Le contrôle cinématographique en France est le fruit de l’union improbable entre la rigueur du juriste et la fougue du passionné de cinéma bis et d’exploitation. En effet, Christophe Triollet est juriste de formation et depuis de longues années, il étudie la réglementation du cinéma. Par ailleurs, il est le rédacteur en chef d’un fanzine de très haute tenue, Darkness magazine, qui consacre régulièrement de copieux dossiers à la censure sous toutes ses formes.
C’est sans doute cette double casquette qui rend l’ouvrage aussi passionnant. Alors que le lecteur pouvait légitimement craindre l’accumulation indigeste d’arrêtés, de décrets, de délibérations dans un ouvrage de ce genre, Triollet a le talent de rendre tous ces textes juridiques vivants sans se départir pour autant de la rigueur nécessaire à ce type d’exposé.
Il faut dire que la censure est une question qui intéresse tous les cinéphiles en ce sens qu’elle est un révélateur des limites qu’une société se fixe et de la manière dont l’art interroge ces limites, les transgresse. Elle permet également d’appréhender l’évolution des mœurs et le degré de permissivité qu’une société peut tolérer. Il est assez frappant de lire dans l’essai un entretien de 1993 avec Jean-François Théry qui fut président de la Commission de classification de 1981 à 1994. Son discours est plutôt libéral, précisant que le travail de la Commission n’est pas de censurer les films mais d’élaborer une classification permettant aux spectateurs d’aller voir les films en ayant une idée de leur contenu. Pourtant, lorsqu’il évoque la question de l’homosexualité à l’écran, ses paroles semblent anachroniques, notamment lorsqu’il évoque un possible « danger pour la jeunesse », ajoutant ensuite qu’ « il y a une homosexualité naturelle et une homosexualité culturelle, qu’il y a une homosexualité « prosélyte et triomphante » et une homosexualité de refuge. » ! A travers ces paroles, on mesure le chemin parcouru quant à la représentation de l’homosexualité à l’écran qui, en 1993, n’était pratiquement admise que dans le cadre strictement limité de la pornographie !
Après avoir dressé un panorama historique très complet de l’évolution du contrôle cinématographique en France (de l’interdiction de toute représentation cinématographique de la quadruple exécution capitale à Béthune en 1909 jusqu’à la possibilité d’interdire tout spectacle contraire à la dignité de la personne humaine, de la mise en place progressive d’un contrôle d’État en passant par le pouvoir d’interdire des maires selon les « circonstances locales »…) ; Christophe Triollet revient en détail sur les domaines particulièrement sensibles en terme de contrôle, que ce soit le sexe, la religion, la violence ou encore la politique.
Si l’on peut estimer que la « censure politique » qui interdisait les films de René Vautier ou Le petit soldat de Godard a aujourd’hui disparu, « le sexe et la violence ont fortement influencé les décisions de la Commission et constituent encore avec la religion, les principales sources de contestations, de reproches et d’actions engagées contre le cinéma. ».
Là encore, l’exposé de Triollet est parfaitement clair et passionnant, revenant avec précision sur la libéralisation progressive du cinéma et l’épineuse question de la pornographie qui, au cours de l’année 1975, va connaître un essor considérable et vivre une époque glorieuse « entre deux censures ». Ce sera alors l’adoption de la « loi X » qui condamne ce type de productions aux circuits spécialisés et à un matraquage fiscal. Puis en 2001, c’est l’affaire Baise-moi qui réintroduit en France l’interdiction aux moins de 18 ans, réservée depuis 1990 aux seuls films pornographiques.
L’auteur expose avec justesse tous les enjeux du sexe à l’écran et revient sur la difficile appréciation pour le législateur de trancher entre ce qui est « indécent » et ce qui est « obscène » (selon la terminologie adoptée aux États-Unis). A travers les exemples d’affaires récentes (Ken Park, Clip, Nymphomaniac, La vie d’Adèle…), il évoque les problèmes posés par la représentation du sexe à l’écran, surtout lorsqu’il met en scène des personnages mineurs ou des actes non simulés dans le cadre d’un film non pornographique. De la même manière, si la pornographie est tolérée dans un certain cadre, Triollet pose le problème des « perversions » (zoophilie, nécrophilie…) et montre une fois de plus la difficulté de légiférer lorsque le cinéma franchit les limites communément admises.
Il est un peu surprenant que dans l’esprit du législateur persiste toujours cette idée d’accoler systématiquement sexe et violence. A titre d’exemple, la loi X de 1975 créée la catégorie des films à caractère pornographique mais également « d’incitation à la violence ». C’est pour cette raison que de nombreux films d’horreur mythiques de la deuxième moitié des années 70 furent interdits en France. Classés X en raison de leur violence (Massacre à la tronçonneuse, Mad Max, Les guerriers de la nuit, Zombie…), ces films ne pouvant décidément pas être projetés dans les salles spécialisées dans la pornographie ne sortiront en France qu’au prix de quelques coupes (Mad Max, Les guerriers de la nuit) ou directement en vidéo (Angst de Kargl, Maniac de Lustig). Il faudra attendre 1981 et l’arrivée de Jack Lang au ministère de la culture pour que ces films « d’incitation à la violence soit « libérés » de cette classification X. Mais encore de nos jours se pose la question de l’influence de la violence sur les spectateurs (voir de la violence rend-il violent ou agit-elle comme une catharsis?) et Triollet expose avec beaucoup de pertinence les enjeux de ces débats, en s’appuyant comme toujours sur des exemples précis (notamment celui d’ A serbian film)
Dernier domaine sensible : la religion. De l’interdiction de La religieuse de Rivette jusqu’aux dernières affaires autour de la « théorie du genre » et de la diffusion de Tomboy sur Arte en passant par le Je vous salue Marie de Godard et La dernière tentation du Christ de Scorsese ; l’auteur revient sur le thème toujours brûlant de la « liberté d’expression » et du « blasphème ». Dans quelle mesure la liberté artistique peut (doit?) heurter la liberté de conscience ? On sait que l’église catholique a toujours accordé un statut privilégié au cinéma, n’hésitant pas à créer son propre système de classification et de prescription pour les fidèles et si son influence a aujourd’hui beaucoup diminué, certains groupes de pression (du style Promouvoir) demeurent très actifs pour censurer les films.
On l’aura compris, le panorama dressé par Christophe Triollet est très complet et il l’enrichit d’un chapitre très intéressant sur les dispositifs de contrôle mis en œuvre aux États-Unis. Il n’oublie pas non plus de rendre-compte des contrôles qui existent sur les affiches (d’ Ave Maria de Jacques Richard à L’inconnu du lac, certaines ont posé problème), les bandes-annonces et sur les affaires de censure qui ont pu exister au niveau local puisque les maires conservent toujours ce pouvoir d’interdire certains spectacles sur leur commune (voir à ce titre l’exemple passionnant de L’ordre et la morale de Kassovitz).
Pour tous ceux que passionnent ces questions de censure, Le contrôle cinématographique en France est un ouvrage indispensable, à la fois clair et approfondi, méticuleux et exaltant.
Le contrôle cinématographique en France
Christophe Triollet
Éditions de L’Harmattan (2015)
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