Contrairement à un certain nombre de mes confrères de Culturopoing, je dois confesser d’emblée n’avoir pas une grande inclination pour le cinéma de John Boorman que je connais par ailleurs assez mal. J’aime beaucoup (comme tout le monde !) Délivrance mais son univers hanté par les mythes et une certaine grandiloquence (Excalibur, La Forêt d’émeraude, L’Hérétique) me laisse un peu froid. C’est donc à reculons que j’ai attaqué ces mémoires traduits ici sous le titre Aventures.

Le titre anglais, Adventures of a Suburban Boy, est d’ailleurs plus explicite et Boorman, issu de la « nouvelle classe moyenne inférieure », revient en détail sur ses origines : sa famille, son enfance de petit garçon de la banlieue londonienne perdu dans l’anonymat des maisons mitoyennes…Dans Hope and Glory, le cinéaste s’appuiera sur ces éléments biographiques et évoquera le traumatisme provoqué par la guerre pour toute sa famille.

Très vite, on se laisse emporter par le flot de ces souvenirs : la plume est alerte, l’évocation colorée et l’on réalise assez vite que ce livre sera une parfaite réussite. Parce qu’au-delà de la dimension intime que revêtent les mémoires, leur intérêt tient aussi à la manière dont ils peuvent éclairer une œuvre et renseigner sur le travail d’un artiste. Or Boorman est quelqu’un d’intelligent et sa filmographie témoigne d’une véritable cohérence. Fasciné par Griffith et par David Lean à qui il doit, involontairement, d’avoir pu tourner Le Point de non-retour et débuter véritablement sa carrière, le cinéaste fait preuve d’une belle capacité à expliquer ses partis-pris, ses choix de mise en scène et ses obsessions. Celle qui revient de manière récurrente est, bien entendu, son obsession de l’eau. Lorsqu’il était encore enfant, John Boorman faillit se noyer et, plus tard, sauva in-extremis sa fille Telsche de la noyade. Si les éléments, et plus particulièrement l’eau, jouent un tel rôle dans son cinéma, c’est peut-être en raison de ce rapport très particulier à la nature que le cinéaste explicite clairement. Dans ce défi permanent qu’il lance aux fleuves et aux rivières, on retrouve déjà l’opposition entre le monde civilisé et le monde sauvage de Délivrance ou encore la main qui sort du lac pour offrir l’épée dans Excalibur.

La légende Arthurienne est d’ailleurs l’autre grande obsession du cinéaste et avant de pouvoir mettre en scène frontalement le mythe du Graal, on en retrouve des traces dans des films comme Zardoz ou des projets non aboutis comme cette version du Seigneur des anneaux qui finira sous forme d’un dessin animé réalisé par Ralph Bakshi.

Lorsqu’il entreprend un film, ce n’est jamais au hasard et quel que soit le résultat final (le cinéaste est assez lucide sur la valeur de certains titres), il est toujours mûrement réfléchi. On pourrait cependant reprocher au cinéaste de ne pas assez détailler ses expériences de tournage mais on imagine aussi que l’ouvrage aurait fait plus de 800 pages ! Boorman se concentre essentiellement sur la préparation de ses films, les moyens mis en œuvre pour arriver à ses fins, les aléas des diverses productions… La partie tournage à proprement parler est assez succincte, à quelques exceptions près (les répétitions pour Délivrance). Idem pour la partie réception de l’œuvre si ce n’est un long et savoureux passage sur sa participation malheureuse aux Oscars (où il déchira malencontreusement un bout de la robe de Cher !).

Le cinéaste, en revanche, n’est pas avare d’anecdotes croustillantes et évoque avec beaucoup de tendresse et de bonhommie son rapport aux acteurs : son amitié pour Lee Marvin, les rapports très tendus de ce dernier avec Mifune sur le tournage épique de Duel dans le Pacifique (où le grand acteur japonais apparaît comme un cabot tyrannique), son expérience avec Marcello Mastroianni, ses liens indéfectibles avec Jon Voight qui nous vaut une anecdote hilarante où le comédien se déguise en personnel d’hôtel pour amuser un Burd Reynolds déprimé après avoir manqué un Oscar…

On rit souvent à la lecture de ces mémoires, tout comme on est parfois ému lorsque Boorman consacre de très belles pages à sa fille adorée Telsche, emportée par un cancer à 37 ans. On y apprend également beaucoup de choses : que Nicholson, Brando et Steve McQueen ont été approchés pour le casting de Délivrance, que Max Von Sydow, qui avait détesté L’Exorciste, a été très dur à convaincre lorsqu’il s’est agi de tourner la suite du film de Friedkin sans parler de toutes les ruses nécessaires pour mener à bout la plupart de ses projets.

Bilan sans amertume d’une vie bien remplie, Aventures est un ouvrage passionnant mêlant à la fois des éléments intimes (mais sans jamais s’appesantir sur cette dimension), un témoignage précieux sur une manière de faire du cinéma en train de disparaître, des anecdotes et une réflexion brillante sur une œuvre envisagée comme une incessante quête du Graal.

De quoi donner envie de se replonger dans l’œuvre de John Boorman et de la réévaluer à cette aune…

***

Aventures (2017) de John Boorman

(Traduit de l’anglais par Alain Masson)

Marest éditeur

ISBN : 979-10-96535-04-0

447 pages – 19€

Sortie le 26 septembre 2017

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