Entre 1986 et 1991, Paul Newman s’entretient longuement avec son ami Stewart Stern, scénariste renommé pour avoir adapté La Fureur de vivre pour Nicholas Ray et écrit le scénario de Rachel, Rachel. Ce sont ces discussions qui constituent la matière première de cette autobiographie et leurs enregistrements sur cassettes ont permis, quelques années après la mort du comédien, de faire aboutir ce projet et de le mettre en forme. Ses filles expliquent que la soixantaine venue, Newman souhaitait « tout mettre à plat, […] se faire entendre de sa famille et de ses amis, […] sans aucun tabou. » Le récit de son existence prend parfois les atours d’une analyse, où l’acteur aborde sans détour certaines de ses failles (son addiction à l’alcool) et se confie à Stern comme on pourrait le faire à un psychanalyste.

Il débute, bien entendu, par son enfance et par un rapport compliqué à sa mère qui ne l’admirait que « pour sa seule nature ornementale ». En effet, déjà très beau dès son plus jeune âge, le petit Paul a le sentiment de n’être aimé de sa mère que de manière superficielle, comme un joli trophée. Toute son existence sera marquée par cette relation conflictuelle et compliquée. Ensuite, ce sont les études, des complexes autour de sa petite taille qui l’éloigne des filles (difficile d’y croire!) puis l’université et l’engagement dans l’armée durant la Seconde Guerre mondiale.

Viennent ensuite les débuts au théâtre puis au cinéma mais, paradoxalement, Paul Newman n’en parle jamais comme d’une « vocation », juste comme un emploi où il estime avoir quelques compétences. Cette modestie qui irrigue chaque ligne de cette autobiographie n’a rien d’une coquetterie : il ne s’agit pas pour Newman de se dénigrer pour le plaisir mais d’aborder les choses avec pragmatisme, sans forfanterie et avec toujours un petit syndrome de l’imposteur dans un coin de sa tête.

Cette humilité rend la lecture de cette autobiographie très plaisante. Décontracté, Paul Newman enrichit son récit d’une foultitude d’anecdotes assez amusantes, qu’il s’agisse de cette mission avec un sous-marin où il faillit laisser sa peau ou encore ce moment où il engage un détective privé pour retrouver George Roy Hill qui, fatigué par les multiples négociations avec ses producteurs au moment de La Castagne, s’est sauvé sans laisser d’adresse. Le livre est toujours vivant et souvent haut en couleur.
Prévenons néanmoins qu’il pourra frustrer les cinéphiles. En effet, Paul Newman parle assez peu des tournages, des œuvres dans lesquelles il a jouées. Pour prendre un exemple assez frappant, il n’évoque jamais Alfred Hitchcock qui l’a pourtant dirigé dans Le Rideau déchiré. Idem pour Altman, pour Arthur Penn et c’est de manière très succincte qu’il évoque ses collaborations avec Richard Brooks et Otto Preminger. S’il affirme dans le livre que son rôle préféré est sans doute celui qu’il a tenu dans Le Verdict de Lumet, il se contente d’une seule petite anecdote autour de son tournage (le déclic que le cinéaste a provoqué chez lui pour qu’il comprenne le rôle). Seul Elia Kazan (côté théâtre), John Huston et le complice George Roy Hill bénéficient d’un traitement un peu plus conséquent. Mais là encore, il ne faut pas trop compter sur l’acteur pour multiplier les évocations de ces tournages, ni pour avoir un avis sur les résultats finaux. On aurait pourtant aimé en savoir plus sur ses relations avec Redford (expédiées en quelques lignes) ou encore sur les motivations de Newman réalisateur. Car on se souvient que notre homme a réalisé, entre autres, le très beau De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites, mais on constatera qu’il n’aborde jamais ce film. Il préfère s’attarder sur le bien oublié Virages (James Goldstone), œuvre qui lui a inoculé le goût des courses de voitures où il se distinguera en terminant premier aux 24 heures Rolex de Daytona à l’âge de… 70 ans ! (ce qui lui valut une citation dans le Livre des records).

Plus que l’acteur, c’est l’homme que cette autobiographie tente de dévoiler. Un homme marqué par quelques grosses épreuves (la mort tragique de son fils, lui aussi dépendant à l’alcool et à la drogue) et qui rend un bel hommage à sa famille : sa femme Joanne Woodward qu’il a rencontrée assez tôt (même s’il était alors déjà marié), ses enfants… A chaque instant, on a le sentiment que Paul Newman cherche des solutions concrètes aux embûches qui se dressent devant lui. A la fois réservé et montrant rarement ses émotions (voir ces moments où il continue de travailler alors qu’il vient d’apprendre la mort de son fils), il cherche à travers son métier et ce récit à se libérer de ce qu’il n’a su exprimer :

« Malgré tout, être acteur m’a offert un sanctuaire où incarner des émotions sans être puni pour elles. Je pouvais toujours m’en tirer en disant, avec un petit rire : « Oh, ça n’est pas moi, c’est juste le personnage. » C’était crucial pour moi de trouver un exutoire- dans une fiction, puisque j’étais coupé de ces émotions dans la vraie vie. »

Entremêlés au récit de l’acteur, le livre propose un certain nombre de témoignages qui corroborent ou nuancent les dires de l’acteur. Qu’il s’agisse de ses proches ou de ses collaborateurs (Altman, Kazan, Hill, Tom Cruise…), ces déclarations apportent un contrechamp bienvenu sur le récit du comédien, non pas tant pour le contredire sur les faits que pour le mettre en valeur lorsqu’il se dénigre ou pour rappeler aussi ses qualités humaines.

Car ce qui se dessine au fur et à mesure de cette autobiographie, c’est le portrait d’un homme « bien ». Conscient du succès qu’il a su acquérir grâce à son physique, il n’en est jamais dupe, perfectionnant au fur et à mesure son jeu et sachant se mettre au service des autres. Même sa prodigieuse générosité (il fut, selon The Economist, « l’individu le plus généreux, proportionnellement à ses revenus, de toute l’histoire du vingtième siècle aux États-Unis ») est abordée avec une grande humilité, comme quelque chose de tout simplement normale.

Alors en dépit des quelques frustrations que pourront ressentir les cinéphiles, La Vie extraordinaire d’un homme ordinaire (toujours cette modestie) réjouira tous ceux qui apprécient l’acteur et, surtout, l’homme Paul Newman.

***

La Vie extraordinaire d’un homme ordinaire (2022) de Paul Newman à partir d’entretiens et de témoignages recueillis par Stewart Stern, rassemblés et mis en forme par David Rosenthal.

Éditions La Table Ronde, 2023

ISBN : 979-10-371-1062-6

334 pages, illustrations. 24,50 €

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A propos de Vincent ROUSSEL

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