. Le ton du film se fait tour à tour drôle et acide mais, aussi parfois franchement inquiétant voir sordide, quand il n’est pas également tout simplement émouvant. Le cinéaste nous permet de découvrir un individu torturé, dissimulant ses peurs et souffrances dans la provocation, elle-même transcendée par ses prédispositions artistiques (la précision de ses coups de crayon est remarquable). Crumb, fort d’une matière riche et brûlante (comprendre encore pertinente un quart de siècle plus tard), dépasse le cadre du simple portrait pour implicitement interroger plus largement le geste artistique. Faut-il comprendre une démarche pour l’apprécier pleinement ? Une œuvre (quelle que soit sa qualité) peut-elle se suffire à elle-même ? Quelle est l’importance du contexte ? Le long-métrage se fait alors l’écho de questions régulièrement au cœur de l’actualité ces dernières années lorsqu’il s’agit par exemple de réinterpréter un film, un livre, une pièce, à l’aune du contemporain, quitte à imposer arbitrairement une grille de lecture inévitablement hors de propos et déconnectée de son essence. Cette pertinence supplémentaire renforce la dimension précieuse de cette réalisation de référence dans son domaine, le portrait documentaire d’un artiste. En 2001, Terry Zwigoff passera à la fiction en adaptant une bande-dessinée de Daniel Clowes, Ghost World, lequel présente un personnage de vieux collectionneur campé par Steve Buscemi, qui n’est ni plus ni moins qu’un avatar de Robert Crumb. Une manière pour le (trop rare) réalisateur de créer une continuité en filigrane à l’intérieur d’une filmographie courte mais pleine de réussites fulgurantes. Crumb en est incontestablement une. (V.N.)
Decoder de Muscha (Allemagne, 1984)
Autre découverte de ce Cabinet de curiosités, Decoder signé Muscha fut présenté par son scénariste et producteur, Klaus Maeck. L’homme, grande figure du punk allemand, a pu revenir en détail sur le collectif à l’origine du film (dont le nom est emprunté au célèbre peintre de Düsseldorf) au cours d’un échange fort sympathique. Le long-métrage narre le combat de F.M. (FM Einheit), jeune employé d’une chaîne de fast-food qui découvre que les musiques d’ambiance de son restaurant permettent de contrôler les esprits. Aidé par d’autres pirates, il va triturer les sons afin de réveiller les consciences, malgré les pressions du gouvernement qui a lancé un agent, Jaeger (William Rice) aux trousses du jeune homme…
Objet quasi expérimental, très ancré dans son époque (affrontement RFA/RDA, musique industrielle…), Decoder se regarde aujourd’hui comme la peinture d’une génération plongée en plein capitalisme roi, mais encore pétri d’un vent révolutionnaire et libertaire. Si l’énergie punk et, osons-le mot, adolescente du tout relève parfois plus de la pose qu’autre chose, il faut reconnaître de grandes qualités formelles. Le montage tout d’abord, qui fait correspondre des publicités à des images du mariage du Prince Charles avec Diana et des plans de véritables autopsies, renvoie à l’inspiration première des réalisateurs : la technique du cut-up de William S. Burroughs, dont on ressent les échos jusque dans la méthode utilisée par F.M. Référence à une autre projection de ces Hallus, l’auteur apparaît d’ailleurs au détour d’une séquence très réussie où sa présence fantomatique et sa voix guident la petite amie du héros, Christiana (interprétée par Christiane Felscherinow, autrice de Moi, Christiane F., droguée, prostituée…). Cette dernière est d’ailleurs au cœur d’une intrigue aux relents de film noir, où Jaeger tombe sous son charme et devient obsédé par son image, malheureusement pas aboutie. Pour le reste, malgré des acteurs pas toujours convaincant (le protagoniste en tête), force est de constater que le long-métrage, sorte de collage visuel et musical (on retrouve le groupe de New Wave, Soft Celle à la B.O.), préfigure les thématiques d’Invasion Los Angeles ou Matrix. Les « terroristes sonores » seraient les équivalents audio de John Nada ou des hackers de la bande de Néo. (J-F.D.)
Popcorn de Mark Herrier (USA, 1991) / Fondu au noir de Vernon Zimmerman (USA, 1980)
Sous catégorie du Cabinet des curiosités, les Ciné-folies furent l’occasion de découvrir deux longs-métrages partageant une réflexion commune sur le septième art : Popcorn de Mark Herrier et Fondu au noir de Vernon Zimmerman. Le premier, réalisé en 1991, se pose en pur produit de vidéoclub, dont l’affiche marqua de nombreux esprits parmi les accros aux VHS. On y suit Maggie (Jill Schoelen), étudiante qui écrit des scénarios à partir de ses propres cauchemars. Afin de financer la réalisation d’un film, elle organise avec ses camarades de classe un festival horrifique dans un vieux cinéma délabré. Sur place, ils découvrent d’antiques bobines qu’ils s’empressent de projeter…
Coupons court à tout débat, Popcorn n’est pas un chef-d’œuvre oublié, pas même une franche réussite, mais son statut méta le place parmi les précurseurs du genre. Cinq ans avant Scream, il met en scène des personnages de fans qui connaissent sur le bout des doigts tous les gimmicks et poncifs de leurs films préférés. Mêlant teen comedy et tueur psychopathe, il se pose en hommage sincère et véritables aux séries B des années 50 et 60 (en témoignent les films diffusés, hilarantes parodies de SF vintage), pas si éloigné en cela du très bon Panic sur Florida Beach de Joe Dante. Le « héros », Mark (Derek Rydall) s’avère être un crétin incapable, laissant le champ libre à Maggie, véritable final girl forte et indépendante. Il est à noter que Bob Clark (réalisateur de Black Christmas, acte fondateur du slasher) est l’un des producteurs, expliquant probablement la lucidité et le regard apposé aux codes du genre. Ainsi, une scène s’avère très réussi et se questionne intelligemment sur son matériau : le tueur (au look iconique) tient une potentielle victime et demande à l’assistance (qui croit que tout cela n’est qu’une mise en scène) s’il doit la tuer ou non. La salle répond par l’affirmative avec jubilation, référence probable au côté interchangeable des personnages et au désir du public de voir encore plus de sang, de violence. Marqué par le spectre de la Manson Family (la figure du gourou assassin) et du giallo, le film gagne à être revu à l’aune des évolution d’un cinéma d’horreur qui s’est depuis, trop souvent vautré dans un second degré agaçant.
Fondu au noir, quant à lui, fait du cinéphile, un personnage exclu du monde qui l’entoure (en l’occurrence le Los Angeles du début des années 80), qui va peu à peu perdre pied avec la réalité. Le jeune Eric Binford (Dennis Christopher) vit chez sa tante paralysée. Fan de cinéma, il découvre l’amour à travers le sosie de Marylin Monroe (Linda Kerridge). Les mésaventures qu’il rencontre au niveau personnel et professionnel, vont l’amener à s’identifier aux héros de ses films préférés et commettre des meurtres vengeurs…
Ce qui frappe en premier dans la peinture de cet Hollywood vu à travers des petits travailleurs, ou des starlettes en quête de célébrité, c’est à quel point le septième art est présenté comme omniprésent dans la vie de chacun. Il contamine même les événements historiques, ainsi, certains personnages se questionnent pour savoir quel était le film préféré d’Hitler, ou quels longs-métrages étaient diffusés à Dallas lors de l’assassinat de Kennedy. Au milieu de cet environnement, Eric est un garçon un peu perdu, sans repère, qui est raillé par ses collègues (parmi lesquels un jeune Mickey Rourke). Ayant acquis une certaine confiance en lui en prenant pour modèle les héros de pellicule auxquels il s’identifie (James Cagney en tête, dont il singe la voix et les mimiques), il arrive à séduire Marylin. Tous deux finissent par former un couple de paumés que l’impitoyable ville californienne va peu à peu détruire. Elle n’accède pas à la notoriété qu’elle désire, lui est floué par un producteur qui lui vole son idée de film. Zimmerman parsème son film d’extraits de classiques hollywoodiens, venant brouiller les frontières entre le monde réel et les fantasmes du protagoniste (« Top of the worlde, Ma’ ! »). Au final, les nombreuses références n’entravent en rien l’attachement à ces figures de marginaux et apporte, au contraire, une dimension émouvante à ce qui, sans ça, ne pourrait être qu’une série B divertissante et riche en clins d’œil. (J-F.D.)
La Puissance du feu de Jamil Dehlavi (Royaume-Uni, 1987) / The Burning Buddha Man de Ujicha (Japon, 2013) / Vij de Constantin Erchov & Georgui Kropatchev (URSS, 1967) / Seeding of a Ghost de Yang Chuan (Hong Kong, 1983)
Sélection riche en curiosités et découvertes, Le Mysticisme par la face Est visait à explorer les mythes et légendes de pays Orientaux à travers quatre longs-métrages. Le moment fort de la section fut la projection de l’excellent La Puissance du feu de Jamil Dehlavi. Le film, déjà chroniqué dans nos pages au moment de sa sortie en Blu-Ray chez Powerhouse, prend place dans une Turquie mystique et offre, au milieu de visions d’une beauté sidérante, une approche magique et ésotérique à tout acte de création.
Passons rapidement sur The Burning Buddha Man réalisé par Ujicha, dont la méthode d’animation pour le moins originale et les innombrables références à Jérôme Bosch, H.R. Giger ou David Cronenberg, ne sauraient faire oublier les nombreux défauts. Très geek et finalement assez prosélyte dans son approche des mythes bouddhistes, il souffre également d’une BO horrible et d’une technique rendant le tout statique et soporifique. Dommage.
Les bonnes surprises vinrent de Vij et de Seeding of a Ghost. Le premier, signé Constantin Erchov et Georgui Kropatchev, seul long-métrage d’horreur produit en URSS, prend les atours du récit picaresque pour raconter l’histoire de Khoma (Leonid Kuravlyov), un jeune séminariste qui, après un tragique accident est condamné à veiller le corps d’une jeune défunte afin de prier pour son âme… Construit en trois actes, comme autant de nuits que le jeune homme passe au chevet de la morte, le film quitte rapidement son premier tiers empli de blagues paillardes, pour rejoindre un fantastique proche de Mario Bava. Le final, absolument dément, en forme de grand sabbat, rejoint les expérimentations visuelles et colorées du maestro italien autant que le segment Une Nuit sur le Mont Chauve du Fantasia de Walt Disney dans ses fulgurances graphiques.
Enfin, Seeding of a Ghost de Yang Chuan demeure l’un des moments les plus fendards de ce festival. Production Shaw Brothers, alors en pleine phase fantastique, le film suit le destin d’Irene (Maria Yuen Chi-wai), une jeune femme qui délaisse son mari, Chow (Philip Ko) pour son son amant (Norman Chu). Une nuit, au milieu de nul part et tombe face à deux jeunes écervelés qui la brutalisent, la violent, et finissent par la tuer involontairement. Le film, pas si éloigné des excès de la Catégorie 3 hongkongaise, se pose en étendard de cinéma mal élevé de de mauvais goût. Généreux, imaginatif bien que fleurant bon l’amateurisme de toute part, et constamment à deux doigts de sombrer dans le grotesque pur et simple, il s’avère incroyablement réjouissant. Passé un premier quart d’heure qui ressemble à un mauvais téléfilm érotique cheap, le reste remplit toutes les attentes du cinéphile déviant. Viol, nécrophilies, monstres en plastique, et même kung fu (au détour d’une scène réussie qui renvoie aux origines de la compagnie de production), le long-métrage relève plus du nanar attachant que de la pépite du genre. Une séquence réussie de copulation avec une créature en animation n’y changera rien, c’est lors de ses moments de surenchères en tous genres que Seeding of a Ghost trouve son véritable intérêt. (J-F. D.)
Torrente, le bras gauche de la loi de Santiago Segura (Espagne, 1998)
Réalisateur de plusieurs courts-métrages à partir de la fin des années 80 (Relatos de la médianoche, Evilio, Perturbado,…), Santiago Segura se fait remarquer dans les premiers longs d’Álex de La Iglesia. D’abord Action Mutante en 1992 puis surtout Le Jour de la bête, pour lequel il est récompensé d’un Goya de la meilleure révélation Acteur. Courtisé, ses apparitions se multiplient alors au cours de la deuxième moitié de la décennie 90. Il change de dimension lorsqu’il retourne à la réalisation et donne vie au personnage de Torrente. Présenté à la Semaine de la Critique de 1998, à l’intérieur d’une sélection proposant également Seul Contre Tous de Gaspar Noé ou Sitcom de François Ozon, cette comédie deviendra un véritable phénomène en Espagne où elle réunira plus de trois millions de spectateurs. Le film s’octroie même le luxe de quelques prix aux Goya (meilleur second rôle masculin pour Tony Leblanc) avant de connaitre pas moins de quatre suites. Torrente, le bras gauche de la loi nous conte l’histoire d’un policier machiste, raciste, lâche et d’une vulgarité sans nom, qui décide de démanteler, à sa façon, un trafic de drogue. Il monte alors une équipe composée de la fine fleur de ce qui se fait de pire à Madrid. Projeté en ouverture d’un double programme d’une soirée placée sous le signe de la « Provoc’ et du Mauvais Goût », ce premier, opus près d’un quart de siècle après sa sortie, n’a rien perdu de son pouvoir comique jubilatoire !
Parodie de comédie policière revisitant à la sauce hispanique un registre alors en déficit de références européennes (la seule notable serait le premier Taxi, ce qui est donc tout relatif), Torrente, le bras gauche de la loi, reprend à son compte les figures de style imposée du genre avant tout pour dérouler le tapis rouge au show jubilatoire de son acteur, scénariste et réalisateur : Santiago Segura. Ce dernier campe un personnage odieux et indéfendable d’un bout à l’autre du métrage, endosse avec un premier degré déconcertant et une réelle délectation, un rôle à la fois repoussoir et jouissif. Segura ne se refuse à aucune outrance, ne recule devant aucune limite morale, mieux, en faisant corps avec son protagoniste en toute désinhibition, il trouve un équilibre périlleux mais réel entre le fous rire gras et la gêne, le dégoût. D’une sincérité totale, il dévoile une capacité à assumer le pire sans le moindre remord qui relève presque de la candeur, faisant de cet antihéros naturellement répulsif, un individu au bout du chemin légèrement attachant, ce qui est en soit exploit au vu de toutes les horreurs qu’il inflige à ceux qui croisent sa route. L’efficacité redoutable de son comique tiens davantage à son abattage effréné qu’à sa mise en scène essentiellement fonctionnelle (potentiel talon d’Achille du film), en dépit d’une gestion du rythme non négligeable. En revanche, qu’on ne s’y méprenne pas, si Torrente exploite les bas instincts, les pensées les plus rances en vogue dans la société espagnole de la fin 90, c’est moins pour les flatter que les pousser à l’extrême, jusqu’à un point de non retour. Cet être manifestement ignoble, excellemment tourné en dérision, concentré déformant et exacerbé du pire, est envoyé en pleine face d’un spectateur, à la fois hilare et embarrassé, en quête vaine de repère véritablement positif. À mourir de rire et beaucoup moins gratuit qu’il n’y paraît ! (V.N.)
Ichi The Killer de Takashi Miike (Japon, 2001)
Déjà mis en avant lors de la soirée thématique de 2020 avec le très bon (et méconnu) Lesson of the Evil, l’ultra prolifique Takashi Miike était de nouveau à l’honneur pour la deuxième partie de la soirée « Provoc’ et du Mauvais Goût ». Réalisé (notamment) entre le deuxième et le troisième Dead or Alive, Ichi The Killer s’inscrit au cœur de l’une des phases les plus exposées de la carrière de son auteur, lorsque ses films trouvaient encore plus ou moins régulièrement le chemin des salles obscures (La Cité des âmes perdues, Visitor Q ou Audition, ont par exemple eu cet honneur). Malgré cette cote passagère, le long-métrage dut pourtant se contenter d’une sortie DVD dans l’hexagone en 2006 soit cinq ans après sa réalisation. À la joie de le découvrir tardivement sur grand-écran, s’ajoutait la qualité de la copie proposée, restaurée en 2017 par la cinémathèque de Bologne. Adaptation d’un manga éponyme d’Hideo Yamamoto (à noter que la photographie est signée d’un homonyme) par Sakichi Sato (Charlie Brown dans Kill Bill Volume 1 et 2, scénariste de Gozu), il s’inscrit sur le papier dans la tradition du thriller criminel relativement classique. Un chef de gang a disparu, ainsi qu’une énorme somme d’argent qu’il avait en sa possession. Ses hommes se lancent à sa recherche, pensant d’abord à un coup d’une bande rivale. Mais ils découvrent rapidement que c’est un tueur professionnel qui se cache derrière toute cette affaire… Dans les faits, il s’agit d’un terrain de jeu rêvé pour le metteur en scène qui trouve ici une matière lui permettant de pousser très loin ses obsessions et expérimentations filmiques.
L’introduction frénétique donne le ton d’une mise en scène sous ecstasy, multipliant très vite les séquences d’une violence à la limite du soutenable, introduisant ses personnages dans l’outrance et limitant les instants de respiration. Takashi Miike nous étouffe immédiatement sous un flot d’images impactantes, pose les contours d’un univers gore et extrême, véritablement hors normes. Expérience radicale, Ichi the Killer n’a pas la moindre considération pour la notion de bienséance à laquelle il adresse tout du long un fier doigt d’honneur. Provocateur assumé et artiste foncièrement fêlé, le cinéaste trouve ici une matière idéale pour pousser au maximum les curseurs du trash et du mauvais goût. Certaines scènes, littéralement écœurantes, jouent avec les capacités de résistance du spectateur, partagé entre la nécessité de détourner le regard et le désir d’affronter malgré tout ce qui lui est infligé. Pourtant, derrière cette dimension choquante et éprouvante, se dessine peu à peu un double portrait, emmenant le film beaucoup plus loin que le simple exercice de style. Le microcosme criminel, observé avec cruauté et férocité, se fait l’allégorie d’un Japon sinistre, prisonnier de ses traditions archaïques, dont les pulsions les plus ignobles explosent à l’écran telle une irrépressible catharsis. Peinture d’une société dégénérée et amorale, la charge critique, aussi puissante qu’implicite, se nourrit du genre investi afin de le contaminer de toutes ses pores, se fondre dans son ADN comme un détail anodin. Surtout, à travers la figure de l’antagoniste, Kakihara, tueur sadique et masochiste, Miike trouve un formidable avatar, imprévisible et à sa manière inspiré, virtuose de la torture, à la recherche de défis à sa démesure. Ichi the Killer, n’est alors plus seulement l’œuvre paroxysmique d’un fou furieux se livrant à tout les excès, mais aussi une introspection dérangeante et mal aimable. Un must see à découvrir en connaissance de cause. (V.N.)
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