Volée de bois vert pour le nouveau Jim Jarmusch présenté en ouverture du festival de Cannes, qui a déçu non seulement les critiques mais aussi le public. Peut-être pas la meilleure façon d’ouvrir les festivités et surtout erreur tactique d’exposer un film très attendu aussi bien par les fans de zombies que par les admirateurs de Jim Jarmusch, revenu en pleine forme il y a deux ans avec le magnifique Paterson. L’affiche très attirante et le casting excitant portaient à son comble l’attente. Passer 1 h 43 en compagnie de Bill Murray, Iggy Pop, Adam Driver, Steve Buscemi, Danny Glover, Chloé Sevigny, Tom Waits, Tilda Swinton, pour la plupart des habitués, plus quelques guest-stars issus de la scène underground comme Eszter Balint, RZA ou la revenante (c’est le cas de la dire) Sara Driver, ressemble un peu à une réunion / bilan / synthèse où Jim Jarmusch convie une dernière fois ses amis à faire un dernier tour de piste, à s’amuser dans un entre-soi un peu autiste mais réjouissant, comparable à une grosse biture entre potes avant la fin, se moquant éperdument de ce qu’il faut faire ou pas en matière de films de genre. L’intrigue est en elle-même d’une linéarité désarmante: dans une petite bourgade, Centerville, perdue au fin fond de l’Amérique, dans un contexte écologique de fin du monde relayé par les infos télévisuels, les morts se relèvent une dernière fois pour assouvir leurs réflexes consuméristes, principe déjà présent dans le chef d’œuvre de George Romero, Zombie. Mais aussi pour se nourrir, sinon ce ne serait pas drôle.
Jim Jarmusch n’a plus rien à prouver lui qui s’est délecté à revisiter le western (Dead man), le film de vampires (Only lovers left alive) et l’univers des yakuzas (Ghost dog). Mais toujours avec l’idée de l’errance, du temps suspendu, du surplace. Et au fond d’une absurdité existentielle.
Le dandy punk du cinéma n’a cure de brosser dans le sens du poil les attentes du spectateur, de lui servir sur un plateau ce qu’il désire à l’heure d’un formatage inquiétant en terme de narration et d’esthétisme, formatage incombant sans aucun doute à la dictature des séries. Par pure provocation, et un brin de lassitude, The dead don’t die n’avance pas, se répète, saborde consciemment tous les enjeux du récit. Pire, et c’est sans doute sa plus belle audace qui risque d’être incomprise, il s’en prend à l’imbécillité de tout un cinéma méta du film dans le film en exposant paradoxalement le jeu de manière frontale, frustrant d’emblée le spectateur quitte à le mettre en colère. Lorsque Bill Murray, en flic proche de la retraite, se demande bien où il a déjà entendu le morceau de country « The dead don’t die« , vieux tube de Sturgin Simpson, Adam Driver lui répond qu’il s’agit du morceau du film. Cette réplique n’est pas à pendre au premier degré, encore pour moins pour une esquisse de mise en abîme façon Scream. Il s’agit pour Jim Jarmusch d’ironiser sur la création fabriquée d’un cinéma conceptuel tout en avouant qu’il ne révolutionnera en rien le film de zombie, préférant s’amuser avec les codes. Rien n’est à (ré-) inventer. Il ne fait que s’incliner à demi-mot devant sa propre impuissance à renouveler son cinéma. Dans la même ligne de conduite, tout le système de citations raille la profusion jusqu’à saturation des références permanente de la pseudo modernité contemporaine de petits malins. En ce sens, Jarmusch n’a strictement rien à voir avec un Tarantino si ce n’est une passion commune pour les pelloches déjantées du cinéma d’exploitation. Plus loin dans le récit, il se permet de bifurquer vers la science-fiction de manière totalement extravagante, hommage sincère aux serials, à l’inventivité délirante au sein de la série B la plus décomplexée.
Au delà d’un postulat bien mince se cache un film émouvant, testament d’un auteur fatigué, qui peine à se réinventer, tirant une révérence élégante aux artistes qui ont construit sa culture et sa pensée. Derrière les citations grotesques, notamment à Star wars et Psychose, ce sont les fantômes de William Blake et d’Henri David Thoreau qui hantent la pellicule, à travers la figure de l’ermite incarné par un Tom Watts hilarant. Ses derniers mots « apocalyptiques » : « Quel monde de merde » ne sont pas près d’être oubliés.
Au début des année 90, Wim Wenders, déclarait que le cinéma était mort avec ce mélange de sincérité et d’arrogance dont il était coutumier. C’était l’époque de l ‘ambitieux Jusqu’au bout du monde, descendu par la presse à sa sortie. Plus prudent Jim Jarmusch, qui assume d’endosser le costume du vieux croque-mort goguenard de service, nuance ces propos en énonçant qu’un certain cinéma est mort. Celui des mavericks, des rebelles sans cause, dont la généalogie n’est pas évidente à tracer mais parmi lesquels on peut citer Samuel Fuller, Nicolas Ray, Robert Aldrich et bien sûr George Romero. Réaliser un film de mort vivant à l’ancienne n’a rien de gratuit, la démarche s’invitant dans une logique mélancolique.
Objectivement , The dead don’t die est un film qui inscrit le ratage dans son projet, ce qui peut être assimilé à du foutage de gueule pour certains mais qui devient très touchant pour peu que l’on dépasse les premières impressions. Cette paresse engourdit tous les personnages du film, les vivants comme les morts, tous résignés, gagnés par une désillusion générale, répétant les mêmes gestes et phrases dans un espace temps qui s’est figé. Baignant dans un climat familier proche du cinéma redneck, gagné par la torpeur et l’immobilité, The dead don’t die ne triche pas, ne ment pas sur la marchandise. La lenteur, anachronique dans un monde où il faut aller toujours vite, permet à Jim Jarmusch de continuer à filmer comme personne les lieux désertiques, à imprimer son regard de peintre sur les vieux motels décrépits, les boutiques déglinguées, les maisons abandonnées, les stations-service d’un autre âge. Il reste le cinéaste de l’Amérique des déshérités, de ceux qui ne veulent pas rentrer dans la course ou ne peuvent pas. La galerie de personnages, entre le jeune cinéphile arborant un tee-shirt de Nosferatu, le plouc de service raciste, les flics à moitié endormis, Iggy Pop en zombie assoiffé de sang et de café, la patronne du funérarium adepte de la décapitation au sabre et les jeunes issus du centre de détention, s’avère d’ailleurs assez truculente. A la vue de son film de déterrés certains s’empresseront d’ensevelir Jarmusch. Un peu vite. Troué d’un humour inégal et de quelques saillies gore réjouissantes malgré des effets numériques sommaires The dead don’t die laisse entrevoir le rire amer d’un auteur conscient de ne plus être le maître du cinéma indépendant. Il ne comprend plus son époque et ne souhaite pas la comprendre. Cet aveu rend le film bouleversant par intermittence derrière le vernis d’une pochade horrifique sans conséquence.
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