Soirées « bis » de la Cinémathèque, nombreuses rééditions en DVD, regain d’intérêt pour les fanzines, floraison de sites spécialisés, études universitaires : la chose est entendue, le cinéma dit « d’exploitation » connaît depuis une bonne quinzaine d’années une légitime réhabilitation. Même si les puristes regretteront sans doute une certaine « récupération » de ce cinéma par la culture « officielle », ce intérêt croissant pour le « bis » a permis une (re)découverte de pans totalement occultés de l’histoire du cinéma et pas les moins intéressants.
Le risque de cette bienveillance soudaine, c’est aussi de tout niveler par le bas et d’estimer que la moindre production fauchée venue du Mexique ou d’Italie a autant d’intérêt qu’une œuvre de Buñuel ou Fellini.
En consacrant un ouvrage à Joe d’Amato, Sébastien Gayraud prenait le risque de se heurter à cet écueil. En effet, en dépit de toutes les réhabilitations imaginables, il demeure (heureusement!) encore quelques cinéastes irréductibles dont on voit mal comment ils pourraient être « récupérés » par la culture officielle. Trop mal élevé pour séduire les amateurs cyniques et rigolards de « nanars » et trop hétéroclite et racoleur pour pouvoir acquérir le statut « d’auteur » ; Joe d’Amato reste un cas à part dans le cadre du cinéma d’exploitation italien, un « irrécupérable »que même les amoureux sincères du cinéma d’exploitation ne portent guère dans leur cœur. Par exemple, lorsqu’il défend la nudité à l’écran dans Une encyclopédie du nu au cinéma, Jean-Pierre Bouyxou écrit : « Et puis faut pas placer dans le même réticule les ragotons et les pépites, Joe d’Amato et Pasquale Festa Campanile, Lucien Hustaix et José Bénazéraf (…) »
Sébastien Gayraud parvient néanmoins à trouver un bel équilibre et à livrer un ouvrage aussi complet que passionnant qui évite les travers que le lecteur pouvait redouter : d’une part, l’hagiographie enthousiaste et déconnectée de la réalité des œuvres du cinéaste (souvent très faibles, il faut bien en convenir), de l’autre, le second degré qu’il sied d’afficher lorsqu’on écrit sur le cinéma Z (tant il est aisé de ricaner bêtement des faiblesses techniques, narratives et esthétiques de ce cinéma là). L’ouvrage est mesuré, ne cherchant pas à réhabiliter les films qui ne le méritent pas et soulignant a contrario les qualités des œuvres les plus intéressantes de d’Amato. Surtout, l’auteur interroge de manière passionnante la singularité de la place du cinéaste dans le cadre du cinéma d’exploitation italien et ce que ces films, qui flirtèrent souvent avec les limites les plus extrêmes de la représentation (« mondo », cannibalisme, pornographie, « snuff movie »…), nous disent sur une certaine idée du cinéma qui a disparu avec l’auteur d’Anthropophagous.
Né en 1936, Aristide Massaccesi de son vrai nom baigne depuis son plus jeune âge dans le milieu du cinéma. Il enchaîne les petits métiers (photographe, électricien) et devient même photographe de plateau sur Le carrosse d’or de Jean Renoir ! En 1969, il devient chef-opérateur et travaille sur les westerns miteux de Demofilo Fidani mais également sur des films plus ambitieux comme ceux de Michele Lupo et Alberto de Martino (L’antéchrist). Enfin, en 1972, Massaccesi passe derrière la caméra avec un film qui n’a visiblement marqué les esprits que de ceux qui l’ont vu (Planque-toi minable, Trinita arrive!) et ne va plus cesser de tourner en réalisant plus de 200 films (!) jusqu’à sa mort en 1999. Sébastien Gayraud étudie ce large corpus en procédant à des regroupements thématiques : les premiers pas où d’Amato tâte un peu à tous les genres (western, péplum, l’horreur gothique), la saga des Black Emanuelle avec l’icône Laura Gemser, sa période « Saint Domingue », ses premiers films hard, son tribut mémorable offert au cinéma gore, sa manière de se réapproprier les succès américains et de mettre en chantier des péplums dans la lignée de Conan le barbare ou des films « post-apocalyptiques » dans le sillage de Mad Max… Gayraud consacre également de nombreuses pages à son œuvre érotique qui fit jadis les beaux soirs de M6 le dimanche !
A travers cette œuvre pléthorique se caractérisant par un désir de suivre les modes, de se réapproprier les grands succès internationaux du cinéma sans la moindre ambition « artistique », l’auteur parvient à dégager des thèmes et des caractéristiques qui font, au bout du compte, la singularité de ce cinéaste « fantôme ». Ce sont ces thématiques que Gayraud explore dans la deuxième partie de son essai. Il revient sur les motifs récurrents chers à d’Amato : le voyeurisme, l’exotisme et parvient à retrouver un fil directeur dans une œuvre qui part dans tous les sens, qui emprunte à droite et à gauche, qui abuse des « stock shots », qui navigue de genre en genre… Ce fil, c’est l’esthétique du « Mondo movies », ces documentaires sensationnalistes qui virent le jour en Italie au début des années 60 suite au triomphe du Mondo cane de Jacopetti, Prosperi et Cavara. Joe d’Amato ne tourna que quelques « mondo » qui ne comptent d’ailleurs pas parmi les pièces majeures de sa filmographie. Mais on retrouve cette « esthétique » (goût de l’exotisme, du sensationnalisme, de la scène choc…) dans un bon nombre de ses films, qu’il s’agisse de ses films érotiques (qui se trouvent alors épicés d’une pointe d’horreur comme dans Black Emanuelle en Amérique) ou de ses films de cannibales.
De la même manière, Gayraud analyse de manière particulièrement pertinente comment d’Amato joue également avec l’imagerie du « snuff movie » (ce fameux fantasme de films où les acteurs sont réellement mis à mort devant la caméra) en brouillant les frontières entre « documentaire » (bidonné) et fiction. Ce que les films de d’Amato peuvent avoir de décousu et de fragmentaire vient directement de cette esthétique du « mondo » où l’on passe d’une séquence à une autre avec pour unique but de jouer la carte du spectaculaire.
Pour Gayraud, ce qui rend le cinéma de d’Amato aussi touchant (et il parvient à nous convaincre puisqu’on n’a qu’une seule envie après avoir fini ce livre : se replonger dans l’œuvre du cinéaste), c’est qu’il s’inscrit parfaitement dans la lignée du spectacle forain que fut dès l’origine le cinéma. D’Amato est moins un cinéaste qu’un bateleur qui veut toujours en offrir plus au spectateur. Si la dernière partie de sa carrière paraît aussi pathétique (les pornos des années 90), c’est que la vidéo a fini par supplanter la pellicule et une certaine idée d’un cinéma que pratiquait d’Amato. De manière passionnante, l’auteur montre comment ce cinéma « extrême » accompagne une certaine mort du cinéma.
Superbement illustré, le livre n’est pas qu’un essai stimulant et très réussi sur l’œuvre de Joe d’Amato : c’est également un somptueux ouvrage qui inaugure une collection « Cinéma Bis » chez les excellentes éditions Artus. C’est peu dire que l’on a hâte de voir cette collection s’enrichir d’autres titres (un Jess Franco et un Bruno Mattei sont annoncés) !
Sébastien Gayraud. Joe d’Amato, le réalisateur fantôme. Éditions Artus. 2015.
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Eric Flouraud
Très difficile de critique un livre sur un réalisateur de cinéma Bis qu’on aime pas trop… Écrit par Sébastien Gayraud un enseignant en cinéma et conférencier spécialiste en film de mauvais genre que j’ai l’honneur de connaitre… m’a fait découvrir un homme aux mille pseudonymes (John Shadow, Aristide Massaccesi (son veritable nom, enfin je pense), Michael Wotruba, Robert Yip, Michael Di Caprio (pour sa periode porno), Peter Newton, David Hills… ) qui a réalisé plus de 200 films parmi lesquels (les plus connus) Les Blacks Emanuelle avec Laura Gemser, dont Viol sous les tropiques (un film érotique sur fond de cannibalisme)… Blue Holocaust, Anthropophagous, Porno Holocaust, Horrible, Caligula, la veritable histoire… et a été chef opérateur notamment sur un chef d’oeuvre du Giallo Mais qu’avez vous fait à Solange ? de Massimo Dallamano, L’Homme aux nerfs d’acier de Michele Lupo, Croc blanc de Lucio Fulci et il a même travaillé pour Jean Renoir sur Le Carrosse d’or et Jean Luc Godard sur Le Mépris… Grace a ce livre on découvre un cinéma de mauvais genre ou nous attends sexe, violence et démence macabre… A lire absolument même si on n’aime pas son genre.
Orlof
Oh? Et pourquoi donc ?
Pierre
houla, il se pourrait que ce livre m’énervasse un peu…