Tout débute au musée Hyacinthe Rigaud à Perpignan par une chaude journée d’été. Sébastien Rongier déambule en ce lieu afin d’y voir Suzanne et les vieillards, un tableau signé Willem van Mieris. Pourquoi cette obsession pour cette toile du 18ème siècle ? Parce que c’est une reproduction de celle-ci que Norman Bates écarte du mur afin de pouvoir contempler en toute impunité Marion Crane (Janet Leigh) lorsqu’elle se déshabille pour aller prendre sa douche. Ce tableau représente en quelque sorte un laissez-passer pour l’une des scènes les plus marquantes de toute l’histoire du cinéma. Ironie du sort : il ne fait plus partie des collections du musée puisqu’il a été mystérieusement volé le 21 juillet 1972 et jamais retrouvé depuis.

Pour Sébastien Rongier, ce vol constitue un excellent point de départ pour débuter une enquête hitchcockienne et se lancer dans un essai sur l’un des plus célèbres films d’Hitchcock et pour en mesurer la descendance et les répercussions qu’il a eues dans l’histoire du cinéma et dans l’histoire de l’art en général.

A ce stade, le lecteur peut craindre une énième redite autour de l’œuvre d’Hitchcock. Pourtant, l’essai de Sébastien Rongier se révèle vite aussi original que captivant puisqu’il nous donne l’occasion d’explorer toutes les arcanes de Psychose en procédant à la manière d’un topographe. A la façon du cinéaste construisant son récit autour du lieu (le fameux Bates Motel), l’auteur nous invite à revenir aux origines de Psychose (le roman de Robert Bloch, le statut d’Hitchcock à Hollywood en 1960), à suivre la mise en œuvre du film, à étudier l’effet et le choc produits par la scène de la douche puis à appréhender l’écho persistant qu’a pu produire l’œuvre.

Strate par strate, Rongier analyse les enjeux du film, revenant sur l’importance de l’expérience télévisuelle d’Hitchcock et la manière qu’eut le cinéaste de faire de son propre personnage une icône pop que l’on retrouve d’ailleurs dans la bande-annonce très élaborée du film. En tournant Psychose, Hitchcock a conscience qu’il est en train de donner un nouveau visage au septième art, notamment quant à la question de la censure et du code Hays. Appuyant l’essentielle de sa réflexion sur la scène de la douche, l’essayiste nous rappelle que rien, à proprement parler, n’est montré par le cinéaste, ni nudité, ni violence (« jamais aucun couteau n’a touché aucune femme dans cette scène. Jamais ») mais que c’est le cadrage, le découpage (si j’ose dire !), le montage et l’arrivée impromptue de l’inoubliable musique stridente de Bernard Hermann qui créent cet effet de sidération.

Après avoir passé en revue les thèmes du film (la pulsion scopique, le double, la psychanalyse…), l’auteur s’intéresse aux suites de Psychose (pourtant très peu étudiées) et donne vraiment envie de les découvrir. Il trace ensuite une généalogie (partielle) de la postérité de cette scène de douche, soit en tant que référence et citation (chez Fincher, Carpenter, Scorsese…) ou encore parodie (Dupieux, Mel Brooks). Puis, il s’agit de mesurer l’onde de choc du film à travers son remake (signé Gus Van Sant et que Rongier réhabilite à juste titre), la série télévisée (Bates Motel) ou les installations de Douglas Gordon.

Ce qui séduit dans Alma a adoré, c’est cet équilibre que Rongier parvient à instaurer entre l’aspect « historique » du film (peut-être déjà familier pour les cinéphiles mais, après tout, l’ouvrage ne s’adresse pas qu’à eux), l’aspect théorique (extrêmement solide et argumenté) et une dimension plus intime confinant parfois à la rêverie autour d’une œuvre décidément séminale.

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Alma a adoré (2019) de Sébastien Rongier

Marest éditeur, 2019

171 pages – 19€

En librairie depuis le 22 novembre 2019

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