J Blakeson –  » I care a lot « 

Ça fait plaisir de revoir Rosamund Pike 7 ans après Gone Girl endosser à nouveau un personnage machiavélique. Mais quelque chose a changé dans son visage, autrefois plutôt doux et poupon, plus enclin à interpréter des rôles anecdotiques, sans réelle épaisseur même si le contre-emploi dans le film de David  Fincher impressionna les spectateurs surpris de la voir changer sous nos yeux au fur et à mesure de l’évolution du récit. A 42 ans, elle a un regard plus affirmé, ses traits se sont durcis : ce qui lui convient à merveille dans I care a lot, comédie noire particulièrement méchante que l’on n’attendait pas sur ce terrain de la part de J Blakeson après son très fade La 5ème vague.

Rosamund Pike incarne Marla Grayson, une tutrice reconnue travaillant auprès de personnes âgées, qui ont tous comme point communs le fait d’être riches. Avec le soutien de sa jeune compagne, d’une médecin corrompue et d’un juge qui ferme constamment les yeux, elle arnaque depuis des années des individus en fin de vie dans le seul but d’extorquer leur argent et leurs biens. Marla mène une vie de luxe tout en étant adoubée par ses pairs, considérée comme une bienfaitrice de l’humanité alliant pragmatisme et humanisme. Mais comme rien n’est éternel, sa nouvelle victime, une grand-mère dynamique et pétillante qui n’a rien de sénile, n’a pas seulement tous ses esprits mais cache un terrible secret qui va mettre la tutrice en danger et la confronter à des gens pires qu’elle. A moins que …

I Care A Lot: Eiza Gonzalez, Rosamund Pike

Copyright Netflix

 

Le point de départ de cette satire cauchemardesque s’avère des plus alléchants d’autant que le film est mené à un rythme d’enfer, démarrant sur les chapeaux de roue, laissant augurer le meilleur. Les dialogues font mouches, les évènements s’enchainent sans temps morts. La peinture acerbe d’un milieu exerçant sur le terreau social, censé être dans l’empathie, se révèle jubilatoire ; on rit au dépend de victimes innocentes et sans défense, incapable de se rebeller. Évidemment, le spectateur attend le grain de sable qui va enrayer la machine parfaitement huilée de l’affreuse Marla et ses complices.

Auteur complet de son film, J Blakeson pousse les curseurs très loin, s’adonne à un esprit politiquement incorrect qui fait du bien en ces temps de bien-pensance généralisée ; dans ce jeu de massacre personne n’est épargnée. Le réalisateur s’amuse avec une saine provocation, à entacher l’image des minorités par pur esprit de jeu, sans pour autant être dans la stigmatisation. Un équilibre sur le fil rouge mais bien tenu qui s’avère payant du moins pendant la première heure.  Ici, les méchants sont des lesbiennes arrivistes et un nain diabolique qui n’a qu’une faiblesse, son amour pour sa chère maman. Même la figure paternelle du juge noir, d’une lâcheté peu commune, est tournée en dérision, sans parler d’un corps médical qui n’en sort pas grandi. Aucun personnage n’a droit au salut dans ce thriller enlevé, drôle et plutôt bien construit, qui accuse néanmoins un problème de souffle dans une deuxième partie qui patine légèrement. En revanche ne cherchez aucune réflexion sur le rôle équivoque des tuteurs et de la médecine à deux vitesse aux États-Unis ! Ce n’est pas le sujet.  I car a lot n’est qu’un divertissement (à moitié) réussi et c’est déjà pas mal en ces temps moroses.

I Care A Lot: Rosamund Pike, Peter Dinklage

Copyright Netflix

En revanche, et c’est bien là que le bât blesse, la mise en scène purement fonctionnelle, n’a rien d’exceptionnelle, elle est même, et c’est bien dommage, très paresseuse :  elle épouse, comme certaines bonnes séries, un scénario bien écrit et retors, qui n’a pour seule faiblesse que de céder dans son épilogue aux sirènes d’un moralisme attendu mais aux antipodes de l’esprit général du film. Cette concession logique, imposée ou non par les studios, n’arrive pas, malgré tout, à atténuer l’atmosphère délicieusement cruelle qui irradie cette bonne surprise produite par Netflix, interprétée par des comédiens qui visiblement s’amusent beaucoup, Rosamund Pike en tête bien sûr. Elle est entourée de la charmante Elsa Gonzales aperçue dans Alita, Dianne West magnifique actrice associée à plusieurs reprises à Woody Allen et surtout Peter Dinklage, célèbre pour jouer dans Game of Thrones. En nain maffieux russe, il est absolu génial, terrifiant et drôle dans ce joyeux pastiche qui évoque dans ses meilleurs moment le cinéma décalé des Frères Coen. Il manque juste à son réalisateur un peu de génie et d’inspiration formelle pour attendre les hauteurs d’un Fargo. Mais nobody’s is perfect.

 

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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