Il était une fois dans l’est (Once in Trubchevsk dans la version anglaise) se présente comme une chronique réaliste sur le quotidien d’habitants d’une petite ville de Russie. Aux antipodes géographiques du chef-d’œuvre de Sergio Leone – Il était une fois dans l’Ouest – le nouveau film de Larissa Sadilova prend aussi le contrepied narratif de l’opus de Leone en refusant le sensationnel ou la grandeur épique, mais en jouant délibérément la carte de l’ordinaire, du banal, sans toutefois exclure la poésie. Deux amants n’ont d’autre moyen pour s’aimer et désamorcer les soupçons de leur conjoint que de se retrouver sur la route, alors même qu’ils sont voisins. Lui est chauffeur routier, elle tricote des moufles et des écharpes, qu’elle va vendre dans les grandes villes. Chacun des amants retire un plaisir coupable de ces escapades clandestines. Malgré une mise en scène bien rodée, quand le pot aux roses est découvert, chacun se retrouve face à ses responsabilités.
Si la première moitié du film peut sembler un peu longue, c’est que la réalisatrice décide d’immerger lentement le spectateur dans cette localité tranquille aux couleurs automnales, de prendre le pouls de la petite ville de Trubchesvsk, d’en parcourir les paysages apaisants. Le spectateur découvre ses habitants et rencontre en chemin les personnages principaux du film, deux amants dont l’entente silencieuse va bientôt se craqueler. Une fois l’adultère découvert, chacun n’assume pas de la même manière son infidélité, décalage qui donne lieu à des péripéties où domine une tonalité douce-amère.
Refusant d’emprunter le chemin du drame comme celui de la farce, Larissa Sadilova pose un regard tendre et distancié sur ses protagonistes et rend compte de manière réaliste des conséquences de l’infidélité dans chaque foyer. Certaines scènes toutefois échappent à cette apparente neutralité, et lorgnent vers la comédie, comme ce fabuleux épisode cartoonesque où Anna, la maîtresse du routier, affublée de sa longue chemise de nuit, danse de manière langoureuse devant son amant, alors que celui-ci engloutit son petit-déjeuner comme une brute. Au son d’une musique qui va crescendo, les plans de la jeune femme en train de se trémousser près du lit alternent de plus en plus rapidement avec ceux de l’homme qui s’empiffre de fromage blanc, hochant la tête d’un air satisfait.
Au-delà de l’intrigue sentimentale, c’est certainement la subtile représentation des rapports hommes-femmes qui constitue l’intérêt majeur d’Il était une fois dans l’est. Si dans les faits, la petite communauté de Trubchesvsk semble régie par un ordre patriarcal, si le mari incarne en façade l’autorité et la force, à y bien penser, ce sont les femmes qui font ici figure de discrètes héroïnes. Les personnages féminins sont les moteurs de la petite comme de la grande histoire, à l’image de cette grand-mère antipathique qui régit son monde d’une main de fer et traite encore son fils quinquagénaire comme un bébé, ou de la courageuse héroïne, avatar de Pénélope, qui prend toutes les décisions difficiles, en attendant que son amant se décide enfin à agir. Aucune n’est représentée comme une victime, et tout en subissant un sort souvent peu enviable, ces femmes déploient une énergie et une force de caractère hors du commun. A cet égard, la séquence touchante qui donne à entendre le témoignage d’une très vieille femme, témoin de l’invasion allemande, est particulièrement emblématique. En racontant comment sa propre mère, veuve ayant à élever cinq petites filles, s’est battue pour que celles-ci puissent manger à leur faim, elle fait l’éloge indirect d’une mère courage. Un peu plus tard, une séquence donne à nouveau la parole à ce personnage. On s’étonne alors que cette très vieille femme, rescapée de la guerre, ait surtout survécu aux violences domestiques, elle qui conseille à Anna en matière conjugale de se taire et d’encaisser les coups. Dans le même sens, il n’est peut-être pas anodin que, dans la séquence finale du film, l’invitée d’honneur, à l’occasion de la fête nationale, soit une femme. Cette figure de la résistance, qu’un des personnages masculins traite de « mémé », incarne par sa longévité et sa bravoure une forme de résilience et de combattivité acharnée face au destin.
Initialement pensé comme une série de courts-métrages organisés autour des saisons, on peut tout de même se demander si Il était une fois dans l’est n’aurait pas trouvé là sa forme la plus aboutie. La trame narrative ténue aurait en effet pu donner lieu à un joli conte cinématographique. Et si le mélange entre la fiction et le documentaire n’enlève rien au charme du film, il ne tient cependant pas toutes ses promesses.
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