Pour le cinéphile lambda, le cinéma russe contemporain se réduit à quelques réalisateurs dont les œuvres parviennent encore à se frayer une place sur nos écrans (Sokourov, Lounguine, le regretté Alexeï Guerman, le dinosaure Mikhalkov et le nouveau venu Zviaguintsev). C’est donc peu dire que ce continent, à l’exception de quelques spécialistes et rats de festival, reste largement méconnu.

Le premier mérite de Cinéma russe contemporain, (r)évolutions, ouvrage collectif dirigé par Eugénie Zvonkine, c’est de dresser un panorama très complet de la situation d’une cinématographie qui a connu de profondes mutations au cours des décennies précédentes puisqu’il a fallu pour les cinéastes composer avec l’héritage du passé soviétique et réinventer de nouvelles formes après les espoirs déçus du cinéma de la pérestroïka (que sont devenus Vassili Pitchoul – La Petite Véra– et Vitali Kanevski – Bouge pas, meurs et ressuscite– ?).

L’ambition du livre est d’aborder la question du cinéma russe contemporain sous tous les angles : historique et esthétique, bien entendu, mais également d’un point de vue économique, à l’image d’une première partie entièrement consacrée à l’exploitation cinématographique et aux évolutions du fonctionnement de l’industrie du septième art russe. Les deux textes sont denses, sérieusement documentés (voir les multiples graphiques et tableaux qui illustrent le texte de Joël Chapron) et, avouons-le aussi, plutôt pointus pour ceux qu’intéressent moyennement ces questions.

D’ailleurs, s’il fallait faire une réserve sur cet ouvrage, c’est sans doute sur son caractère très universitaire qu’il faudrait insister. Cette approche a évidemment de nombreux avantages (rigueur, scientificité…) mais elle a parfois tendance à dévitaliser la passion cinéphile au profit d’une froide auscultation. Les œuvres ne semblent parfois utilisées et décortiquées que pour étayer une démonstration et non pour l’émotion qu’elles pourraient éventuellement procurer.

Ce bémol posé, il ne faut pas hésiter à se plonger dans ce livre qui contient de nombreuses informations. Libre à chacun de grappiller dans cet ensemble les textes qui lui parleront le plus : une analyse de l’œuvre d’Andreï Zviaguintsev et sa filiation avec celle de Tarkovski par Marion Poirson-Dechonne, un très intéressant regard sur « l’espace comme piège dans les films russes contemporains » par Eugénie Zvonkine qui montre que de nombreux auteurs font de l’enlisement de leurs personnages un motif principal ou encore de très belles réflexions sur le rapport à l’histoire soviétique, qu’il s’agisse de surmonter une certaine nostalgie ou encore de poser un regard critique sur la « réalité postsoviétique ».

D’une manière générale, de nombreux textes confrontent le cinéma russe contemporain à l’histoire du pays. Le chapitre 2 de l’ouvrage est même consacré entièrement à la manière qu’ont eue les cinéastes de repenser le passé pour aborder le présent, en réhabilitant par exemple la figure de Koltchak (le fameux gouverneur blanc) ou en s’intéressant aux événements de la Grande Guerre pour accompagner la recrudescence du patriotisme russe.

Mais les textes qui intriguent le plus sont sans doute ceux qui abordent les éléments les moins connus pour le spectateur occidental, qu’il s’agisse des adaptations télévisuelles des œuvres de Soljenitsyne et Grossman par Panfilov (un nom pourtant connu) et Sergueï Oursouliak. On a également très envie de découvrir l’œuvre d’Evgueni Youfit, chantre d’un humour surréaliste et carnavalesque ou les films de bandits de Balabanov qui semblent avoir cristallisé une certaine réalité de l’époque postsoviétique.

Car c’est aussi une des qualités du livre : ne pas uniquement se focaliser sur un certain cinéma d’auteur qui fait les délices des festivals internationaux (Zviaguintsev) mais s’attarder également sur les formes plus triviales du cinéma populaire et sur ce que cette esthétique dit d’une société aujourd’hui.

Même s’il est à recommander en priorité aux spécialistes ou à ceux qui s’intéressent particulièrement à la Russie et son art, cet essai très complet donnera également du grain à moudre aux cinéphiles un peu curieux…

***

Cinéma russe contemporain, (r)évolutions (2017) (sous la direction d’Eugénie Zvonkine)

Editions Septentrion

ISBN : 978-2-7574-1799-7

284 pages – 23€

Disponible depuis novembre 2017

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