Frédéric Sojcher – « Main basse sur le film » & « Je veux faire du cinéma »

Surtout reconnu pour son excellent documentaire Cinéastes à tout prix, Frédéric Sojcher est un cinéaste précoce qui a réalisé son premier court-métrage à l’âge de 15 ans. Depuis, il a signé quatre longs-métrages et une dizaine de courts mais ses activités ne se limitent pas à la réalisation. Professeur à la Sorbonne, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur (et autour) du cinéma et a été directeur de collections chez plusieurs éditeurs.

La sortie concomitante de deux livres va nous permettre de (re)découvrir les diverses facettes de ce cinéaste à cheval entre la Belgique (son pays natal) et la France (le pays où il enseigne). Deux livres qui nous dévoilent également les coulisses du cinéma, l’envers d’un décor où il n’est plus question de strass et de paillettes, ni même de « grande famille » unie.

Main basse sur le film est la réédition d’un ouvrage sorti à l’origine chez Séguier en 2002. En 1999, Frédéric Sojcher s’apprête à tourner son premier long-métrage Regarde-moi sur l’île grecque de Symi où il allait, petit, passer ses vacances avec ses parents. Le tournage a été reporté plusieurs fois et les techniciens embarqués dans l’aventure ne sont pas ceux qui étaient prévus à l’origine. Dans la mesure où le film ne bénéficie que d’un petit budget, les techniciens ne sont pas payés aux tarifs normaux mais en « participation ». Avec le recul, Sojcher estime qu’il aurait pu circonscrire « le vent de révolte » qui va vite souffler sur le tournage et lui faire prendre une tournure catastrophique. Dans sa préface, Bertrand Tavernier écrit avec justesse :

« Ce que vous allez lire n’est pas le récit d’un tournage, c’est l’histoire d’un hold-up, d’un casse. Il ne s’agit pas d’une attaque de banque, du vol d’un diamant ou d’un raid contre des convoyeurs de fonds mais de la mainmise, du rapt sur un film, sur le sujet d’un film et sur sa mise en scène. »

Frédéric Sojcher relate par le menu et sous forme d’une sorte de journal de bord tous les déboires qu’il va connaître sur ce film : sa difficulté à faire partager son point de vue sur la mise en scène, une communication difficile avec l’équipe, les premiers signes de rébellion des techniciens et une contestation générale (si on excepte quelques soutiens) qui s’étend peu à peu.

Le récit est très bien construit et se lit comme une « série noire » avec des alliances qui se forment dans le dos du cinéaste, des coups de théâtre (le chef opérateur évincé et remplacé par l’assistant caméra au cadre tandis que le chef électro reprend la direction de la photographie !) et une tension qui devient de plus en plus palpable et lourde. Le metteur en scène est, peu à peu, mis à l’écart de son propre film et se retrouve complètement isolé, incapable de reprendre les rênes de son projet. Qu’il s’agisse de la scripte ou de l’assistant à la réalisation, les techniciens contestent sans arrêt l’autorité de Sojcher et sèment le doute dans tous les esprits, en particulier après ce moment terrible où l’équipe découvre collectivement les premiers rushes. Peu à peu, celui qui reste désigné comme « l’acteur principal » (il suffira de quelques clics sur Internet à ceux qui -comme moi- n’ont pas vu Regarde-moi pour découvrir qu’il est question de Mathieu Carrière) étend son influence sur l’équipe et se transforme en « conseiller technique » avant de s’approprier le scénario de Sojcher et d’imposer lui-même ses propres scènes. Nous ne dévoilerons pas trop les péripéties de ce tournage épique (où le cinéaste fut menacé physiquement) ni comment Sojcher finira, malgré tout, par redresser la barre mais la force du livre réside dans sa manière de restituer l’atmosphère d’un tournage tournant à la débâcle. Sojcher ne se pose pas en victime et c’est tout à son honneur. Il l’exprime d’ailleurs en avant-propos :

« La réalité ne peut être que recomposée…et mon point de vue est nécessairement subjectif ».

Mais même si le livre n’offre pas le point de vue contradictoire de ceux qui furent embarqués dans cette galère, il paraît suffisamment précis et factuel pour être crédible et juste. On y trouvera en tout cas une formidable étude des comportements humains au cours d’une aventure collective au contexte très particulier (loin de la Belgique, un tournage isolé sur une île…) et pour ceux qui veulent se lancer dans la réalisation, une belle mise en garde contre les erreurs à ne pas commettre lorsqu’on débute, notamment cette idée qu’exprimait Alain Resnais (cité en exergue)

« Dans une équipe il y a cinquante bonnes idées par plan et il y a l’erreur du metteur en scène. La suite des erreurs du metteur en scène fait un film cohérent. Les cinquante idées mises bout à bout des cinquante personnes qui l’entourent font un film incohérent, parce qu’elles n’ont pas de cohérence les unes par rapport aux autres. »

© Olivier Hennebert

Frédéric Sojcher revient sur les mésaventures de Regarde-moi dans Je veux faire du cinéma mais de manière beaucoup plus succincte. Alors qu’il ne nommait pas les personnes dans Main basse sur le film, il les cite désormais et le lecteur saura que la star montante du cinéma belge pressentie pour le rôle était Marie Gillain ou que le personnage désigné comme « l’écrivain célèbre » était Edouardo Manet. Les péripéties sont résumées en quelques pages et s’inscrivent dans un mouvement plus global où Sojcher raconte son parcours de cinéaste qui s’apparente souvent à un parcours du combattant. La première partie de ce livre, riche en anecdotes, revient sur les tournages de ses courts-métrages (où il put faire tourner Serge Gainsbourg et Michael Lonsdale), ses projets avortés et la réalisation de ses longs-métrages (Cinéastes à tout prix et l’accueil chaleureux qu’il reçut, Hitler à Hollywood). Extrêmement vivant (les chapitres sont courts), ce récit permet à l’auteur de peindre quelques jolis portraits, qu’il s’agisse de celui de Margaux Hemingway ou de Maruschka Detmers qu’il arrive à convaincre de tourner avec lui après quelques hésitations :

« Elle me toise, met ses mains autour de mon cou et déclare : « D’accord, je le ferai ton film, mais il faudra que ce soit fort entre nous. » »

Entre ses démêlés pour trouver de l’argent et parvenir à réussir à convaincre les décideurs, Sojcher livre quelques réflexions intéressantes sur le métier, sur l’université où il parvint à se faire une place ou encore sur la critique de cinéma :

« Contrairement à nombre de mes collègues universitaires, je n’opère pas de distinction entre le monde de la critique (qu’ils méprisent en général) et le monde de la théorie (qu’ils anoblissent). Les grands critiques sont non seulement ouverts aux auteurs (dont ils décryptent les œuvres), mais aussi, à leur manière, des créateurs. »

Dans un deuxième temps, il se fait plus féroce et critique les institutions du cinéma Belge et la manière dont le cinéma est financé outre-quiévrain. Sojcher ne prend pas de pincettes pour épingler un Centre du cinéma dont la présidente est nommée à vie ou une Commission du film qui finance des projets peu innovants et qui empêche d’éclore ceux qui pourraient se révéler plus audacieux. Sojcher ne s’intéresse pas qu’à son propre cas et, en spécialiste du cinéma Belge, il soutient ses collègues cinéastes qui – parfois- doivent se cantonner au court-métrage pour exister (je suis content qu’il cite l’un des cinéastes belges les plus passionnants : Olivier Smolders).

Au-delà de la cinglante attaque contre tout un système, Sojcher s’interroge de manière plus large sur ce que l’on peut attendre du cinéma et pourquoi il est important de se battre pour une certaine idée du septième art. Certaines paroles de productrices rapportées dans le livre sont ahurissantes et donnent froid dans le dos :

« -Le problème, c’est ton âge. Tu as 50 ans, et pas encore de succès au compteur. Le marché, ils veulent des jeunes. Et tu n’es pas une femme. Tu es Blanc. Et, en plus, d’origine juive.

-Comment cela, « en plus d’origine juive » ?

– Les Juifs ne sont plus une minorité à défendre… »

Je veux faire du cinéma n’est cependant pas un règlement de compte mesquin. C’est un ouvrage qui transpire l’amour du cinéma et qui sait communiquer cette passion. Comme les cinéastes bricoleurs de Cinéastes à tout prix, Frédéric Sojcher possède un côté flibustier malin et doté d’un certain sens de l’humour. En attendant de pouvoir découvrir un nouveau film de sa part, on se plongera avec intérêt dans ces deux ouvrages qui nous dévoilent les deux faces d’un univers à la fois impitoyable et, pourtant, profondément adoré…

© Frédéric Remouchamps

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Main basse sur le film (2002) de Frédéric Sojcher

Préface de Bertrand Tavernier

Genèse Edition, collection Les Poches Belges (2021)

ISBN : 979-1-0946897-45

240 pages – 14€

Je veux faire du cinéma : Petit manuel de survie dans le 7ème art (2021) de Frédéric Sojcher

Préface d’Antoine de Baecque

Genèse Edition, collection Les Poches Belges (2021)

ISBN : 979-1-0946897-52

183 pages – 14€

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A propos de Vincent ROUSSEL

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