Si l’on excepte un dossier paru en 2019 (à l’occasion d’une rétrospective à la Cinémathèque) dans la revue Positif et un autre signé Jean A.Gili dans Jeune cinéma, il n’existait à ce jour aucune publication en langue française sur Mauro Bolognini. Michel Sportisse explique, dans un premier temps, ce manque d’intérêt pour l’œuvre de l’auteur du Bel Antonio auprès des cinéphiles par un malentendu :

« Deux raisons principales semblent expliquer les confusions ou méprises commises à l’endroit de Bolognini : un rapprochement trop brièvement effectué entre son travail et celui du maestro Visconti, d’une part ; une propension, d’autre part, à confiner son talent au seul exercice de brillantes adaptations de la littérature italienne ou française. »

Au-delà de ces clichés autour d’un cinéaste précieux voire maniériste, à qui on a reproché son goût d’antiquaire et son appartenance à une certaine tradition calligraphique jugée décorative, l’auteur cherche à redonner à Mauro Bolognini la place qu’il mérite parmi les grands maîtres du cinéma italien.

Pour ce faire, il procède de manière chronologique, s’attarde sur la jeunesse d’un cinéaste qui fit d’abord des études d’architecture avant de devenir l’assistant de Luigi Zampa et d’apprendre son métier auprès de cinéastes français : Jean Delannoy et Yves Allégret. Mais la rencontre qui va évidemment le marquer est celle de Pier Paolo Pasolini qui signera les scénarios des Garçons et de Ça s’est passé à Rome, deux étapes décisives dans la carrière de Bolognini. Michel Sportisse analyse avec finesse les points communs mais également les différences existant entre les deux cinéastes. Si leurs chemins divergeront par la suite, leur collaboration fut fructueuse et donnera encore Le Bel Antonio où Mastroianni est absolument parfait en prototype du « mâle » italien se révélant par la suite impuissant et incapable d’honorer la sublime Claudia Cardinale.

La Viaccia (1961) avec Jean-Paul Belmondo et Claudia Cardinale donne lieu à un passionnant développement mais, ô surprise, Michel Sportisse laisse de côté les œuvres suivantes et aborde directement Metello qui date de 1970. Cette manière d’éluder toute l’œuvre des années 60 ou presque est d’abord déconcertante voire un peu frustrante mais le lecteur perçoit très rapidement les raisons de cette ellipse. En effet, il ne s’agit pas à travers cet essai d’embrasser en détail toute l’œuvre de Bolognini mais, comme son titre l’indique, de réfléchir aux liens tissés entre la filmographie du cinéaste et l’Histoire (avec un grand H) de l’Italie. Et disons le tout net, cet angle d’attaque rend l’ouvrage tout à fait passionnant car Sportisse, avec clarté et érudition, souligne des éléments qui permettent d’éclairer différemment les films de Bolognini, surtout pour un spectateur pas forcément familier avec l’histoire de nos voisins transalpins. Il s’agit moins d’analyser tous les films que de se concentrer sur certains jalons (Bubu de Montparnasse, La Grande Bourgeoise, Vertiges, L’Héritage…) et de voir à chaque fois comment le cinéaste se plonge dans le passé pour dialoguer avec la société italienne de son époque et pour parler de son temps. La précision avec laquelle Bolognini situe ses films dans un territoire, choisit ses costumes lui permet de porter un regard sur son époque et d’en tirer une certaine vérité universelle :

« Or, faire revivre le passé afin qu’il puisse nous en révéler atmosphère et mentalités en vigueur, plus encore expression d’un monde, et afin que celui-ci nous édifie encore et toujours, n’est pas opération que l’on peut conduire sans conscience. »  

Michel Sportisse procède avec une minutie qui force le respect. Il décrit très précisément les œuvres littéraires qu’adapte Bolognini, les resitue dans leur époque et analyse avec acuité les procédés cinématographiques employés par le cinéaste pour réussir ses transpositions à l’écran. L’auteur ne perd jamais de vue cette question de l’esthétique et remet brillamment en question les préjugés qui perdurent à l’endroit de l’œuvre de Bolognini, montrant que ce goût pour l’Histoire, la littérature et le décorum s’inscrit logiquement dans une volonté de revenir sur le passé pour éclairer le présent.

Si la fin de carrière du metteur en scène paraît moins brillante (l’auteur souligne qu’en découvrant La Vénitienne, on « pourra reprocher à Bolognini des travers maniéristes »), elle ne doit pas faire oublier une œuvre qu’on a très envie de redécouvrir après la lecture de ce pénétrant essai. Michel Sportisse a parfaitement atteint son objectif : réhabiliter le cinéma de Bolognini et lui redonner sa place au sein d’une histoire du cinéma italien dont on n’a pas fini de (re)découvrir la richesse…

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Mauro Bolognini, une histoire italienne (2020)

de Michel Sportisse

Éditions Le Clos Jouve

ISBN : 978-2-9569413-6-1

24 €

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