Alors qu’il est en train de réaliser son prochain film après avoir annoncé au monde entier sa retraite, Miyazaki voit son œuvre devenir l’objet de nombreux beaux-livres et essais. L’un des derniers en date est signé Sébastien Bénédict, ancien rédacteur aux Cahiers du Cinéma et Chronic’art. L’auteur nous propose un essai dense, riche et parfois, concédons-le, assez ardu : non pas tant par son style, fluide, gracieux et évitant un certain jargon universitartreux mais par quelque développements difficiles à suivre lorsqu’on n’a plus les films de Miyazaki en tête (j’avoue que les souvenirs de Princesse Mononoké, Le Château dans le ciel ou Nausicäa se sont un peu estompés dans mon esprit).
Permettons-nous de détourner quelque peu une métaphore filée de façon très habile par l’auteur qui voit dans le cinéma de Miyazaki un très bel équilibre entre un élan poétique qui se déploie au fil du vent et fait décoller le réel vers l’imaginaire, le merveilleux et un élan contraire qui rappelle sans cesse la pesanteur du monde et l’immuabilité de la nature. Nous dirions alors que Sébastien Bénédict est assurément doué pour les numéros de haute-voltige, maniant avec dextérité les images et n’hésitant pas à nous proposer des développements aussi enrichissants qu’abstraits. Peut-être manque-t-il parfois un ancrage un peu plus concret dans les films (petits résumés, présentation des personnages…) pour s’y retrouver un peu plus.
Attention, cette « réserve » pointe davantage mes propres « manques » qu’un éventuel défaut de l’ouvrage. Je reste, au contraire, persuadé que les fins connaisseurs du cinéma de Miyazaki seront emballés par cet essai.
S’il fallait résumer de manière très schématique la teneur de cet ouvrage, il faudrait donc partir de cette opposition qui structure l’œuvre de Miyazaki entre le merveilleux, le conte et un Réel auquel elle reste toujours adossée. Le vent, motif récurrent dans l’œuvre du cinéaste, en constitue une belle image puisque « c’est d’abord le temps qui ne fait que passer, même s’il demeure à jamais ; qui accompagne les formes dans leurs incessantes métamorphoses, où se révèle néanmoins une permanence secrète. ». L’essai se déploie autour de cette idée particulièrement pertinente et permet à Bénédict d’aborder sous cet angle les différents thèmes qui parcourent l’œuvre du cinéaste ainsi que ses figures de prédilection (essentiellement féminines), distinguant « les filles de l’air » (Kiki), les « filles du feu », les « nymphes et ondines » comme Ponyo ou encore les sorcières et patriarches.
Le rapport du cinéaste au réel et la manière dont il en propose une version « augmentée » est sans doute l’aspect qui intéresse le plus Sébastien Bénédict. Plutôt que d’opposer schématiquement des univers « réalistes » et des univers « merveilleux », l’essayiste montre comment Miyazaki parvient à lier les deux, à adosser constamment ses motifs imaginaires à la réalité et comment le réel devient lui-même une source permanente d’enchantement. Dans Mon voisin Totoro, le cycle immémorial de la nature est presque aussi magique que l’apparition des grosses peluches imaginaires. Avec beaucoup de pertinence, Bénédict cite l’exemple du traitement de la sorcellerie dans Kiki la petite sorcière et souligne : « Réduite à ses pouvoirs les plus évidents (voler sur un balai, parler aux chats, concocter des potions), elle ne cherche pas à affecter le réel, mais tout au contraire à s’en faire accepter. Au reste, voilà bien un film où ne plane aucune menace, seulement une petite fille partie dans le monde faire son apprentissage. L’enchantement lui-même est rendu au réel, quand toute la ville n’a d’yeux que pour un dirigeable prêt à s’élancer pour son premier voyage. » Chez Miyazaki, la technologie (les avions de Porco Rosso et Le vent se lève) a une dimension « magique » que ne possède quasiment plus les pouvoirs ancestraux, parfaitement intégrés dans les récits, des sorcières ou des créatures fabuleuses qui peuplent une nature éternelle. La grandeur du cinéaste réside d’ailleurs dans ce jeu dialectique entre une fascination enfantine pour ce progrès technologique et une crainte face aux désastres qu’il peut engendrer, offrant alors le loisir de revenir à l’enchantement d’une nature qui ne cesse de renaître.
Ce regard à hauteur d’enfant, Sébastien Bénédict le décrit avec beaucoup de pertinence, à l’image des très belles pages qu’il consacre à Mon voisin Totoro : « C’est là que Miyazaki nous offre comme rarement le point de vue de l’enfant – et il est précieux, en effet, qu’un film cherche à épouser son regard, plutôt que de le choisir comme cible : ici l’inquiétude des petite filles n’a d’égal que leur émerveillement. C’est que la nature leur oppose sans cesse son permanent retour. »
Toujours à l’aune de ce rapport au « Réel », l’auteur nous propose quelques développements sur le rapport de Miyazaki aux machines, à la nature ou encore à l’opposition féminin/masculin (voyant même dans le personnage d’Hauru, un des personnages du Château ambulant, une trace de cinéma queer chez l’auteur !).
Toutes ces pistes, ces réflexions sont bien étayées et toujours stimulantes. Même si, comme je le disais en introduction, l’ouvrage s’adresse avant tout aux amateurs de Miyazaki, sa richesse et sa densité intéresseront à coup sûr tous les cinéphiles…
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Hayao Miyazaki : au gré du vent
Sébastien Bénédict
(Éditions Rouge Profond, 2018)
ISBN : 979-10-97309-15-3 – 12€
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